Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
Lire la suite...Marijac : l’homme qui savait tout faire (seconde partie) !
Suite et fin de ce « Coin du patrimoine » consacré à Marijac : un nom qui évoque bien des souvenirs à ceux qui n’étaient que des adolescents, juste après la Seconde Guerre mondiale. C’était un formidable touche-à-tout qui, du dessin au scénario en passant par la presse, a pratiqué tous les métiers concernant l’édition des bandes dessinées. Dessinateur, scénariste, éditeur, diffuseur, agent de presse et même auteur ou acteur de divers romans-photos, Marijac aura marqué l’histoire du 9e art : toujours avec panache !
Pour lire la première partie, cliquer ici : Marijac : l’homme qui savait tout faire (première partie) !.
Les éditions de Châteaudun et Mireille (1) : une renaissance
À la suite de la cession de Coq hardi aux éditions de Montsouris, il reste à Marijac cinq millions de francs de l’époque. Incorrigible, il se lance de nouveau dans l’édition en créant les éditions de Châteaudun, du nom de la rue où il réside à Paris. Constatant la pauvreté des journaux destinés aux filles, il crée Mireille (1), dont le premier numéro sort en avril 1953. Bimensuel, puis rapidement hebdomadaire, Mireille (1) voit ses ventes dépasser les 180 000 exemplaires. Bien que symbolisé par le personnage campé par l’Espagnol Vicente Roso, Mireille présente plusieurs longues histoires écrites par Marijac pour d’excellents dessinateurs français.
« L’Orpheline du cirque » (puis « L’Étoile du cirque ») — superbe mélodrame ayant pour cadre le monde des gens du voyage — commence dans le premier numéro de Mireille (1), dessiné par Pierre Le Guen (2), puis (à partir du n° 20) par Christian Mathelot (2) qui conclut l’histoire dans le n° 87 (29/09/1955). La série est rééditée dans Samedi jeunesse en 1959, Frimousse magazine en 1963-1964, puis bien plus tard aux éditions du Taupinambour en 2014.
Christian Mathelot poursuit ses travaux dans Mireille en créant « Liliane, hôtesse de l’air » (du n° 26 au n° 234) : série en plusieurs épisodes, qui mêle aventure et sentiment, et signée Jacques François (Marijac). Elle sera rééditée dans Frimousse et Frimousse magazine en 1961-1962.
Pour le même dessinateur, Marijac écrit quelques récits indépendants : « La Fin du monde est pour demain !.. », excellente histoire fantastique, du n° 88 (06/10/1955) au n° 106, reprise dans Frimousse magazine, puis par les éditions Apex en 1996. Enfin, « Miss Cambouis », à partir du n° 184 (01/08/1957) et jusqu’au n° 210.
Noël Gloesner (2) dessine cinq histoires sublimes : « Mademoiselle ci-devant », du n° 26 (24/06/1954) au n° 110, « Boule de neige » du n° 113 (29/03/1956) au 149, « Dolorès de Villafranca » du n° 150 (13/12/1956) au n° 183, « Mademoiselle Demi-solde » du n° 183 (2/08/1957) au n° 207, et enfin « La Fée des solitudes » du n° 211 (13/01/1958) au n° 221.
Pour Jean-Claude Forest (1930-1998) (2), Marijac imagine la romantique « Princesse étoile » : une longue histoire de 181 pages, parue du n° 105 (02/02/1956) au n° 198, et rééditée dans Frimousse magazine en 1964 et 1965. Avec le même dessinateur, il signe « Cendrillon » du n° 202 au n° 220.
« Moustique, mousquetaire du roi », sympathique aventure de cape et d’épée, lui permet de retrouver son ami Le Rallic à partir du n° 143 (25/10/1956), jusqu’au n° 190. L’histoire est rééditée dans Nano et Nanette, puis par les Amis de Le Rallic en 2008. Ce récit est suivi par « La Pupille de la reine » à partir du n° 197 (07/11/1957), également repris dans Nano et Nanette, sous le titre « La Filleule de la reine ».
Dut (Pierre Duteurtre) (2), un autre fidèle de Marijac démarre « La Fille de Buffalo Bill » dans le n° 161 (28/02/1957). C’est le premier western d’une longue série signée par le duo, laquelle prend fin dans le n° 222 (01/05/1958).
