Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
Lire la suite...Marijac : l’homme qui savait tout faire (première partie) !
Marijac est un nom qui évoque bien des souvenirs à ceux qui n’étaient que des adolescents, juste après la Seconde Guerre mondiale : celui d’un formidable touche-à-tout qui, du dessin au scénario en passant par la presse, a pratiqué tous les métiers concernant l’édition des bandes dessinées. Dessinateur, scénariste, éditeur, diffuseur, agent de presse et même auteur ou acteur de divers romans-photos, Marijac aura marqué l’histoire du 9e art : toujours avec panache !
Fils d’un père terrassier et d’une mère femme de ménage, tous deux originaires du Centre de la France et émigrés à Paris, Jacques — Ernest de son second prénom — Dumas est né le 7 novembre 1908 dans le faubourg Saint-Antoine (11e arrondissement). Tout en travaillant dans une usine, il pratique le football et l’athlétisme à la J. A. (Jeunesse athlétique) de Montrouge. Passionné par le dessin, Jacques Dumas obtient le deuxième prix d’un concours organisé par la ville de Paris. Il renonce cependant à l’École Estienne — où il a été admis —, parce qu’il n’a pas les moyens de se payer le métro quatre fois par jour. Remarquant qu’il possède un bon coup de crayon, le secrétaire général de l’association sportive lui propose d’illustrer Jeunes : le journal de la fédération. Les piges ne sont pas faramineuses, mais cette modeste collaboration lui permet de publier sa première bande dessinée : « Achille traverse l’Atlantique ». Les exploits sportifs d’Achille, athlète complet accompagné de son ami l’ours Ratapoil, sont remarqués par Marcel Oger : le directeur de L’Auto, l’ancêtre de L’Équipe. Oger lui offre de collaborer au quotidien sportif, où il commenceen illustrant le match Carpentier contre Dempsey (le 2 juillet 1921).
À l’époque, le futur Marijac — qui signe alors Dum’s — travaille dix heures par jour à l’usine tout en dessinant et en participant à des compétitions sportives ! C’est donc en parfait autodidacte qu’il aborde la profession de dessinateur en ce milieu des années 1920 : « Je pense que le don de dessiner vient surtout de celui d’observer, le cerveau restituant à l’imagination du dessinateur les scènes ou mouvements qu’il a enregistrés. En somme, une sorte d’ordinateur cérébral dont la main ne serait que le traducteur habile et fidèle », confie-t-il dans ses souvenirs (1), publiés en 1978.
Enfin pro dans Cœurs vaillants…
Au début des années 1930, comme il vient tout juste de se marier, Jacques Dumas hésite entre devenir assureur ou poursuivre dans le dessin — métier qui pour le moment ne nourrit pas son homme. Encouragé par son aîné Étienne Le Rallic (1891–1968), dessinateur de premier plan dès avant-guerre, il choisit de poursuivre ses efforts dans la carrière de dessinateur et adopte le pseudonyme Marijac : réunissant ainsi son prénom et celui de sa femme, Marie.
Le jeune dessinateur contacte l’hebdomadaire Cœurs vaillants, lancé le 8 décembre 1929 par une équipe de prêtres ; plus particulièrement par l’abbé Gaston Courtois, lequel sera connu des lecteurs sous la signature Jacques Cœur. Ses premiers dessins sont publiés dans le n° 24 du 14 juin 1931. Il campe, dès le n° 27 (05/07/1931), le personnage de Jim Boum.
Situé dans un premier temps dans un registre humoristique, le jeune cow-boy affronte l’Indien Harry Korouge en trois dessins, puis rapidement sur une page hebdomadaire publiée à la une du journal. La série « Jim Boum » cède la place aux « Aventures de Césarin Pitchounet » du n° 1 de 1933 au n° 38 de 1934. Au fil des pages, le dessin de Marijac évolue, utilisant uniquement des phylactères (encore peu fréquents dans les bandes dessinées françaises). Jim Boum, petit-fils du premier, revient vivre de nouvelles aventures dans un style cette fois-ci réaliste, à partir du n° 39 (23/09/1934). Passant sans le moindre problème du Far West à la Seconde Guerre mondiale, Jim Boum est présent dans l’hebdomadaire catholique jusqu’au n° 17 du 23 juillet 1944.
