Et du côté du journal Tintin, quelles sont les nouveautés du passé ?

La semaine dernière, nous avons passé au crible les récents ouvrages patrimoniaux publiés par Dupuis (l’éditeur du journal Spirou) (1). Passons cette fois-ci aux nouveaux éclairages sur les productions de son concurrent direct de l’époque : l’hebdomadaire Tintin des éditions du Lombard.

Nous vous avions déjà signalé la première partie de « La Malédiction de Rascar Capac » (voir : Rascar Capac revient !), reprise augmentée d’un essai de Philippe Goddin sur « Les 7 Boules de cristal » agrémenté de la première publication de cet épisode mythique de « Tintin » proposée en noir et blanc dans le quotidien belge Le Soir, avant sa première parution en album. En voici la suite avec ces « Secrets du Temple du soleil » : un ouvrage visant à parcourir la genèse du « Temple du soleil », première aventure de Tintin publiée dans le nouvel hebdomadaire éponyme, entre le 26 septembre 1946 et le 22 avril 1948. C’est cette version intégrale qui est reproduite ici sous forme restaurée, avec une mine d’or d’informations recueillies dans la documentation et les archives d’Hergé par son principal biographe. S’appuyant donc sur une iconographie en partie inédite, l’exégète commente l’élaboration et la publication de ce récit, en soulignant et expliquant les nombreuses différences entre ces soixante-quinze planches au format à l’italienne et l’album de 1949, contraint par la norme des soixante-deux pages : nul doute que les nombreux amateurs de « Tintin » se sont déjà rués dessus, comme on a pu s’en rendre compte dans le Zoom sur les meilleures ventes de BD du 3 septembre 2014.

« La Malédiction de Rascar Capac T2 : Les Secrets du Temple du soleil » par Hergé et Philippe Goddin

Éditions Casterman/Moulinsart (25 €) – ISBN : 978-2-20308-843-6

Le problème, c’est qu’il paraît au moins deux ou trois livres par an sur « Tintin » ou Hergé (si ce n’est pas plus) ! En effet, cette œuvre fondatrice de la bande dessinée franco-belge continue de fasciner le grand public à travers des albums maintes fois réédités, des dessins animés et des films à grand spectacle… Et comme le phénomène existe depuis les années 1960, on ne compte plus les essais publiés par les tintinologues, amateurs passionnés, universitaires ou spécialistes reconnus ! Heureusement, Les Impressions nouvelles ont eu la bonne idée de publier « Tintin, bibliographie d’un mythe » où Olivier Roche et Dominique Cerbelaud tentent de permettre à l’amateur moyen du mythe « Tintin » de s’y retrouver au milieu de plus de quatre cents ouvrages critiques sur le monde d’Hergé : c’est-à-dire tout ce qui a été publié sur le reporter à la houppe et son créateur au cours des dernières décennies (jusqu’au 31 mars 2014) ! Répartie dans une quarantaine de rubriques, il s’agit d’une liste très complète des études critiques francophones, comportant même certains livres en langues étrangères ou au tirage confidentiel, avec toutes les couvertures en couleurs, une description physique et, surtout, une notice précise commentant chaque ouvrage pour que chacun puisse faire son choix. D’autant plus que même les néophytes y trouveront leur bonheur, car sept recueils fondamentaux pour appréhender le fabuleux monde d’Hergé sont ici bien mis en exergue.

« Tintin, bibliographie d’un mythe » par Olivier Roche et Dominique Cerbelaud

Éditions Les Impressions nouvelles (26 €) – ISBN : 978-2-87449-213-6

Profitons-en pour signaler, toujours aux Impressions nouvelles (dans la même collection Réflexions faites), la réédition bienvenue de l’indispensable « À l’ombre de la ligne claire : Jacques Van Melkebeke entre Hergé et Jacobs ». Benoît Mouchart, l’actuel responsable éditorial de Casterman, avait déjà proposé une première fois, en 2002, ce passionnant ouvrage racontant la vie rocambolesque du peintre et écrivain belge Jacques Van Melkebeke ; mais, ici, il a revu et complété son texte d’origine pour encore mieux cerner ce fascinant personnage.

Jacobs vu par Van Melkebeke.

Ami d’enfance des créateurs de « Tintin » et de « Blake et Mortimer », il faut savoir que Van Melkebeke les a quand même aidés, incognito, sur la conception de plusieurs albums de ces monuments de la bande dessinée contemporaine ; et il fut aussi le premier rédacteur en chef du journal Tintin, en 1946, de façon toujours aussi discrète. Sa contribution scénaristique, qui se limitait la plupart du temps à suggérer des découpages et des idées aux deux célèbres créateurs (ou à Paul Cuvelier sur « Corentin »), est cependant rarement mentionnée ; car pour pouvoir vivre, l’ami Jacques — comme le surnommait Hergé — a travaillé, pendant la Seconde Guerre mondiale, comme dessinateur et critique, pour Le Soir « volé » et Le Nouveau Journal, revues collaborationnistes dont la première a aussi publié, comme nous l’avons vu plus haut, « Tintin » sous l’Occupation. À la fin de la guerre, Jacques Van Melkebeke sera condamné pour collaboration et devra se cacher sous divers noms de plume afin de signer ou pas ses travaux, tout en cumulant les infortunes : une enquête passionnante dans le monde de la création du 9^e art !

