Le Hurrah ! d’après-guerre… (première partie)

Après le portrait du patron de presse Cino Del Duca (voir Cino Del Duca : de la presse du cœur à la BD…), et une étude détaillée de son L’Intrépide (voir L’Intrépide, un hebdomadaire classique [première partie] et L’Intrépide, un hebdomadaire classique [deuxième partie]), Henri Filippini vous propose un tour d’horizon d’un autre de ses hebdomadaires de bandes dessinées : Hurrah !.

Hurrah ! avant Hurrah !

Bien que le sujet de cette étude soit l’hebdomadaire Hurrah ! publié après-guerre, il est bon de revenir un instant sur les origines de ce magazine. Suivant les traces de Paul Winkler avec son Journal de Mickey, lancé en octobre 1934, Cino Del Duca, sous l’égide de la SEPI (Société d’éditions et de périodiques illustrés), publie Hurrah ! neuf mois plus tard, le 5 juin 1935 : un hebdomadaire de grand format, qui sera bientôt (au n° 27 du 4 décembre) identifiable grâce à une louve qui hurle à la Une, une nuit de pleine lune.

Bien que la présentation soit moins soignée que celle de son illustre modèle, Hurrah ! devient rapidement un illustré indispensable aux jeunes lecteurs de l’âge d’or avec ses séries américaines incontournables : « Brick Bradford » par Clarence Gray et Clarence Gray, « Le Roi de la police montée » (« King of the Royal Mounted ») par Allen Dean, puis Jim Gary, et Zane Grey, « Ace Drummond » par Clayton Knight, « Myra l’infirmière héroïque » par Charles Coll et Ray Thomson, « L’Imbattable Pinky » (« Radio Patrol ») par Eddie Sullivan et Charles Schmidt, « Tarzan » par William Juhré puis par Rex Maxon, « Donal Dixon » (« Donald Dixon and the Hidden Empire ») par Carl Pfeufer et Bob Moore, « Les Boucaniers » (« Hawk of the Seas ») par Will Eisner, « Bob l’aviateur » (« Scorchy Smith ») par Frank Robbins, « Gordon soldat de fortune » (« Gordon Fife and the Boy King ») par John Hales, puis Carl Pfeufer, et Bob Moore, « Le Fantôme d’acier » (« Blue Beetle ») par Charles Nicholas, « Le Masque rouge » (« The Lone Rider », voir Jack Kirby et Frank Robbins, quand deux géants se rencontrent…) par Jack Kirby, puis Frank Robbins, « Condor noir » (« Black Condor ») par Lou Fine, « La Patrouille héroïque » (« Roy Powers, Eagle Scout » par Frank Godwin…

Alors que sa fin approche, quelques dessinateurs français sont brièvement présents dans ce riche sommaire : René Brantonne [« Marco Polo »], René Giffey [« Surcouf, roi des corsaires »],

Couverture par Étienne Le Rallic.

Raymond Poivet [« Les Aventures du Val d’or », voir Raymond Poïvet (1ère partie)]… La parution de ce Hurrah ! au goût américain, après une interruption au n° 264 du 23 juin 1940, se poursuit parallèlement en zone libre pendant l’Occupation, le temps de dix numéros publiés du 10 décembre 1940 au 22 janvier 1941, alors que la série officielle reprend avec un autre n° 264 au 10 décembre 1940, jusqu’à son n° 334 du 16 avril 1942.

Après-guerre, Hurrah ! revient le 15 février 1951, d’abord sous forme d’un pocket, le quatrième du genre en France, proposé par la SUE [Société universelle d’édition], filiale des éditions Mondiales de Cino Del Duca. Seuls les deux premiers numéros porteront ce titre, les vingt suivants devenant, sans tambour ni trompette, Super Aventure : magazine qui cesse de paraître en avril 1953. Ne contenant que des récits complets, ce bimestriel, puis mensuel, ouvre ses pages à des auteurs qui seront familiers aux lecteurs du futur hebdomadaire : René Giffey avec « Les Négriers de la Côte d’Ivoire » et « Le Corsaire noir » [au total soixante-neuf pages contenues dans le premier numéro], les frères Willy et Yves Groux, Roger Melliès, Roger Burty, Guy Mouminoux… Il leur faudra attendre six mois pour retrouver Hurrah ! en kiosque, cette fois-ci pour une longue aventure hebdomadaire que nous allons vous conter…

Hurrah ! à défaut de Tarzan

Contraint par la censure de plus en plus dissuasive d’abandonner son Tarzan grand format en mai 1952 avec son n° 293 [comme nous l’avons vu dans la récente étude de ce journal, les histoires en cours seront reprises par L’Intrépide, à partir de son n° 131], Cino Del Duca, qui ne renonce pas, propose un nouveau Tarzan au contenu plus soft à partir du 28 mars 1953.