Après « Jim Boum au Mexique », « Jim Boum, chevalier de l’air », « L’Irradium X 40 » et « Le Chasseur de mustangs », l’épisode « L’Énigme du canyon rouge » demeure inachevé pour cause de guerre, et de pénurie de papier.
Toujours dans Cœurs vaillants, Marijac présente « Les Grandes Croisières du capitaine Pat’Fol », du n° 17 (28/04/1935) au n° 4 (26/01/1936).
Aux côtés de « Tintin » et de « Jo, Zette et Jocko » d’Hergé, avec lequel Marijac est très lié, « Jim Boum » — qui reviendra après-guerre dans Coq hardi — est alors la troisième grande série de Cœurs vaillants.
L’épisode « Le Secret des monts Latanas » est réédité dans Album magazine — Coq hardi en 1945, puis par Apex en 1997, dans un tirage limité de 250 exemplaires (collection Bedephilia). « Il est vrai que nous avions des tempéraments opposés : autant Hergé le Belge était calme et précis, autant Marijac l’Auvergnat était survolté et brouillon, la cervelle farcie d’histoires qu’il essayait de réaliser, planchant de six heures du matin à minuit », dit-il à propos de sa relation amicale avec Hergé.
… et dans Pierrot
Lancé le 27 décembre 1925 par les éditions de Montsouris, qui proposent déjà Lisette pour les filles, l’hebdomadaire Pierrot s’adresse à un lectorat plutôt catholique et bien-pensant. Il faut attendre 1934 — peu avant le passage du journal au grand format en 1935 — pour qu’apparaisse la signature de Marijac.
« Rouletabosse reporter » débute dans le n° 23 (10/06/1934) et se poursuit jusqu’au n° 8 (20/02/1938). Accompagné par son ami Zim, l’intrépide journaliste Rouletabosse parcourt le monde, du Labrador au Far West.
Notre dessinateur crée également « Costo chien policier », qui arrive dans le n° 16 (21/04/1935) et se termine dans le n° 9 (28/02/1937). Ayant les honneurs de la dernière page en couleur, Costo et son ami Bouboule luttent contre le sinistre Marcassin, tout au long de cette réjouissante bande dessinée animalière qui, après-guerre, sera poursuivie dans Coq hardi par Claude Marin.
C’est pour obtenir le Grand Prix du chasseur d’images que le Marseillais Onésime Pellicule se lance dans une folle course à travers le monde, dotée d’un prix de 50 000 dollars. Ses exploits sont proposés dans Pierrot du n° 10 (07/03/1937) au n° 11 (13/03/1938).
En parallèle de ces trois personnages au long cours, notons quelques histoires plus courtes, mais non moins marquantes pour les jeunes lecteurs : « Z.29 S.O.S. », « Jim et Joe, les gars de la marine » et « Les Chasseurs de monstres » en 1938 ou « François Veyrac, émigrant français » en 1939.
À ces travaux réguliers, il faut ajouter quelques collaborations de moins longue durée, développées au cours de ces années d’avant-guerre. Pour le quotidien L’Ouest-Éclair — dont le tirage flirte avec les 800 000 exemplaires —, Marijac dessine le strip « Jules Barigoule, détective amateur », mais aussi « Rozet cochon de lait » et « Les Grandes Chasses du capitaine Barbedure », destinés à la page jeunesse du jeudi. Ces deux séries seront reprises en albums par les éditions liégeoises Gordinne. Il crée « Jim Clopin Clopan » pour Le Bon-Point amusant et « Baptistou le petit Auvergnat » pour L’Auvergnat de Paris.