Ajoutons quelques plus courtes histoires : « Douce Liane », dessinée par l’espagnol José Larraz (2), terminée par Marijac à partir du n° 31 (26/08/1954), puis rééditée dans Nano et Nanette ; et enfin, « Jenny », un western prometteur débuté dans le n° 421 (08/10/1954).
Marijac — auteur complet — est présent avec « Lyne » : une courte histoire campagnarde commencée dans le n° 35 en provenance de Coq hardi.
Notre auteur se lance dans le roman-photo, alors à la mode, avec « Virginie », qui débute dans le n° 175 (06/06/1957).
Produit par Arts graphiques presse, cette première tentative est suivie par d’autres, dont certains — comme « Le Secret de Mireille » — sont écrits, réalisés et même interprétés par Marijac et sa famille.
Depuis plusieurs années, Marijac s’est associé dans cette aventure avec Cino Del Duca (3), et le journal Mireille (1) —publié par les éditions du même nom — est totalement repris par le patron des éditions Mondiales, à partir du n° 223 du 14 mai 1958.
En quelques mois, prétendument pour moderniser le journal, la nouvelle rédaction abandonne les créations jugées vieillottes que Marijac continue à fournir via Arts graphiques Presse, au point d’y perdre son âme et ses lectrices.
Outre l’écriture de scénarios passionnants, Marijac — rédacteur en chef — a permis de découvrir des séries étrangères de qualité (qu’il traduit souvent lui-même !) : « Mireille » de Vicente Roso, « Billy Brave » de Jim Lacey, « Martine » de Steve Dowling… sans oublier la présence du délicieux Claude Marin avec « Éva », puis la reprise de « Mireille ».
Les éditions Mireille proposent le magazine Une sélection d’histoires de Far West de mai 1955 à avril 1957 — Marijac en est le directeur de la publication.
Quelque 36 pages de séries westerns, principalement d’origine américaine : « Texas Jack », « Davy Crockett », « Billy the Kid »… et quelques reprises dont « Poncho Libertas ».
Autre fruit de cette association avec Cino Del Duca (3), le format de poche Aventures de demain — dont Marijac est le directeur de la publication — est publié de mars 1956 à août 1958, totalisant 30 numéros.
À l’image du premier récit, intitulé « Les Hommes venus des étoiles », cette revue présente des traductions de séries étrangères, plus particulièrement d’origine britannique.
C’est dans Une sélection d’histoires de Far West qu’un certain Jean Giraud (2) fait ses premiers pas, avec « Frank & Jérémie », en 1955. Notons aussi que ce périodique absorbe Cocorico en décembre 1957 : ce magazine d’aventure mensuel — créé en août 1957 — n’ayant compté que quatre numéros.
Si les débuts de son association avec Del Duca sont sereins et fructueux, Marijac — qui a fait le choix de ne pas publier de concurrent au Pierrot des éditions de Montsouris pendant toute une année — revient à son idée de lancer un magazine pour les plus jeunes lecteurs.
Il est persuadé que Nano et Nanette, les deux héros vedettes des Belles Images de Pierrot, peuvent séduire les jeunes lecteurs français.
Puisqu’ils sont absents de la formule plus âgée de Pierrot — où ils ont fait leurs débuts en France —, Marijac en reprend les droits de traduction.
Mieux, il leur offre le titre de son nouveau journal : Nano et Nanette.
Le premier numéro, coédité avec son associé Del Duca, représenté par Charles Coutelier, sort le 15 mai 1955.
Ce modeste mensuel de 36 pages ne publie que des bandes dessinées étrangères : l’américaine « Nano et Nanette » de Rod Ruth, l’anglaise « Robin » de Tony Weare, l’espagnole « Rosette »… Il faut attendre la séparation avec Del Duca (3), en 1958, pour voir le journal — désormais hebdomadaire — se transformer, avec Marijac, seul maître à bord au sein des éditions de Châteaudun.
Claude Marin (2), avec le concours de Marijac, crée « Fanfan et ses amis » dans le n° 85 (24/10/1958) et Martial (2) anime « Riri » à partir du n° 113 (15/04/1959).
Marijac commence une longue série de scénarios réalistes destinés à Noël Gloesner (2), avec « Laideron », à partir du n° 96 (17/12/1958). Suivront « Cri-Cri reporter », « Mitzou la gitane aux cheveux d’or », « L’Orpheline du Far-West », « Fleur d’Andalousie », « Petit Rat » et enfin « La Fille de Robin des Bois », qui prend fin dans le n° 468 du 01/02/1966.
