Christian Gaty : réaliste et efficace ! (première partie)

Aux côtés de Robert Gigi et de Lucien Nortier, Christian Gaty a été l’un des locataires les plus fidèles du légendaire atelier 63 où trônait Raymond Poïvet : le Maître. Seul ou à quatre mains avec son ami Nortier, Christian Gaty a mis son savoir-faire au service d’une bande dessinée réaliste classique et efficace. Gros plan sur un dessinateur discret, aujourd’hui bien oublié.

Christian Gaty, avec Lucien Nortier.

L’Atelier 63

Christian Gatignol, qui signe Gaty, est né le 9 février 1925 à Bourg-en-Bresse. Après avoir étudié l’illustration à l’École nationale supérieure des Beaux-Arts de Paris, il contribue à la vie de l’atelier 63, situé 10 rue des Pyramides dans le premier arrondissement de la capitale.

En 1946, Marijac (Jacques Dumas, 1908-1994) souhaite avoir près de lui Raymond Poïvet (1910-1999) (1) : le dessinateur de « Colonel X », dont il écrit le scénario.

Christian Gaty.

Les locaux de son journal Coq hardi installés dans un immeuble appartenant au parti gaulliste du M.L.N., il lui propose d’occuper les combles au sixième étage, avec le dessinateur Paul Derambure.

En fait, trois anciennes chambres de bonnes dont les cloisons ont été démolies et qui ont servi de local au parti fasciste populaire français de Doriot pendant l’Occupation.

Arrivé un an plus tard, Christian Gaty fait la connaissance des autres habitués des lieux : Francis Josse, Guy Mouminoux (le futur Dimitri), Max Lenvers (1933-2020) (2), Lucien Nortier (1922-1994), Robert Gigi (1926-2007)…

Il y séjournera jusqu’à la disparition du local, au milieu des années 1980, l’augmentation des loyers les contraignant à choisir de travailler chez eux. « Fini la joyeuse ambiance de la rue des Pyramides ! » comme le dira plus tard Lucien Nortier.

« Jack Tremble » Vaillant n° 114 (17/07/1947).

Dès son arrivée dans la profession, le jeune dessinateur se voit proposer la création de « Jack Tremble » dans les pages de l’hebdomadaire Vaillant. Comme chez la plupart des dessinateurs réalistes de l’époque, ces premiers travaux sont inspirés par les auteurs américains et, dans son cas, plus particulièrement par Milton Caniff. L’histoire écrite par un autre débutant, Roger Lécureux (1925-1999), est proposée en deux strips. Rival de l’inspecteur principal Crap, Jack Tremble est un jeune homme au comportement étrange. Il est le héros de deux courtes histoires : « Le Buveur de bière » et « Le Retour de Jack Tremble ». La première page est publiée dans le n° 113 (10/07/1947), la dernière dans le n° 132. Il lui faudra patienter de longues années avant de retrouver les pages de Vaillant.

« L’Atlantide » S.D.D.F. (1949).

Il se tourne alors vers la presse quotidienne qui lorgne de plus en plus vers la bande dessinée. En 1948, il adapte « L’Atlantide », roman de Pierre Benoît, sous forme de longs strips pour la Société de diffusion du dessin français (S.D.D.F.), agence de presse créée en 1946 par l’incontournable Marijac. Les 300 bandes sont publiées en 1949 par France-Soir, puis dans La Tribune de Saint-Étienne et La Marseillaise. Un an plus tard, pour l’agence Paris-Graphic qui succède à la S.D.D.F., il adapte « Le Forgeron de la Cour-Dieu » : un roman de Ponson du Terrail. Découpé par Georges Cheylard, ce récit compte 303 strips parus en 1950 dans Libération (celui d’Emmanuel d’Astier de la Vigerie), puis dans L’Union.

« Le Forgeron de la Cour Dieu » Libération (1950).

En 1952, il propose divers travaux sous forme de bandes verticales à la Dépêche du Midi, dont une version de « L’Île au trésor » et « L’Étoile du soir » au format BD. Restons dans la presse quotidienne avec le strip « Cigale en Chine », d’après le roman de Paul d’Ivoi, destiné en 1958 au quotidien rémois L’Union : lequel compte deux épisodes en 104 et 106 bandes, repris dans Presse-Océan, La Nouvelle république…

« Cigale en Chine » L’Union (1958).