« Féliçou chevalier des sous-bois », proposé dans L’Ouest-Éclair en 1938 et qui n’est que la reprise du début de « Baptistou le petit Auvergnat » avec une fin écourtée et différente, sera repris en album aux éditions S.E.L.P.A. en 1945. Citons encore « Zezette cheftaine » pour 4 Heures, « Patos enfant de la brousse » dans Le Journal de Bébé en 1939, repris dans Nano et Nanette.
« Déjà pratique, je récupérais après parution non seulement mes originaux, mais aussi les clichés typo de mes séries, que m’achetait généreusement 1 000 francs anciens par album l’éditeur belge Gordinne », confie-t-il dans son ouvrage de souvenirs (1). Signalons que c’est encore grâce au dessinateur Étienne Le Rallic que Marijac est entré en contact avec Gordinne. Il y réalise de nombreux petits albums de 1936 à 1938 : « Flic et Piaf » — un de ses premiers scénarios, qu’il dessine à quatre mains avec son illustre aîné —, « Sidonie en vacances », « Joé Bing l’intrépide », « Line et Zoum », « Le Capitaine Bricket »…
Ses dessins aux personnages rondouillards et sympathiques, son utilisation systématique des bulles et ses scénarios délirants et mouvementés lui assurent l’estime de ses lecteurs. « La bande dessinée en était à ses balbutiements. Avec Alain Saint-Ogan, j’étais l’un des rares dessinateurs à opérer sous cette nouvelle forme de présentation, aussi le travail ne manquait pas. J’avais une situation très prospère et une vie agréable. » (1)
Des années de guerre déchaînées
Au début du second conflit mondial, mobilisé au 2e bataillon du 11e R.D.P. (régiment de dragons portés), Marijac crée un petit journal destiné à entretenir le moral des troupes.
La Vie est belle ! est un « fanzine » imprimé sur pâte à polycopier, qui lui vaut des critiques élogieuses dans la grande presse : de Paris-Soir à Marianne, lesquels en reproduisent certains articles… illustrés par Marijac.
Cœurs vaillants lui offre un numéro spécial reprenant ses meilleurs articles et dessins : une fortune !
Mieux, une machine à polycopier Gestetner, offerte par la comtesse de Saint-Quentin, marraine du régiment, lui permet de porter le tirage de 120 à 1 500 exemplaires.
Le succès de La Vie est belle ! lui vaut une promotion !
On lui demande de créer un autre journal : Le Cheval mécanique, qui ne connaîtra qu’un seul numéro, à la suite de l’invasion de la Belgique par l’Allemagne.
Finalement prisonnier des Allemands après les combats sur la Loire, Marijac finit par s’évader. Démobilisé à Meymac,en Corrèze, il rejoint après de longs mois de séparation sa femme et sa petite fille en Auvergne : à Saint-Germain-Lembron. Il apprend que son ami Hergé a séjourné chez lui quelques jours — avant de résider, un mois durant, dans un logement vacant à Collanges, à quelques kilomètres de Saint-Germain-Lembron —, avant de regagner la Belgique le 28 juin 1940. Il reprend sa collaboration avec Cœurs vaillants, dont la rédaction s’est repliée à Clermont-Ferrand. À la même époque, il travaille pour le journal Siroco, réfugié lui aussi à Clermont-Ferrand. « Les années 1941, 1942 et 1943 furent l’une des périodes les plus peinardes de ma vie. Deux à trois jours de dessin par semaine ! », écrit-il. C’est au cours de ses parties de chasse, de pêche ou de cueillette qu’il rencontre les maquisards qui transforment, selon lui, la région en véritable Far West. Le capitaine Charles, l’un des chefs du maquis, lui propose d’éditer pour ses hommes un petit journal du genre de La Vie est belle ! Avec enthousiasme, Marijac se lance dans la conception du Corbeau déchaîné : le journal illustré du maquis auvergnat. L’Avocat, Pinceau et la Torpille — les fameux « Trois Mousquetaires du maquis » qui seront même repris en albums, bien plus tard — voient le jour dans ce modeste journal clandestin. Illustrées de dessins aux légendes très engagées, ces feuilles imprimées sur de la pâte à polycopier témoignent de l’inconscience qui régnait à l’époque.