Pour Jean-Claude Forest (2), il écrit « Les Deux Isabelle » du n° 149 (22/12/1959) au n° 196 (15/11/1960) : récit de 97 pages rempli de bons sentiments, réédité en 1974 dans Princesse sous le titre « Bonjour bonheur ».
Marijac vient en aide à son ami Le Rallic, sans ressources et dont la vue est déficiente, en lui écrivant « Yuki, chien de traîneau » à partir du n° 213 (14/03/1961), puis « Les Enfants de la tourmente » : longue histoire évoquant l’odyssée de deux enfants courageux sous la Révolution française, du n° 309 (16/02/1963) au n° 373.
« Aliboron du Far-West », leur ultime collaboration, est proposée du n° 374 (14/04/1964) au n° 393. À propos de Le Rallic, Marijac écrivait : « Une chute de cheval lui avait valu une trépanation et la perte d’un œil ; c’est la raison pour laquelle, vers la fin de sa vie, son trait avait perdu de sa précision. C’était pour moi plus qu’un ami, un frère, comme il se plaisait à le dire… » (4)
Dans un registre plus humoristique, il signe deux récits truculents pour Jean — dit Jen — Trubert (1909-1983) (2) : « L’Étroit Mousquetaire » du n° 322 (16/04/1963) au n° 345 et « Les Petits Révoltés du Bounty » à partir du n° 358 (24/12/1963).
À noter, une réédition de « Cricri et Moumousse » à partir du n° 346 (série animalière dessinée par Edmond François Calvo [2], dont Marijac est le scénariste), puis de « Baptistou » au n° 425.
Dans le n° 468 du premier février 1966, celui qui se nomme Tonton Jacques s’adresse aux jeunes lecteurs pour leur annoncer la disparition du journal, victime selon lui de la fée télévision.
Clap de fin pour un journal dont Marijac n’a pas à rougir.
Vendu jusqu’à 120 000 exemplaires, Nano et Nanette a proposé d’excellentes créations, pour la plupart nées de son imagination, mais aussi issues des traductions de bonnes séries étrangères, qu’il, rappelons-le, traduisait et adaptait souvent lui-même.
Le phénomène Frimousse
Libéré de son association avec Cino Del Duca en 1958, Marijac réactive les éditions de Châteaudun où il publie avec succès Nano et Nanette.
Toujours persuadé que les lectrices sont injustement peu courtisées par la presse des jeunes, il lance en février 1968 le format de poche Mes histoires illustrées préférées.
Comme pour Aventures de demain, il opte pour la traduction de récits étrangers — surtout destinés aux jeunes filles — d’origine britannique, moins coûteux que la création.
Coup de génie ! Après 17 numéros, le journal change de titre et devient Frimousse en avril 1959.
Bimensuel de 84 pages, Frimousse présente un grand récit complet toujours étranger, mais aussi de plus en plus de créations, dont Marijac est l’unique scénariste : en commençant par « Frimousse », contant les aventures d’une jeune fille moderne campée avec humour par Claude Marin (2).
Après plus de 1 000 pages, la série « Frimousse » tirera sa révérence dans le n° 235 (11/1967).
Notons aussi, dans ce premier numéro, « Nora reporter » par Christian Mathelot (2) et un roman : « Évelyne chasseur d’images », illustré par Kline (2).
Au fil des années, la pagination augmente, permettant d’ajouter de nouvelles créations à suivre, complétant le traditionnel grand récit complet.
Marijac, qui signe parfois Jacques François et fait, comme à son habitude, feu dans tous les genres avec le même talent.
Le western : avec « Callie », « Trois Filles à l’Ouest », « Autant en emporte la haine », « Nora, la fille du shériff », « Virginie du Texas », « La Fille de l’outlaw » ou « La Fille au fusil » dessinés par Dut (2) et « La Tunique rouge » par Claude-Henri (Claude-Henri Juillard, 1915-1990) (2).