Hélas, après avoir publié 24 numéros de 12 pages de grand format, une nouvelle fois aux prises avec les censeurs, l’indomptable éditeur italien adopte le format d’un magazine classique de 24 pages espérant les calmer ainsi. Hélas, une fois encore, catholiques et communistes réunis l’emportent, et contraignent l’éditeur à jeter l’éponge au n° 31 du 24 octobre 1953. Numéro qui se confond avec le premier exemplaire de Hurrah !, lequel prend la suite sous le label des Publications périodiques modernes (PPM), autre filiale de l’éditeur italien… C’est donc à défaut de Tarzan (dont les exploits se poursuivent dans des fascicules indépendants que, curieusement, Dame Anastasie tolère) que Cino Del Duca redonne vie à Hurrah !, quelques mois plus tard. On peut y suivre en première page, seulement pour quelques semaines, les aventures humoristiques de Francis le mulet qui parle, vedette d’une série de films produits par Universal aux États-Unis arrivée dans le n° 25 de Tarzan. La version américaine en strips est signée Cliff Rogerson et produite par l’UFS.C’est dans ce même n° 1 de la nouvelle numérotation que débute « Chandra prince royal » [« Chiomadoro, il Principe del sogno »], longue saga d’aventures exotiques née en 1952 dans l’hebdomadaire italien Intrepido, où le héros poursuit ses aventures jusqu’en 1963.

Imaginées par Luigi Grecchi, elles sont illustrées par Erio Nicolò [1919/1983] qui débute avant-guerre dans L’Avventuroso, crée plusieurs séries dans Intrepido dont « Superbone », « I Laramy della Valle », « Karate »… et intègre l’équipe des dessinateurs de « Tex Willer » en 1964.

Jeune et séduisant prince indien au temps de la colonisation britannique, accompagné par sa fiancée Zaïra, son tigre Marana et son destrier Sciabar, Chandra, surnommé « Tête d’or » à cause de ses longs cheveux blonds, combat l’injustice dans des régions inhospitalières encore sauvages. Présente dans tous les numéros de Hurrah ! [jusqu’au n° 293 du 29 mai 1959], cette série se poursuivra dans L’Intrépide-Hurrah !, Mireille [voir Mireille, un hebdomadaire pour le lectorat juvénile féminin… (troisième partie) et Mireille, un hebdomadaire pour le lectorat juvénile féminin… (quatrième et dernière partie)] et enfin dans Télé Poche, à partir de 1966.Autre longue série parue dans Intrepido, de 1951 à 1963 (du n° 1 au n° 293) : « Duck Hurricane, le cavalier du Far-West », la version française du western « Bufalo Bill » de Luigi Grecchi et Carlo Cossio [1907/1964].

Ce dessinateur signe ses premières BD au début des années 1930, dont « Dick Fulmine » et « Cuore Garibaldino », dessine quelques épisodes de « Pepito » pour la Sagedition et « Valentin » pour Lug.

Bien que n’ayant qu’un seul « f », ce « Bufalo Bill » aurait fait double emploi avec celui de Giffey présent dans Tarzan, d’où ce changement d’identité. Cette série aux dessins rugueux se poursuivra, elle aussi, dans L’Intrépide-Hurrah !, puis dans Mireille.

Critiqué pour son manque d’originalité par certains « spécialistes », ce western livré en doses copieuses a quand même résisté à toutes les transformations du journal.