Coq hardi : un journal tricolore
Les villes d’Issoire et Clermont-Ferrand libérées, Le Corbeau déchaîné se saborde. Avec 15 francs en poche, Marijac doit rapidement trouver de quoi nourrir sa petite famille, laquelle compte une seconde fille depuis peu. Il livre quelques histoires aux éditions Gordinne — qui tentent de relancer leur hebdomadaire Wrill —, il crée « Féliciou » dans Sang nouveau, « Coustarel » dans L’Auvergnat de Paris…
L’idée d’un journal pour les jeunes lui trottant dans la tête, il contacte à Clermont-Ferrand le commandant Ligier qui dirige le MLN (Mouvement de libération nationale, de tendance gaulliste).
Son action de résistant lui permet d’obtenir le précieux droit au papier, le 12 octobre 1944 (juste après-guerre, le papier est encore rationné) : un sésame qui va lui permettre d’imprimer les 2 500 exemplaires de son futur journal.
La maquette étant prête, le premier numéro de Coq hardi (3) sort le 20 novembre 1944, au prix de quatre francs.
Quatre pages au sommaire sont entièrement réalisées par son concepteur : la série « Les Trois Mousquetaires du maquis » — en première page — permet de retrouver sa bande de farfelus née dans Le Corbeau déchaîné. L’Avocat, Pinceau et la Torpille forment un trio de choc face à l’occupant « fritz ».
Ils poursuivent leurs exploits dans Coq hardi (3) jusqu’au n° 153. Des rééditions sont publiées dans diverses revues créées par Marijac : Héros du Far West, Cocorico, Paris Centre Auvergne… Notons que 13 fascicules à l’italienne sont publiés par S.E.L.P.A. en 1945. Deux albums seront édités par Albatros en 1968 et 1969, un troisième par les éditions de Châteaudun en 1983.
Toujours de Marijac, « Tonnerre sur le Pacifique », une histoire de guerre au trait réaliste, est présentée en dernière page.
Les deux pages centrales en noir et blanc sont réservées à une nouvelle (« Au service de la France »), à « Lyne et Zoun » — reprise d’une autre bande de Marijac —, ainsi qu’à un portrait du général de Gaulle. « Jugez de ma jubilation, lorsque je vis naître mon journal couleur par couleur, sur la vieille bécane offset imprimant plaque par plaque. Je ne pense pas qu’aucun directeur de journal ait pu ressentir autant de joie et de satisfaction que moi. Je passais la nuit à l’imprimerie, le lendemain matin Coq hardi était né, mis au monde aux forceps par son créateur ! », écrit-il dans Haga n° 20-21 de janvier 1976.
Les dix premiers numéros paraissent plus ou moins régulièrement tous les dix jours. Notons l’arrivée, dans le n° 6, du western « Poncho Libertas », dessiné par son ami Le Rallic. Ce récit marque les véritables débuts de Marijac scénariste, une fonction qui prendra de plus en plus de place dans sa vie au fil des années.
Les débuts du journal, au gré des autorisations, sont difficiles, mais Marijac tient bon : les ventes augmentent, jusqu’à dépasser les 150 000 exemplaires. Il occupe tous les postes, tout en développant, comme nous l’avons vu, une nouvelle activité : scénariste. Jusqu’alors cantonné dans l’humour, il se révèle un excellent conteur d’histoires réalistes, dans les genres les plus divers. Au fil des années, il propose dans son journal des séries devenues cultes pour toute une génération de jeunes lecteurs, confiées à une solide équipe de dessinateurs français parmi les meilleurs :
— « Poncho Libertas », débuté dans le n° 6 (20/01/1945), se poursuit jusqu’au n° 145 (30/12/1948). Poncho est un justicier qui, accompagné du jeune Indien Petit-Cactus, vient en aide aux paysans mexicains exploités par les colons blancs. Un western humaniste dessiné par le vétéran Étienne Le Rallic. L’intégralité de la série est reprise en trois albums par les éditions Glénat de 1977 à 1979.