Les récits historiques : avec « La Fille du boucanier », « La Filleule du roi Henri », « Premier Bal », « Première Valse », « Jocelyne face aux loups » ou « Les Robinsons de la mer » dessinés par Dut (2), « La Chasseresse du roi » et « La Chouette chantera 3 fois » par Christian Gaty (1925-2019) (2) ou encore « La Guêpe », « Natacha », « L’Ange rouge », « Anne-Marie Surcouf », « Le Bal du gouverneur », « Nouchka » et « La Chouette » par Novi (1913-2002) (2).
L’aventure : avec le retour de « Liliane hôtesse de l’air » et « Croisière sans escale » par Christian Gaty (2), « Marika » et « Hello Jim » par Gloesner (2) ou « Josiane dans la tourmente » par Novi (2). L’histoire policière : avec « Commissaire jupons » de Novi (2). Enfin, seule série réaliste aux personnages récurrents, « Juliette », apparue dans le n° 135 (10/12/1963) avec l’épisode « Le Temps des amis » : lequel conte les déboires de deux filles dans le vent aux caractères opposés et d’une tante farfelue, toutes campées par Christian Gaty. (2)
La formule plaît aux jeunes lectrices, ce qui permet au journal de dépasser les 225 000 exemplaires. Si l’on ajoute les 140 000 exemplaires de Nano et Nanette et la bonne tenue de Princesse ou celle de Frimoussette, les éditions de Châteaudun se portent bien. Hélas, l’arrivée de la presse yéyé — dont Salut les copains est le fer de lance — met fin à cette envolée. L’érosion régulière des ventes conduit Marijac à vendre son journal à la S.F.P.I. de Jean Chapelle, tout en conservant la fourniture du matériel via son agence Arts graphiques presse. Le n° 205 du 15 août 1966 est le dernier portant le label des éditions de Châteaudun. L’érosion se poursuivra chez le nouvel éditeur, qui va changer la formule en abandonnant peu à peu la création au profit de traductions moins coûteuses.
Plus que l’ombre de lui-même, désormais sans la participation de son créateur, Frimousse disparaît avec son n° 268 en janvier 1972. Une nouvelle formule de 36 numéros est proposée, sans plus de succès, par le même éditeur de mars 1972 à décembre 1977.
En 1960, les bons résultats de Frimousse incitent Marijac à publier le premier numéro de la collection Frimousse. Ce bimestriel de format classique présente des reprises des grandes histoires écrites par Marijac et publiées dans Mireille.
Le premier numéro propose « Dolores de Villafranca », dessiné par Gloesner (2) ; le second « La Fin du monde est pour demain », par Mathelot (2) ; le suivant, « Jenny » par Duteurtre… (2)
Il est remplacé en février 1961 par Frimousse magazine, dont la formule ne change pas. Quelque 35 numéros sont publiés jusqu’en juillet 1965, permettant de retrouver les grands classiques que sont « Mademoiselle Demi-solde », « Boule de neige », « Liliane hôtesse de l’air », « La Fée des solitudes », « Cendrillon », « L’Orpheline du cirque », « Princesse étoile »… et quelques récits traduits de l’étranger. Une tentative de relance en 1972 par la M.C.L. de Jean Chapelle ne dure que deux numéros, le temps de proposer « Boule de neige » et « Françoise S.O.S. » par Marijac et Gloesner. (2)
Au cours de cette période faste pour les éditions de Châteaudun, Marijac lance deux nouveaux formats de poche en avril 1964 : Princesse et Frimoussette. Destinés à un plus jeune lectorat, ces magazines de 68 pages flirtent avec le succès de Frimousse. Un grand récit complet d’origine étrangère (surtout anglaise) et quelques courtes histoires, elles aussi traduites, composent les sommaires. Les créations, relativement rares, permettent d’assurer une belle rentabilité. Tombés dans l’escarcelle de la S.F.P.I. en 1965, Frimoussette disparaît avec son n° 126 en février 1972 et Princesse au n° 176 en mai 1982… sans le concours de leur créateur.
Deux autres formats de poche sont lancés par les éditions de Châteaudun, témoignant de la passion de Marijac pour l’Ouest américain.
En 1961, il effectue, avec son épouse Marie et ses deux filles, un long périple aux États-Unis. Il rend visite au chef indien pied-noir (blackfoot) La-Perche-qui-avance, rencontré au jamboree de la Paix près de Mantes-la-Jolie en 1947 et qui l’avait nommé chef honoraire de sa tribu sous le nom de Plume-blanche.