Toujours né en Italie, « Yann, mousse du Goéland » [« Nat del Santa Cruz »] de Gian Giacomo Dalmasso et Ferdinando Tacconi, après une publication dans Tarzan, n’est présent que quelques semaines dans le journal, avant de rejoindre plus longuement L’Intrépide, sous le titre « Nat du Santa Cruz ».Parmi les autres séries étrangères également commencées dans Tarzan, notons « Le Capitaine Gordon », strip quotidien américain créé en 1935 [« Gordon Fife and the Boy King »], signé pour le scénario Bob Moore et John Hales, puis Carl Pfeufer, pour le dessin, déjà traduit dans la première série de Hurrah !. Enfin, les planches du dimanche (publication originale à partir du 1er mars au 12 juillet 1953) de « Terres jumelles » [« Twin Earths »], excellente bande de science-fiction d’Oskar Lebeck au scénario et Alden McWilliams aux dessins, produite par United Features Syndicate à partir du 16 juin 1952, est traduite du n° 1 au n° 14 ; ceci après une publication en couleurs, remontées dans le format vertical, dans Tarzan, en 1953.

Quelques pages seront aussi proposées dans Johnny en 1970, dans Rétrospective BD en 1978, et dans un album confidentiel [99 exemplaires] proposé par Le Cousin Francis dans sa collection Spatial en 2008.Les créations françaises présentes dans Tarzan se poursuivent : « Jean Bart le lion des mers » par Fabien Richelmy et René Giffey qui adapte aussi « Les Trois Mousquetaires » et le « Comte de Monte-Cristo ».« Robin des Bois », disparu de Tarzan en 1949, est de retour dans un long récit écrit par Renaud Fontenay pour Jacques Souriau, remplacé à son décès en 1957 par Guy Mouminoux, qui se poursuivra jusqu’au dernier numéro du journal.Enfin, retour encore, dès le premier numéro, du nouveau Tarzan, de « Pour l’honneur l’insaisissable », récit héroïque au temps de la Résistance de Jean Prado dessiné par Remy Bourlès [1905/1997].

Ce dessinateur débute dans les récits complets d’après-guerre, crée « Bob Mallard » dans Vaillant, collabore aux magazines de Del Duca [L’Intrépide, Tarzan, Hurrah !, Mireille, Paris-Jour, Intimité], la Vie en fleurs…), à Tintin, à Lisette, aux collections Mon Journal (« Mousqueton », « Richard le bien-aimé »…), signe des strips pour Mondial Presse…

Débutée sous le titre « Jean Riposte, l’insaisissable » en 1950, dans les pages de Tarzan, cette nouvelle version se poursuivra jusqu’en 1957 dans Hurrah !, après un court passage dans L’Intrépide. Les exploits d’un blond espion œuvrant pour la Résistance contre les nazis, parcourant la planète tout au long cours de la Seconde Guerre mondiale.Notons encore que les premiers numéros de Hurrah !, sans la louve à la Une, sont vendus avec des lunettes vertes et oranges, destinées à pouvoir lire dans de bonnes conditions quelques bandes dessinées américaines enfantines, comme « Mighty Mouse » (série produite par Paul Terry), « La Famille Kangourou » ou « La Petite Eva », proposées en relief.

On assiste à un premier changement de cet hebdomadaire, publié le samedi, dès son numéro 9 : avec l’abandon du papier mat pour un papier brillant qui, hélas, n’arrange pas la qualité de reproduction des bandes dessinées. Innovation encore, au n° 13 du 16 janvier 1954, avec la publication d’un récit complet, dont la présence sera récurrente jusqu’à la disparition de Hurrah !. Le départ de ce brave « Francis » (suivi par ceux du « Capitaine Gordon » et de « Terres jumelles ») permet à ces récits complets d’être annoncés en première page, par un grand dessin.

