Dix ans après la parution de « Résurrection », la première partie d’un diptyque accouché dans la douleur, voici enfin « Révélations » : conclusion du dernier récit du regretté Philippe Tome, décédé alors qu’il travaillait sur les dernières pages de son scénario. Les éditions Dupuis proposent, enfin, l’intégralité de cette aventure magistralement dessinée par Dan Verlinden, digne successeur de ses deux prédécesseurs : Luc Warnant et Bruno Gazzotti.
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Si les éditions Dupuis restent les leaders de ce secteur qui consiste à remettre en valeur le patrimoine de la bande dessinée francophone (et encore récemment avec une très belle intégrale des premiers « Valhardi » de Jijé et Jean Doisy), les petites structures ne sont pas en reste : elles sont même, en ce début d’année, les plus actives en ce domaine ! Que ce soit Le Coffre à BD, l’ABDL, Regards, Hibou, Fordis, La Vache qui médite…
Une fois de plus, il faut donc saluer l’excellent travail de restauration et de direction éditoriale des éditions Dupuis sur leurs intégrales : en effet, le premier volume de celle consacrée à « Valhardi » (« 1941-1946 ») — qui reprend les quatre premières aventures de ce héros sans peur et sans reproche créé dans le journal Spirou le 2 octobre 1941 (pendant l’occupation allemande en Belgique) — propose des versions respectant au mieux la parution initiale dans l’hebdomadaire.
Compilées autrefois dans les albums Dupuis « Jean Valhardi détective » (en 1943) et « Valhardi II » (probablement paru en 1948), les pages y avaient été remontées en cinq bandes dans un souci d’économie du papier et, par conséquent, charcutées pour une partie d’entre-elles.
Par la suite, elles ont même été entièrement redessinées et recolorées pour une parution dans deux volumes de la collection Tout Jijé, toujours chez Dupuis, en 2000 et 2010.
Et il y a aussi, comme d’habitude, un excellent dossier de cinquante pages richement illustrées, dû aux spécialistes de cette époque du journal Spirou que sont devenus Christelle et Bertrand Pissavy-Yvernault. Ces derniers nous racontent, avec force de détails et dans un style tout à fait agréable à la lecture, la genèse de ce puissant héros aussi blond que musclé.
Valhardi aurait pu correspondre à l’idéal aryen, mais au contraire il va, très rapidement, devenir le symbole d’une lutte enfin possible contre l’injustice, grâce à la plume habile d’un écrivain-rédacteur en chef et sympathisant communiste (Jean-Georges Evrard alias Jean Doisy) et au crayon d’un dessinateur extrêmement doué qui marquera de son empreinte ce que l’on appellera l’école de Charleroi et restera une référence pour les générations futures : Joseph Gillain dit Jijé.
Nous découvrons ici les prémices de son évolution graphique – alors qu’il hésite encore entre l’utilisation des clairs-obscurs ou des à-plats noirs des comics-strips américains et les choix précis et rigoureux de la ligne claire préconisée par son aîné Hergé, oscillant ainsi sans cesse entre réalisme et humour (voir Les « Spirou » de Jijé [1ère partie] et Les « Spirou » de Jijé [2ème partie]) —, tout en nous instruisant sur cette époque sombre du XXe siècle vécue dans les pages du magazine Spirou, ainsi que sur la brouille survenue entre les deux auteurs.
Par ailleurs, il nous tarde de feuilleter le deuxième tome qui devrait comporter quelque deux cents pages dessinées par Eddy Paape pour le journal Spirou, entre 1946 et 1950(la plupart sur scénarios d’Yvan Delporte qui remplacera Doisy à la tête de la rédaction du magazine), d’autant plus que celles-ci n’ont été éditées en album que sous la forme d’une rétrospective grand format en deux volumes en noir et blanc – assez mal imprimés – chez Michel Deligne, en 1975.