C’est l’occasion de relancer son cher Coq hardi (5) en format de poche, avec — pour fil rouge — le reportage de son voyage suivant l’ancienne piste de Santa Fe, puis le tracé de l’ancienne piste de l’Oregon.
Passionné par le cinéma, le futur président du Ciné photo club du Massif central filme son long voyage.
Le premier numéro de Coq hardi (5) sort en mars 1961, avec un billet ronflant de Marijac.
On trouve, au sommaire, les aventures inédites de l’Indien Coq-Hardi, imaginées par Marijac pour Dut (2) ; une parodie de western écrite par Marijac et dessinée par Marin (2), malicieusement intitulée « Les Trois Mousquetaires du Far West » ; les reprises de « Champion courageux » de Jacques François (alias Marijac) et Le Goff (2) et Le Guen (2), de « Colonel X » de Marijac et Poïvet (2), de « Choucas, l’homme des abîmes » de Marijac et Mathelot… (2)
Un an plus tard, Coq hardi (5) — qui n’est pas parvenu à renouer avec ses lecteurs — disparaît, tout en annonçant pour bientôt l’arrivée de Chiche ! : le magazine de l’exploit… qui ne verra hélas jamais le jour.
En mars 1964, incité par le succès des aventures de Mark Trail dans Nano et Nanette — ce journaliste canadien, passionné d’écologie, créé par l’Américain Ed Dodd et dont il propose la traduction dans ses journaux —, Marijac décide de lui dédier un poche.
Outre les aventures du héros titre, il imagine les facéties de Jerry Jengo, puis le chasseur de primes Jay Quedall [sic] pour l’incontournable Claude Marin. (2)
Une copieuse rubrique aviation et des résumés de films complètent le sommaire.
Bien que de lecture agréable, le mensuel disparaît en juin 1965, après seulement 12 numéros.
C’est au sein de la M.C.L., société créée par Jean Chapelle, que Marijac récidive avec le lancement du format de poche Sitting Bull, en août 1970.
La reprise des pages remontées du grand western jadis réalisé avec Dut et qui avait fait les beaux jours de Coq hardi (5) est l’élément principal de ce poche de 100 pages.
Le périodique présente néanmoins une série western inédite du duo Marijac-Dut (2) : « Daim blanc ». Les curieux peuvent aussi découvrir la reprise — elle aussi remontée — de « Frank et Jérémie » : première création du jeune Jean Giraud (2) ; sans oublier « J’ai voulu revivre la grande aventure des pionniers », une suite de reportages nostalgiques dans l’Ouest américain, signés Marijac.
Comme les deux titres précédents, Sitting Bull cesse de paraître en juillet 1971 après 12 numéros.
Pour les plus jeunes, toujours associé à Jean Chapelle, il réalise les 25 numéros de Bout de chou : journal « trognon » paru d’avril 1967 à mai 1970.
Composé essentiellement de reprises de séries étrangères venues de Nano et Nanette, il présente les rééditions de « Lulu » et « Baptistou » par Claude Marin (2) et de « Coquin, le gentil cocker » par Calvo (2) : deux charmantes histoires dont Marijac est le scénariste.
En décembre 1967, l’Auvergnat Jacques Dumas crée Paris-Centre Auvergne, sous-titré « Le Magazine illustré du Massif central ».
Ce mensuel publie en priorité des articles et des informations sur cette région.
Au rayon bande dessinée, notons « L’Odyssée de la reine Margot en Auvergne », une histoire à suivre écrite par Marijac pour Dut (2) ; « La Page de Peynet » ; « Les Trois Mousquetaires du maquis » ; une nouvelle illustrée par Noël Gloesner (2), enfin un conte écrit et illustré par Marijac.
Le journal tient le coup pendant trois ans, avant de disparaître en 1970 faute de publicité.
En 1968, l’ORTF étant en grève, des journalistes vedettes en sont licenciés.
C’est le cas de Roger Couderc, qui accepte de diriger un mensuel de bande dessinée aux éditions du Centre, dont le contenu est fourni par Marijac.
Avec 56 pages de format classique, sous-titré « Le Magazine illustré de tous les jeunes », Allez !… France (6) propose des articles dont certains sont signés Michel Drucker, et bien entendu des bandes dessinées.