— « Le Capitaine fantôme » fait suite à « Chasse au corsaire », paru du n° 10 (avril 1946) au n° 31. C’est une longue histoire de flibuste, superbement dessinée par Raymond Cazanave (1893-1961), qui débute dans le n° 66 (01/11/1946). Le chevalier Jean de Veyrac traque le démoniaque Capitaine fantôme, qui retient prisonnière la brune Juanita Cavaleros, dont il est amoureux. Un récit mouvementé, aux dessins aux noirs et blancs contrastés, écrit par Jacques François : un pseudonyme de Marijac. La suite (« Le Vampire des Caraïbes ») prend fin dans le n° 132. Deux albums reprennent ces pages aux éditions Glénat en 1976 et 1977, puis en intégrale en 1999.
— « Guerre à la Terre » permet à Marijac d’aborder la science-fiction avec Auguste Liquois (1902-1969) : dessinateur au trait précis et inventif. L’histoire débute dans le n° 10 (avril 1946) pour se terminer dans le n° 69. Un second épisode dessiné par Dut (pseudonyme de Pierre Duteurtre, 1911-1989) est proposé du n° 85 au n° 121 (15/07/1948). Le colonel Veyrac combat de redoutables Martiens qui envahissent la Terre. Deux albums sont édités par Glénat en 1976 et 1977, puis en intégrale en 1999.
— « Colonel X » : après avoir dessiné « Maquis contre SS » (scénario de Lucien Bornert), Raymond Poïvet (1910-1999) (2) signe, du n° 81 au n° 156 (17/03/1949), le premier épisode de cette série au scénario encore signé Jacques François (donc, Marijac).
Le héros est un résistant, luttant dans l’ombre contre l’occupant allemand, secondé par la blonde Souris blanche.
Le second épisode débute dans le n° 175, mis en images par Christian Mathelot (1923-2013) (2), dessinateur talentueux qui vient alors de terminer l’adaptation du « Grand Cirque » (n° 143 à 174), d’après le célèbre roman de Clostermann.
Le colonel X poursuit son combat en France, puis en Extrême-Orient jusqu’au n° 187 de la deuxième série (22/06/1954), avant d’être repris graphiquement par Noël Gloesner (1917-1995) (2), puis par Kline (pseudonyme de Roger Chevallier, 1921-2013) (2).
Des épisodes sont réédités dans Samedi jeunesse, aux éditions Glénat, par Hop ! et par les éditions du Taupinambour… sans oublier une version au format de poche dans le nouveau Coq hardi (3) en 1962.
— « Sitting Bull », campé par Dut (Pierre Duteurtre) (2), arrive dans le n° 133 (07/10/1948) pour une longue chevauchée qui se poursuivra jusqu’au n° 118 (juin 1952) de la deuxième série. C’est l’un des meilleurs scénarios de Marijac, grand admirateur du peuple indien, repris par Samedi jeunesse, puis en deux albums par les éditions Glénat en 1978 et 1979.
— « Capitaine Flamberge », qui débute dans le n° 138 (11/11/1948) et prend fin dans le n° 37 de la deuxième série (09/08/1951), est une histoire de cape et d’épée ayant pour cadre la France sous Louis XIII. L’occasion de retrouver le vétéran Le Rallic au meilleur de sa forme. Rééditions dans Mireille, sous le titre « La Pupille de la reine », puis par les éditions Glénat en 1979.
— Le héros de « Roland, prince des bois » est un jeune noble évoluant pendant la guerre de Cent Ans et aidant le roi à bouter les Anglais hors de France. Les aventures de ce Robin des Bois tricolore, mises en images par l’excellent Kline (2), débutent dans le n° 188 (27/10/1949) et se terminent dans le n° 96 (septembre 1952) de la seconde série. Elles sont rééditées dans Mireille en 1955 (sous le titre « Iseult »), dans Princesse (sous le titre « Princesse Yolande »), dans Samedi jeunesse, puis dans L’Introuvable en 1984.