« Valhardi l’intégrale T1 : 1941-1946 » par Jijé et Jean Doisy
Éditions Dupuis [35 €] – ISBN : 978-2-8001-5727-6
En attendant d’autres intégrales qui devraient paraître dans les mois à venir chez l’éditeur belge (le premier tome de l’intégrale du « Gang Mazda » de Christian Darasse et Bernard Hislaire est déjà disponible, le volume 16 de celle de « Spirou et Fantasio » par Janry et Tome est prévu en mai, l’opus 3 de celle de « Charly » par Magda et Denis Lapière ou le premier de l’intégrale « Julie Wood » par Jean Graton sont annoncés pour juin…) (1), on peut aussi se délecter du nouveau tome de la collection 50 x 60 — dont la largeur vient légèrement d’être augmentée afin d’améliorer la qualité de l’image agrandie — éditée chez Niffle (nom de l’actuel rédacteur en chef de Spirou et label des éditions Dupuis) : le mythique « Chaminou et le Khrompire » de Raymond Macherot, prépublié en 1964 dans le journal Spirou.
Cette histoire animalière, entre caricature et cynisme, est souvent considérée comme le chef-d’œuvre du créateur de « Chlorophylle » et de « Clifton » (voir « Clifton », l’autre Macherot), voire comme l’un des chefs-d’œuvre de la bande dessinée en général !
Le but de la collection est de proposer les pages d’incontournables du 9eart franco-belge des années cinquante ou soixante en noir et blanc, dans une forme proche de la planche originale : le tout accompagné de courts, mais la plupart du temps judicieux, commentaires de l’érudit Hugues Dayez (le prochain est annoncé pour le 7 mai et il s’agira de « La Ribambelle en Écosse » par Jean Roba, épisode datant de 1963).
Ici, le journaliste belge met l’accent sur la mise en dérision, de la part de Macherot, des publicités qui, en ces débuts des années soixante, s’étalaient partout et commençaient à s’introduire chez les gens par le biais de la télévision, ainsi que du mythe de l’agent secret style James Bond dont les aventures envahissaient, quant à elles, les écrans de cinéma.
D’autre part, il nous montre bien que le héros, agent de la police secrète du roi, est complètement dépassé par les événements d’une histoire où cannibalisme et chirurgie esthétique servent d’ingrédients à une bande dessinée qui était, sans doute, beaucoup trop adulte pour être appréciée à sa juste valeur par les lecteurs de Spirou de l’époque.
« Chaminou et le Khrompire : 1964 » par Raymond Macherot
Éditions Niffle [28 €] – ISBN : 978-2-87393-062-2
Si cela continue comme cela, grâce aux éditions Dupuis et à de nombreuses petites structures, l’intégralité des principales bandes dessinées qui ont marqué le Spirou de la grande époque sera bientôt disponible sur le marché francophone… Voilà qui ne pourra que faire le bonheur des amateurs nostalgiques, mais aussi des plus curieux parmi les lecteurs qui n’ont pas connu cette période faste. Même si, en ce qui concerne la microédition, cela se limite évidemment à des tirages minimes qui se retrouvent très vite épuisés.
C’est le cas, par exemple, des productions de La Vache qui médite. Cet éditeur a proposé tout récemment, à deux cents exemplaires, le premier volet d’une intégrale des « Frères Clips » prévue en deux volumes cartonnés de quarante-trois pages en couleurs chacun et au dos toilé.
Les gags de ces inventeurs d’objets loufoques, comme la machine à faire les cocottes en papier ou le coupe-cigares universel, avaient été publiés sous la forme de courtes histoires ou de mini-récits dans Spirou, entre 1958 et 1969, et sont dus à l’imagination farfelue et fertile de Marcel Denis : auteur humoristique peu connu qui travailla pourtant avec André Franquin ou Jean Roba et dont La Vache qui médite a déjà édité deux albums de « Tif et Tondu » et « La Poudre silencieuse » (voir « Tif et Tondu » et L’atelier Franquin).
« Les Frères Clips » T1 par Marcel Denis
Éditions La Vache qui médite [25 €] — http://www.lavachequimedite.com
Il en est de même pour la quatrième aventure de la série humoristique « La Patrouille des astucieux » réalisée par Berck et ses assistants de l’époque : « Scoop toujours prêt ! ». Cette histoire, totalement inédite en langue française, a été publiée à l’origine en néerlandais (sous le titre « De Donderpadjes en de primeur van de dag ») dans le magazine Sjors, entre le n° 6 du 8 février 1974 et le n° 27 du 5 juillet 1974.