C’est le dernier tour de piste de Marijac, avec des BD de ses fidèles collaborateurs : « Une Fille sur deux planches » par Christian Gaty (2), « Allez Ramuntcho ! » par Noël Gloesner (2), « L’Étroit Mousquetaire » par Jean Trubert (2), « Les Invincibles de l’Ouest » par Dut (2), « Jerry Dingo » par Claude Marin (2), « Les Trois Mousquetaires du maquis » par Marijac — lequel écrit tous les scénarios —, dont certaines demeurent hélas inachevées.
Le premier numéro sort en décembre 1968, le sixième et dernier en mai 1969.
« Une première crise cardiaque me fit réfléchir aux réalités de la vie. Mes voyages m’avaient laissé des souvenirs inoubliables, plus que mes résultats financiers brillants. Je décidais de vivre au lieu de lutter comme un dingue jusqu’au K.O. final et vendis mes titres à la S.F.P.I., me réservant d’en fournir à la rédaction par mon agence de presse. Je mis les éditions de Châteaudun au point mort, avec un capital pourtant intact de 400 000 francs » (4), conclut-il.
Retraite et nostalgie
C’est à cette époque — la fin des années 1960 — que j’ai rencontré un Marijac chaleureux et détendu, toujours aussi passionné par la bande dessinée.
Il est devenu un ami, dont j’appréciais l’humour, la dérision et son cœur immense. J’ai eu le bonheur de publier avec succès les grands classiques de Coq hardi dans la collection BDécouvertes des éditions Glénat.
Ses visites à la rédaction comptent parmi mes plus beaux souvenirs de cette époque pionnière. L’écouter évoquer, avec son humour brut de décoffrage, les années Coq hardi, ses auteurs et ses aventures d’éditeur, était un pur bonheur. Lorsque je me rendais rue de Châteaudun, il ouvrait les grandes portes d’antiques armoires rustiques remplies d’originaux, sachant que les contempler était pour moi un cadeau précieux, à chaque fois renouvelé. Originaux qu’il n’hésitait pas à découper pour les remonter au format demandé par les acheteurs de droits. Autres temps, autre conception de la valeur des choses ! Il était seul à son bureau, avec à ses côtés André Schwartz : à la fois metteur en page, remonteur des planches, lettreur, dessinateur de jeux… Heureux de rencontrer ses anciens lecteurs à l’occasion des salons de BD, le grand Sachem — sans-plume aimait dialoguer avec les anciens membres de la tribu, devenus des quinquagénaires aux cheveux grisonnants, versant parfois une larme discrète. Jusqu’au bout, il aura vécu et partagé sa passion pour le 9e art, arpentant avec gourmandise les allées des salons et autres manifestations dédiés à la bande dessinée. « Le “Sachem — sans-plume” ne commande plus désormais à des milliers de guerriers “Coq hardi”, mais à une turbulente tribu de petits-enfants qui le mettent souvent à contribution pour dessiner ou leur raconter des histoires. Ce qu’il fait avec nostalgie, en pensant aux milliers de gosses qu’il amusa ou passionna au cours de sa vie », écrivait-il en septembre 1977, en conclusion de ses « Souvenirs ». (4)
Plus tard, en 1985, un groupe de nostalgiques, animé par Pauline Profizi, tentera de relancer deux journaux ayant la « patte » Marijac : Jeunes frimousses, sous-titré « Divertissement des enfants, tranquillité morale des parents », avec des reprises des séries « Nano et Nanette », « Les Enfants de la tourmente », « L’Étroit Mousquetaire », « Yuki », « Fanfan »… et Mam’zelle, le « magazine illustré de la jeune fille », qui proposait « Marika », « Frimousse », « Trois Filles à l’Ouest », « Fofolle Juliette »…
Hélas, le monde avait changé, les jeunes aussi : les deux mensuels disparaîtront après seulement quatre numéros.
Un choc pour Marijac, qui lui donna l’occasion de pester contre ce nouveau monde.
Il nous a quittés en toute discrétion médiatique à 85 ans, le 21 juillet 1994, à Lyons-la-Forêt.
S’il fut un dessinateur à succès, un grand éditeur, un homme de presse de premier plan, un patron brillant, un rédacteur en chef au flair remarquable, ce fut surtout un immense scénariste qui s’ignorait, ayant tâté de tous les genres avec la même efficacité. Alors que les travaux mineurs de certains auteurs — certes brillants — sont réédités à tour de bras, il est scandaleux que les grands classiques écrits par Marijac nous soient en grande partie inaccessibles.