Tout au long des années 1950, Christian Gaty travaille aussi pour les périodiques féminins, très demandeurs en illustrations et en BD le plus souvent réalisées au lavis. On le rencontre dans les magazines publiés par Cino Del Duca : Nous Deux, Intimité, la première version de Lui… Et surtout Lectures d’aujourd’hui : hebdomadaire des éditions du Hennin qui publient Femme d’aujourd’hui.

« Jean Marais » Lectures d’aujourd’hui n° 60 (24/10/1953).

De 1952 à 1962, il y dessine les vies de célébrités de l’époque écrites par Monique Moncel puis par Bernard Keller : Jean Marais, Vittorio De Sica, Jean-Pierre Aumont, Charles Trenet, Gina Lollobrigida, Tino Rossi, François Perrier, Gérard Philipe, Jean-Marc Thibault… Cette rubrique hebdomadaire en deux pages, puis une, est simplement signée de son prénom : Christian.

« Roger Pierre et Jean-Marc Thibault » Lectures d’aujourd’hui n° 383 (19/01/1960).

La mode des journaux pour filles

Dès le début des années 1950, la sensibilité de son trait lui permet d’entrer dans les journaux destinés aux fillettes, alors nombreux.

Il fait ses débuts dans le n° 301 (24/04/1952) de Fillette : l’hebdomadaire de la Société parisienne d’édition (S.P.E.) où travaille déjà Robert Gigi, son compagnon d’atelier.

Il commence par signer la couverture et les illustrations des « Deux Auberges » : une nouvelle de Juliane Ossip.

Il est régulièrement présent dans le journal, tout au long des années 1950, proposant des couvertures, des illustrations de nouvelles, mais aussi de romans : « Un bouquet de petites filles «  (n° 308 à 322) et « La Petite Danseuse de corde » (n° 335 à 348) de Philippe Mouret ou « Sous le ciel d’Asie » de Juliane Ossip (n° 379 à 390).

Fillette n° 328 (30/10/1952).

En 1957 et 1958, il met en images la page de confidences « Entre nous », dont l’un des personnages est inspiré par l’actrice Marie-Josée Nat — alors sa compagne — qui débute en posant pour les romans-photos de la presse du cœur.

« Entre nous » Fillette n° 622 (19/06/1958).

Toujours pour la S.P.E., il collabore anonymement à L’Épatant en 1951 (3), puis adapte en bande dessinée quatre romans célèbres destinés à la collection Mondial Aventures : « Les Tueurs de daims » de Fenimore Cooper et « Le Roi de la montagne » d’Edmond About en 1954, « Les Trappeurs de l’Arkansas » de Gaston Aimard et « La Fille du capitaine » d’Alexandre Pouchkine en 1959.

« Les Trappeurs de l’Arkansas » Mondial Aventures (1959).

Ces récits sont prépubliés dans les journaux Fillette, Jeunesse joyeuse et Joyeuses Lectures.

« La Fille du capitaine » Mondial aventures (1959).

Almanach Vermot (1955).

On lui dont aussi des illustrations pour l’Almanach Vermot et pour les numéros hors-séries trimestriels de Fillette.

Cino Del Duca (4) ayant racheté l’hebdomadaire Mireille (5) à son fondateur Marijac, Christian Gaty y réalise sa première collaboration officielle avec Lucien Nortier (1922-1994).

Lucien Nortier.

Il avait déjà eu l’occasion d’assister anonymement Nono, comme le surnommaient ses compagnons de l’atelier 63, lorsque ce dernier était surchargé de travail : en particulier dans Nous deux.

À propos de leur duo, Lucien Nortier confiait à Louis Cance dans le n° 41 de Hop ! (janvier 1987) : « J’ai la plus profonde admiration pour le style personnel de Gaty : quand il dessine une nana, elle est bandante et je trouve scandaleux qu’on ne lui demande souvent que des imitations de dessinateurs disparus, notamment le « Barbe-Rouge » de Jijé ».

Nous deux n° 865 (janvier 1964).