Quarante-quatre pages d’humour bon enfant réunies dans un album tout en couleurs et au dos toilé, tiré à trois cents exemplaires avec un ex-libris numéroté et signé par le dessinateur de « Sammy » dans Spirou ou de « Strapontin » et « Rataplan » dans Tintin (voir : « Strapontin »).
« La Patrouille des astucieux T4 : Scoop toujours prêt ! »par Berck
Éditions La Vache qui médite [25 €] — http://www.lavachequimedite.com
Quant à l’ABDL d’Hubert Holle et à l’association Regards de Jean-Paul Tibéri, elles coéditent, à seulement trente exemplaires, deux enquêtes de Babiol, le détective amateur du prolifique Érik : quarante-six pages publiées dans la revue Jocko et Poustiquet du groupe de presse des éditions Lajeunesse, entre février 1955 et avril 1956.
Ce sympathique petit reporter a d’abord été créé pour le magazine Paris-Jeunes de 1946 à 1947, alors qu’une autre série de ce prolifique dessinateur, « Vrac reporter », mettra en scène, dans Jeudi-Matin (en 1949), un personnage qui lui ressemble fortement.
À l’inverse, il faut savoir qu’il arrivera très souvent à Érik de reprendre les noms de certains de ses personnages pour d’autres séries éponymes où ces héros n’ont plus rien à voir avec les ceux de la publication d’origine.
Babiol en est un excellent exemple, puisqu’il réapparaîtra aussi dans l’hebdomadaire J2 jeunes des éditions Fleurus sous les traits d’un monsieur moustachu (en 1970).
En attendant, si cette version (la meilleure des trois) proposée en très grand format vous intéresse – et qu’il en reste encore —, il faut envoyer très vite un mail à hubertholle@orange.fr.
Par ailleurs, en se basant sur le même principe, Hubert Holle annonce, pour bientôt, d’autres productions rares de Pierre Frisano, de Ramon Monzon, de René Pellos et même de Martial (voir Disparition de Martial !) dont il voudrait proposer des reprises grand format de sa célèbre « Sylvie » parue dans Bonnes Soirées, à raison d’un album au format à l’italienne pour chaque décennie.
« Babiol, détective amateur » par Érik
Éditions ABDL/Regards [40 €] – à commander à hubertholle@orange.fr
Avec leurs cinq cents exemplaires pour « Dispositif Guet-apens » de Dino Attanasio et André Désiré Fernez [passionnante histoire d’espionnage proposée en 1964 dans Tintin et dont le protagoniste était Jimmy Stone, déjà héros de romans proposés dans l'hebdomadaire, entre 1959 et 1961, lesquels étaient illustrés par René Follet, puis par Édouard Aidans] et pour le premier tome de « Thierry le chevalier » par Carlos Laffond et Jean-Michel Charlier [devant le travail accompli, les premières réactions à cette réédition d’une aventure moyenâgeuse parue dans Spirou en 1957 sont toutes enthousiastes et les souscriptions pour le deuxième volume commencent à s’accumuler…], les éditions Hibou et Fordis Patrimoine passent presque, quant à eux, pour des éditeurs qui voient les choses en grand, si on les compare aux structures précédemment citées, dont les tirages sont bien plus anecdotiques.
« Jimmy Stone : Dispositif Guet-apens » par Dino Attanasio et André Désiré Fernez
Éditions Hibou [19 €] – ISBN : 2-87453-046-8
« Thierry le chevalier T1 : Le Chevalier sans nom » par Carlos Laffond et Jean-Michel Charlier
Éditions Fordis Patrimoine [22 €] – ISBN : 978-2-9536587-2-9
Notez que ces maisons d’édition [Fordis, Hexagon Comics, Hibou, Le Taupinambour, La Vache qui médite…] sont aussi, pour la plupart, diffusées sur Internet par Le Coffre à BD : un site créé il y a plus de dix ans et que les amateurs de bonnes vieilles bandes dessinées d’antan connaissent bien. Or, attention, son fonctionnement, du moins en ce qui concerne la production des propres albums du Coffre à BD [parmi les plus récentes réalisations, notons la poursuite de l’intégrale des enquêtes de « Finette » par Érik – sur Érik, voir Érik le prolifique ! [première partie] et Érik le prolifique ! [deuxième partie] - ou des rééditions des « Timour » de Sirius – voir Sirius -], va progressivement changer.