Des références plus précises des œuvres de ses dessinateurs figurent dans les rubriques « Le Coin du patrimoine » qui leur ont été dédiées. (2)
Outre l’ouvrage consacré à ses souvenirs (4) — dont nous publions quelques extraits —, la revue Haga a réalisé un numéro sur Coq hardi (5) en 1976. Sans oublier Hop !, qui a proposé de nombreux articles concernant Marijac au fil de ses numéros.
Relecture, corrections, rajouts, compléments d’information et mise en pages : Gilles RATIER
Merci à Philippe Tomblaine, Fred Fabre et Gwenaël Jacquet pour leurs divers coups de main.
(1) Sur Mireille, voir : Mireille, un hebdomadaire pour le lectorat juvénile féminin… (première partie), Mireille, un hebdomadaire pour le lectorat juvénile féminin… (deuxième partie), Mireille, un hebdomadaire pour le lectorat juvénile féminin… (troisième partie) et Mireille, un hebdomadaire pour le lectorat juvénile féminin… (quatrième et dernière partie).
(2) Voir nos « Coins du patrimoine » consacrés aux divers collaborateurs graphiques de Marijac : Pierre Le Guen : un grand parmi les grands ! (première partie), Pierre Le Guen : un grand parmi les grands ! (seconde partie), Pour ne pas oublier Christian Mathelot, Noël Gloesner : modestie et discrétion… (première partie), Noël Gloesner : modestie et discrétion… (seconde partie), Les toutes premières bandes dessinées de Jean-Claude Forest, Dut : la modestie d’un grand… (première partie), Dut : la modestie d’un grand… (deuxième partie), L’étonnante carrière de José Ramón Larraz, Pour se souvenir de Jean Giraud (alias Gir ou Moebius)…, Claude Marin, Disparition de Martial !, Jen Trubert : artisan du merveilleux… (première partie), Jen Trubert : artisan du merveilleux… (seconde et ultime partie), Le réalisme chez Calvo, Loup-Noir est définitivement orphelin : décès de Kline, Claude-Henri Juillard : l’élégance du trait… (première partie),Claude-Henri Juillard : l’élégance du trait… (deuxième et dernière partie), Christian Gaty : réaliste et efficace ! (première partie), Christian Gaty : réaliste et efficace ! (deuxième et dernière partie), Marc-René Novi : une carrière contrariée… (première partie), Marc-René Novi : une carrière contrariée… (deuxième et dernière partie), Pierre Le Goff : des revues de bande dessinée aux strips dans les quotidiens… (première partie), Pierre Le Goff : des revues de bande dessinée aux strips dans les quotidiens… (seconde partie),Raymond Poïvet (1re partie), Raymond Poïvet (2e partie).
(3) Sur L’Intrépide et Cino Del Duca, voir L’Intrépide, un hebdomadaire classique [première partie], L’Intrépide, un hebdomadaire classique [deuxième partie] et Cino Del Duca : de la presse du cœur à la BD….
(4) « Souvenirs de Marijac et l’histoire de Coq hardi », 1978, Glénat.
(5) Voir : Coq hardi : vie et mort d’un journal (première partie) et Coq hardi : vie et mort d’un journal (deuxième partie).
(6) Sur Allez !… France, voir : Le Allez !.. France de Marijac !.
Merci, cher Henri pour ce beau récapitulatif d’une longue carrière, au moins on ne vous reprochera pas de découvrir sur le tard Marijac, cela fait plus de quarante ans que vous bataillez chez Glénat pour que tout ce patrimoine de qualité ne sombre pas dans l’oubli. Il me semble qu’avec les hebdos Tintin et Spirou, Coq-Hardi fait partie du tiercé gagnant de la presse BD pour jeunes des années 1945 à 1950!
Merci pour ces focus sur un grand scénariste.
Par contre, et sauf erreur, vous n’évoquez pas la « reprise » de Sitting Bull dans je journal de Nano et Nanette, sous le titre Red Cloud (mêmes planches, en couleur et noir et blanc.)
Et d’ailleurs, si Red cloud et Sitting Bull se sont côtoyés, on n’y comprend plus rien du coup.
Je ne trouve aucune allusion a cela sur le web
Qu’est-ce que cela vous amène comme réflexion ?
Cordialement.