Il réalise les crayonnés que Nortier encre pour « Dany hôtesse de Paris ». La brune Dany, dynamique et toujours prête à rendre service, reçoit, avec ses collègues, les visiteurs importants de passage dans la capitale. Jean Volsa écrit des scénarios gentillets où se mêlent mystère et sentiments.

« Dany hôtesse de Paris » Mireille n° 257 (07/01/1959).

Cette série démarre sous forme d’histoires à suivre dans le n° 257 de Mireille (07/01/1959). Après deux longs épisodes, la sympathique Dany est l’héroïne d’une vingtaine de récits complets en dix pages : « La Maison rose » (n° 333), « L’Enfant sans nom » (n° 345), « Panique organisée » (n° 380)… enfin « L’Impossible Goya » : dernier épisode publié dans le n° 395 (11/09/1963) de Mireille.

« Dany hôtesse de Paris » Mireille n° 395 (12/09/1963).

Les deux hommes poursuivent leurs travaux en commun chez Del Duca, dans les pages du quotidien Paris-Jour, où ils réalisent au lavis, de 1962 à 1965, des bandes verticales de la série « Les Plus Belles Amours », en alternance avec Pierre Frisano, Rémy Bourlès, Donatel, Pierre Le Goff, Angelo Di Marco… : « Francis Drake », « Le Destin des Kennedy », « Belle de feu », « Minouche », « Le Collier de la reine », « Cinq Mars »…

« Le Destin des Kennedy » Paris-Jour (04/12/1963).

Une dispute entre le bouillant Lucien Nortier et son patron met fin, en 1965, à une collaboration débutée en 1952 avec les éditions Mondiales.

« Francis Drake » Paris-Jour (12/08/1964).

À la recherche de nouveaux supports, en 1959, il tente sa chance à Âmes vaillantes : l’hebdomadaire pour filles des éditions de Fleurus. Il y publie quelques histoires complètes (« La Pierre qui brille », « Thomas Cook ») et un récit à suivre de 30 pages : « Les Visons bleus », adapté d’un roman de L.N. (Louise Noëlle) Lavolle, du n° 45 de 1959 au n° 14 (03/04/1960).

« Les Visons bleus » Âmes vaillantes n° 14 (08/05/1960).

Ce journal présente une campagne publicitaire, « La Preuve par SEB », qu’il illustre pour l’agence Unipro (n° 17 à 22 de 1960).

« La Preuve pas SEB » Âmes vaillantes n° 17 (24/04/1960).

Très bref passage à Pilote où il met en images quelques récits historiques avec les textes placés sous les images : « La Fin de monsieur de Charette » (n° 32 du 02/06/1960), ou encore « Le Roman vrai du premier maillot jaune » écrit par Charles Galland en 1960.

« La Fin de monsieur de Charette » Pilote n° 32 (02/06/1960).

Toujours en 1960, il commence une longue collaboration de dix ans avec Marijac (Jacques Dumas, 1908-1994), plus particulièrement dans Frimousse : son magazine pour filles de format de poche mensuel, puis bimensuel, dont les ventes explosent.

Il réalise des couvertures annonçant les séries d’origine anglaise publiées dans le journal et illustre des romans : « Colibri hôtesse de l’air » du n° 46 (01/07/1960) au n° 68, « La Croisière sans espoir » de Marcellin du n° 82 au n° 92, « Prisonnière de la jungle » (n° 101 à 113) et « Voyage sans retour » de Jean Irasque (n° 130 à 137), enfin « SOS idole » de J. Dumasque » du n° 164 au n° 170.

Sa première bande dessinée est une reprise des aventures de Liliane hôtesse de l’air : personnage à l’origine dessiné par Christian Mathelot (6) dans Mireille.

Écrit par Marijac, ce nouveau récit de 70 pages est proposé du n° 73 (20/05/1961) au n° 81.

« Liliane hôtesse de l’air » Frimousse n° 76 (26/08/1961).

Dans le n° 92 (10/04/1962), commence « La Chasseresse du roi » : récit historique de 162 pages signées Jacques François (l’un des pseudonymes de Marijac) et ayant pour cadre les heures sombres pour la noblesse de la Révolution de 1789.