Dans un premier temps, ces histoires sont des traductions de récits publiés en Italie dans l’hebdomadaire Albi dell’Intrepido : il y en aura 1 610 numéros qui seront publiés de 1946 à 1976, passant de 8 pages au début à 96 pages à sa disparition, proposant des jeux, des pages d’actualité et des histoires complètes écrites par Luciana Peverelli, Domenico Del Duca, Luigi Grecchi, Antonio Mancuso, Alberto Tosi, Corrado Zucca, Franco Baglioni… Ces histoires couvrant tous les genres sont illustrées par les auteurs maison : Carlo Savi, Carlo et Vittorio Cossio, Antonio Salemme, Giorgio Scudellari, Lina Buffolente, Aurelio Galleppini, Virgilio Muzzi, Pini Segna, Antonio Toldo, Giorgio De Gaspari, Lino Jeva, Walter Molino (voir Walter Molino : un maître oublié de la bande dessinée italienne), Armando Bonato, Mario Uggeri…Contrairement à L’Intrépide, qui propose un rédactionnel varié, Hurrah ! se limite, hors bandes dessinées, à la publication d’un seul roman : « La Jeunesse de Catamount », signé par l’écrivain populaire Albert Bonneau (qui vient d’être adapté en BD) et illustré par Roger Melliès. On ne peut pas dire que Cino Del Duca aura lésiné sur les moyens pour lancer dans de bonnes conditions son nouveau journal.

De formule en formule

Après la disparition des « Trois Mousquetaires » au numéro 10 (l’histoire demeure inachevée sans la moindre explication) et du « Comte de Monte-Cristo », René Giffey ne conserve que « Jean Bart ». La création est réduite à cette page, à celle de « Robin des Bois » et aux trois planches de « L’Insaisissable » : pas de quoi faire exploser le budget.

Alors que « Surcouf » et Giffey quittent définitivement le journal au n° 55, il faut attendre le numéro 77 (9/4/55) et son passage à un petit format de 14×18 cm avec 40 pages (annoncé comme une « formule unique » dans le précédent numéro) pour découvrir deux nouvelles histoires : « Ace champion de l’espace » et « L’Écusson d’or ». Si les origines de cette dernière demeurent inconnues, Ace O’Hara, flanqué de la blonde Betty, est un classique conquérant de l’espace campé par Basil Blackaler pour un strip quotidien produit par Mercury Features (on le retrouve en France dans les pockets Aventure Fiction, Sidéral, Plutos, Astronomic…). La formule « révolutionnaire » dure six semaines avant que Hurrah ! ne revienne discrètement à son ancien format et à ses 24 pages, dès le n° 83 (21/5/55).

À l’horizon de son centième numéro, Hurrah ! modifie sa présentation en douceur. « Zim et Boum », série animalière sympathiquement dessinée par Roger Cartier (1893/1971, caricaturiste affichiste, illustrateur, collaborateur du Rire, La Baïonnette, Excelsior dimanche…, et auteur de BD animalières aux éditions Mondiales) s’installe durablement au n° 97 tandis que Yann et son Goéland quittent le journal au n° 101.

Hurrah ! propose une couverture pleine page originale à partir du n° 103 (8/10/55) signée par des auteurs anonymes, mais aussi par Noël Gloesner (voir Noël Gloesner), Jean-Loup, Henri Dimpre… et Paul Ordner qui, comme pour L’Intrépide, en devient le quasi-titulaire à partir du n° 174 (9/2/57).

Ce même numéro voit débuter la version BD en quatre pages d’un film (à l’époque pas de droit à l’image à payer), adapté par Alain Bertrand et mis en images par une solide équipe de dessinateurs : Edmundo Marculeta (1923/1989, ce dessinateur espagnol arrivé en France en 1949 collabore à Jean-Pierre, Le Hérisson, Record, Lisette, Marius où il signe des récits adultes et crée le très osé « Eurostanton » en 1978, en Espagne), Guy Mouminoux, Miguel Muñoz (né en 1925, ce dessinateur espagnol émigre en France en 1956 et travaille à Vaillant [« P’tit Joc »], Bayard, Bernadette, Zorro… De retour en Espagne, il abandonne la BD pour la peinture), Rémy Bourlès, Pierre Brisson, Jacques Souriau, André Galland, René Brantonne, Jean-Loup… et surtout Bob Dan.  Le rédactionnel s’étoffe avec la rubrique « Portrait de vedette » d’Alain Bertrand et l’incontournable roman avec, toujours, l’indestructible « Catamount ».

À suivre…

Henri FILIPPINI

Compléments bibliographiques, relecture et mise en pages : Gilles Ratier

Pour avoir un aperçu plus détaillé du contenu de Hurrah !, voir : http://bdoubliees.com/hurrah/index.html.

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Une réponse à Le Hurrah ! d’après-guerre… (première partie)

  1. breval dit :

    quand chandra prince royal et duck hurricane serot ils réé dités

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