À ces séries de longue haleine s’ajoutent des récits plus courts, mais aussi passionnants, portant la griffe de Marijac : « Le Fantôme à l’églantine » pour Le Rallic du n° 38 au n° 94 de la nouvelle série (rééditée par Glénat en 1978), « Alerte à la terre » pour Christian Mathelot (2) (n° 43 à n° 89 nouvelle série), qui dessine aussi « Le Fils du boucanier » (n° 90 à n° 135 nouvelle série), « Champion courageux » pour Pierre Le Guen (2) (n° 31 à n° 53 nouvelle série), « L’Équipe » pour Noël Gloesner (2) (n° 148 à n° 164), puis « Schuss » (n° 166 à n° 185)… C’est avec ces séries que Marijac prend conscience de sa passion pour son métier de scénariste : une nouvelle vocation qui, peu à peu, le pousse à abandonner ses crayons de dessinateur.
Tout au long de cette première série de 243 numéros de Coq hardi (3), Marijac se révèle un excellent rédacteur en chef, découvrant notamment de jeunes talents. Parmi ceux-ci, Claude Marin (1931-2001) (2), lequel dessine dès l’âge de 15 ans des histoires imaginées pour beaucoup par Marijac : « Bobichon », « Bill de clown », « Costo », « Le Père Noël »…
Et ce, tout en accueillant le meilleur des anciens : Érik (pseudonyme d’André René Jolly) avec « Tribacil » (2), Daniel Laborne avec « Lariflette », Edmond-François Calvo (2) avec « Pat’Folle, capitaine corsaire », Mat (pseudonyme de Marcel Turlin) avec « Baby Baluchon », Jean Trubert (2)… Malgré ces nombreuses activités, Marijac trouve encore le temps de dessiner ses « Trois Mousquetaires du maquis », puis « L’Étroit Mousquetaire du maquis » et « Jim Boum ». Il dirige son équipe comme sa propre famille : « Nous formions à Coq hardi une équipe de bons copains, il n’y avait ni jours ni heures pour les livraisons. Pas de problèmes pour les règlements, je payais à la livraison. Je ne me suis jamais attardé sur les détails d’un dessin. Dessinateur moi-même, je savais que nous avions des moments de faiblesse et j’en tenais compte », confie-t-il dans ses « Souvenirs ». (1)
En 1945, il fonde l’agence Arts graphiques presse, qui propose aux divers supports de presse les bandes dessinées produites par ses journaux, mais aussi des inédits, dont « Les Misérables » dessiné par Niezab (alias Gaston Niezabytowski), première bande dessinée publiée par France soir.
Jamais à court d’imagination, Marijac fonde la Tribu des Coqs hardis, dont la devise est : Loyauté Franchise Courage. Elle comptera plus de 12 000 membres, dont Georges Wolinski (baptisé Belette grimaçante), Jacques Chirac (Bison impétueux), Pierre Dac (Os de lynx)… et Marijac, le Sachem sans plume !
Il lance de nouveaux journaux, avec plus ou moins de réussite : Romans Coq hardi, qui présente sur 46 numéros, de 1946 à 1950, des romans signés Paul Mystère (pseudonyme de Paul Bérato), Yves Dermèze (Paul Bérato, encore), Maurice Limat… illustrés par Le Rallic, Bourdin, Mathelot… et surtout Dut. (2)
Baby journal, destiné aux plus petits, compte 26 numéros publiés d’avril 1948 à avril 1949. Il présente des histoires charmantes, signées Calvo, Saint-Ogan, Mat, Trubert, Marin… (2). Lui succède le bimensuel Cricri journal qui paraît sur 50 numéros, jusqu’en février 1950. Marijac y écrit, entre autres, le scénario de « Cricri et Moumousse », dessiné par Calvo (2). « Ce ne furent pas non plus des désastres. À cette époque, une vente de 50 000 était un échec », écrit Marijac. (1)
De son côté, Magazine Coq hardi (3) publie sur une centaine de numéros des histoires inédites signées Marijac, Gal, Paul Gillon… (2), mais surtout des traductions de récits étrangers, dont « Kit Carson ». L’auteur osera également lancer un mensuel destiné aux adultes, alors que la censure fait rage. Senior, qui publie du matériel américain et dont le premier numéro sort en mai 1950, ne résiste à ses opposants que deux mois. Toujours en 1950, avec Les Grandes Séries internationales, il compte réunir les pages des meilleures histoires de Coq hardi : finalement, seules celles de « Poncho Libertas » sont proposées dans les deux uniques numéros publiés.