« La Chasseresse du roi » Frimousse n° 96 (26/08/1961).

« L’Alouette chantera 3 fois » qui aborde en 95 pages un thème cher à Marijac, le maquis, débute dans le n° 113 (05/02/1963), pour se terminer dans le n° 120.

« L’Alouette chantera 3 fois » Frimousse n° 118 (05/02/1963).

Dans « Croisière sans escale », Jacques François met en scène deux filles dans le vent tout au long d’un récit de 172 pages proposé du n° 121 (31/05/1963) au n° 134. Les lectrices en redemandent. Marijac imagine un duo de choc : la blonde Juliette un peu fofolle et son amie la brune Maryse bien plus pondérée.

« Croisière sans escale » Frimousse n° 123 (20/04/1963).

Elles sont les héroïnes de dix récits truculents riches en péripéties : « Le Temps des amis » du n° 135 (10/12/1963) au n° 144, « Croisière surprise » (n° 149 à 158), « Une fille sur 2 planches » (n° 159 à 172), « Le Gang des copains », « Juliette agent secret »…

« Croisière surprise » Frimousse n° 154 (01/09/1964).

La série prend fin dans le n° 239 (avril 1968), avec « Juliette parachutiste ».

« Juliette parachutiste » Frimousse n° 238 (03/1968).

Deux épisodes seront repris en 1974 dans le poche Anouk des éditions Jeunesse et vacances. Fatigué, Marijac vend Frimousse à Jean Chapelle.

Frimousse magazine n° 28 (05/1964).

Le journal perd de son intérêt, privilégiant le matériel étranger à la création.

Les histoires parues dans ce journal figurent parmi le meilleur de la production de Christian Gaty.

On lui doit aussi des illustrations de nouvelles dans les pages du mensuel Frimousse magazine, tout au long des années 1960.

On retrouve Juliette et Maryse dans une nouvelle version d’« Une fille sur deux planches » proposée par le mensuel Allez !.. France (7), de décembre 1968 à mars 1969.

« Une fille sur deux planches » Allez !.. France n° 4 (03/1968).

« Sous le ciel d’Asie » Fillette n° 388 (24/12/1953).

À suivre…

Pour lire la deuxième et dernière partie, cliquez ici : Christian Gaty : réaliste et efficace ! (deuxième et dernière partie).

Henri FILIPPINI

Relecture, corrections, rajouts, compléments d’information et mise en pages : Gilles RATIER

(1)       Voir : Raymond Poïvet (1re partie) et Raymond Poïvet (2e partie).

Original de « Le Petit Chien » dans Fillette.

(2)       Voir : Décès de Max Lenvers : bon vent Maxon !.

(3)       Voir : L’Épatant d’après-guerre (1re série).

(4)       Voir : Cino Del Duca : de la presse du cœur à la BD….

(5)       Voir : Mireille, un hebdomadaire pour le lectorat juvénile féminin… (première partie), Mireille, un hebdomadaire pour le lectorat juvénile féminin… (deuxième partie), Mireille, un hebdomadaire pour le lectorat juvénile féminin… (troisième partie) et Mireille, un hebdomadaire pour le lectorat juvénile féminin… (quatrième et dernière partie).

(6)       Voir : Pour ne pas oublier Christian Mathelot.

(7)       Voir : Le Allez !.. France de Marijac !.

« Dany hôtesse de Paris » Mireille n° 326 (15/11/1960).

Galerie

2 réponses à Christian Gaty : réaliste et efficace ! (première partie)

  1. vincent dit :

    Bonjour

    Merci pour cet article instructif et passionnant ! Gaty était considéré comme un des meilleurs dessinateur de son époque ! Privilégiant le dynamisme du dessin au trait final, sa collaboration avec Nortier était au top niveau avec les aventures de Fanfan la Tulipe ! On peut moquer son graphisme assez simpliste mais le dessin, les plans de vue et les compositions de ses planches en font un cador de la bande dessinée !

  2. drouard dit :

    Superbe article sur ce dessinateur qui a contribué a toutes ces BD populaires de l’époque
    dans les différentes revues.
    Merci Mr Henri FILIPPINI de tout ces reportages.

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