Ces ouvrages étaient, jusqu’à présent, imprimés une première fois en petite quantité [entre vingt et soixante exemplaires selon les titres], puis retirés à une dizaine d’exemplaires lorsque le livre était épuisé. Si, pour cette année, ce système va être encore effectif dans les anciennes conditions, à partir de 2016, le site imposera des souscriptions systématiques ; et c’est déjà d’ailleurs le cas pour certains albums à venir (le neuvième recueil des gags du « Boss » par Philippe Bercovici et Zidrou ou le premier des « Aventures de Placid et Muzo » par José Cabrero Arnal [voir Pif le chien : histoire d’une tragédie éditoriale]) et Pierre Olivier)…
Les internautes auront désormais, à l’avance, la description des albums à paraître et pourront ainsi réserver les albums qui les intéressent. À la fin de la période de promotion, le tirage sera exactement égal au nombre de souscriptions. Quand l’album sera disponible, les souscripteurs seront personnellement avertis et auront deux mois pour confirmer leur achat. Les albums non réclamés seront alors mis en vente via le site, mais l’album ne sera plus disponible ensuite.
Au fur et à mesure, au cours de l’année, il y aura de plus en plus d’albums en souscription et de moins en moins d’albums disponibles de façon classique. Il faut savoir aussi que ce système sera également étendu aux albums des éditeurs partenaires du site, au fil de l’année. Bref, pour ne pas rater les souscriptions proposées, il vaudra mieux demander à être averti en envoyant un mail à bernard@coffre-a-bd.com ou vous inscrire sur http://www.coffre-a-bd.com.
(1) Par ailleurs, dans le dernier numéro de Spirou (le n° 4014 du 18 mars 2015), les éditions Dupuis ont annoncé, dans le courrier des lecteurs, leurs nouveaux projets d’intégrales à venir : « Nous publierons à la rentrée le premier tome de l’intégrale « Boulouloum et Guiliguili », la série de Luc Mazel et Raoul Cauvin, ainsi qu’une intégrale mégagéante de « Germain et nous… » de Frédéric Jannin. À la fin de l’année, on vous proposera le premier tome de l’intégrale « 421 », la série d’espionnage d’Éric Maltaite et Stephen Desberg parue dans les années 1980. Sans compter les suites de « Spirou et Fantasio », « Billy the Cat », « Buck Danny », « Charly », « Les Petits Hommes » ou encore « Les Schtroumpfs ». De quoi déjà bien remplir sa bibliothèque ! »
C’est important d’évoquer ces petites structures qui ont su activer voire réactiver la publication de séries qui, soit n’étaient pas éditées car « on » pouvait penser que cela n’intéressait personne, soit étaient abandonnées du catalogue de l’éditeur car « dépassées » et/ou peu rentables. Grâce à elles et pour un certain temps, ces structures démontrent que le Patrimoine de la Bande Dessinée est très ancré dans l’inconscient collectif et que cela a marqué bon nombre de génération.
Et depuis quelques années, ces « gros » éditeurs, reprennent ces initiatives à leurs comptes.
)
Merci Gilles pour ton très très très bon article sur mes parutions.( Je ne donne pas d’argent quand même). Je complète en disant que les albums sont de format A3 (Hélas difficile à ranger), classique ou à l’italienne (Comme les Tony Laflamme), que la vente ne se fait que par souscription depuis toujours (22albums parus), que les éditions sont aléatoires et que le Frisano correspond à des bandes verticales parues dans Paris Jour, Monzon des histoires courtes, ces deux albums avec le révérend JP Tibèri, Pellos des dessins parus dans Match Sport des années trente et que les Sylvie seront réalisés avec l’aide de Véronique, fille de Martial. Le tout peut-être dans l’année.
Bises et bon courage à tous les micros éditeurs.
Hubert HOLLE
L’avenir, c’est l’impression à la demande des catalogues des éditeurs historiques, pour ceux qui veulent vraiment une version papier. Pour les autres, il serait bon que ces volumes soient disponibles en version électronique (cbr, cbz…) à l’achat ou bien en streaming sur un site de lecture par abonnement ou bien financé par la pub, sur le modèle Deezer ou Spotify pour la musique.