Avec les années 1950, Coq hardi (3) — dont les ventes flirtent avec les 175 000 exemplaires — doit affronter la concurrence des hebdomadaires belges Spirou et Tintin. Il souffre des mauvais procès intentés par la presse catholique : « Nos pires ennemis furent les éditions de Fleurus, qui n’hésitèrent pas à me mettre à l’index comme “immoral” sur une affiche qu’ils placardèrent à la porte des églises. » (1)
Endetté, Marijac vend son titre aux éditions de Montsouris, lesquelles publient les hebdomadaires Lisette et Pierrot. Le premier numéro d’une seconde série qui en compte 196 (jusqu’au 26 août 1954) paraît le 30 novembre 1950.
Rédacteur en chef de la nouvelle formule, il est chapeauté par celui de L’Écho de la mode qui lui demande de supprimer « Les Trois Mousquetaires du maquis ». Après une troisième série bimensuelle de 18 numéros, le journal devient Coq hardi je serai et cesse de paraître après 16 numéros en août 1956.
En 1951, Marijac reprend la rédaction de Pierrot — dont les ventes stagnent à 20 000 exemplaires — qu’il transforme en Belles Images de Pierrot en janvier 1952. La revue, passée à 50 000 exemplaires, replonge, après la demande de l’éditeur d’en modifier la formule. Démoralisé, Marijac jette l’éponge en 1957 et met fin à sa collaboration avec les éditions de Montsouris.
À suivre ici : Marijac : l’homme qui savait tout faire (seconde partie) !.
Henri FILIPPINI
Relecture, corrections, rajouts, compléments d’information et mise en pages : Gilles RATIER
Merci à Philippe Tomblaine, Fred Fabre et Gwenaël Jacquet pour leurs divers coups de main.
(1) « Souvenirs de Marijac et l’histoire de Coq hardi », 1978, Glénat.
(2) Voir nos « Coins du patrimoine » consacrés aux divers collaborateurs graphiques de Marijac : Raymond Poïvet (1re partie), Raymond Poïvet (2e partie), Pour ne pas oublier Christian Mathelot, Noël Gloesner : modestie et discrétion… (première partie), Noël Gloesner : modestie et discrétion… (seconde partie), Loup-Noir est définitivement orphelin : décès de Kline, Dut : la modestie d’un grand… (première partie), Dut : la modestie d’un grand… (deuxième partie), Pierre Le Guen : un grand parmi les grands ! (première partie), Pierre Le Guen : un grand parmi les grands ! (seconde partie), Claude Marin, Érik le prolifique ! (première partie), Érik le prolifique ! (deuxième partie), Le réalisme chez Calvo, Jen Trubert : artisan du merveilleux… (première partie), Jen Trubert : artisan du merveilleux… (seconde et ultime partie), Gal : Georges Langlais à la ville ?, En hommage à Paul Gillon.
Voir : Coq hardi : vie et mort d’un journal (première partie) et Coq hardi : vie et mort d’un journal (deuxième partie)
très bon article qui est très bien documenté. Bravo
Deux petites coquilles :
Rozet, Barigoule et Barbedure sont parus dans l’Ouest-Eclair et non dans l’Est-Eclair.
Et le Chevalier des Sous-Bois est Féliçou et non Félicou ou Féliciou. L’aventure de Féliçou est en fait une reprise du début de celle de Baptistou, parue auparavant dans l’Auvergnat, avec une fin écourtée et différente.
Merci arsen33 pour ces précisions, c’est corrigé !
Bien cordialement
La rédaction
Magnifique travail !
Complet, et fort bien écrit.