« À l’ombre de la ligne claire : Jacques Van Melkebeke entre Hergé et Jacobs » par Benoît Mouchart

Éditions Les Impressions nouvelles (17 €) – ISBN : 978-2-87449-228-0

Van Melkebeke au milieu de Jacobs et Hergé.

Puisqu’on parle de « Blake et Mortimer », sachez que les respectables éditions Mosquito viennent de publier un nouvel essai de l’universitaire René Nouailhat. Il est consacré à l’un des personnages les plus emblématiques de cette série d’Edgar-P. Jacobs (voir aussi Edgar P. Jacobs) : le colonel Olrik, l’une des plus grandes figures du mal de la bande dessinée franco-belge. L’historien et pédagogue, par ailleurs spécialiste d’histoire des religions, avait déjà publié une étude sur Jacobs chez le même éditeur (« Jacobs, la marque du fantastique », avec l’aide de Luc Révillon et Michel Thiébaut) et prépare un essai sur les avatars du christianisme en bandes dessinées. Ici, par le biais de cet éternel méchant en échec constant, il tente d’éclairer l’œuvre et les fantasmes du maître, ainsi que l’alchimie de leur mise en œuvre. Il réussit, ainsi, à nous prouver que cet élégant gangster, aux fines moustaches et au célèbre fume-cigarette, est bien plus qu’un contrepoids des héros ou une simple vision du mal. Hélas, en ouvrant son sujet vers des thématiques plus spirituelles qui lui sont chères, Nouailhat rend, quelques fois, son propos légèrement confus. Heureusement, ce n’est que par intermittence et, de toute façon, ceux que l’exégèse fatigue peuvent se rabattre sur les nombreuses et superbes esquisses d’André Juillard ou sur les quelques extraits de l’œuvre de Jacobs illustrant l’ouvrage !

« Olrik ou le secret du mystère Jacobs » par René Nouailhat

Éditions Mosquito (15 €) – ISBN : 9 782 873 930 608

Alors que les premières versions des « Blake et Mortimer » continuent à être proposées dans de luxueux et assez peu onéreux albums proposant les versions de l’hebdomadaire Tintin aux éditions Blake et Mortimer  (le dernier en date est « S.O.S. météores ! », pour 19,95 €), l’éditeur d’origine des séries du journal des jeunes de 7 à 77 ans, quant à lui, se consacre actuellement à la publication d’intégrales patrimoniales de séries bien plus récentes, mais qui n’en demeurent pas moins très intéressantes. Ainsi peut-on découvrir le premier tome de celle de la série de science-fiction « Hans », créée par le dessinateur Grzegorz Rosiński et le scénariste André-Paul Duchâteau (le 1^er août 1980 dans l’édition française et quatre jours plus tard dans la Belge). Elle comporte les quatre premières aventures de cet agent spécial du futur envoyé par son gouvernement pour des missions dans le passé, précédées par un récit complet de dix planches resté inédit en album et un super dossier, signé Patrick Gaumer, sur l’histoire de la rencontre entre le scénariste de « Ric Hochet » et le dessinateur de « Thorgal ». Le deuxième volume sortira le 7 novembre et le troisième, et dernier, sera très vite au programme du Lombard en 2015 : la série comptant douze albums dont une bonne moitié illustrée par Kas, autre graphiste polonais qui collaborait avec Rosiński dès 1989 et qui prendra sa suite en 1992, à partir du sixième tome.

« Hans : l’intégrale » T1 et 2 par Grzegorz Rosiński, Kas et André-Paul Duchâteau

Éditions Le Lombard (25,5 € chacun) – ISBN : 9 782 803 633 951 et 9 782 803 633 968

Il en est de même pour « Rubine », une autre série classique, policière celle-là, créée sous la bannière de François Walthéry, le talentueux dessinateur de « Natacha ». Elle apparut furtivement dans l’hebdomadaire Hello Bédé (le remplaçant du journal Tintin), au n° 25 du 22 juin 1993, et fut publiée directement en albums dès le mois d’octobre de la même année. Imaginée dans les années 1980 par l’écrivain et scénariste Jean-Claude Smit Le Bénédicte, alias Mythic, cette flamboyante rouquine affrontant les malfrats de Chicago aurait dû être – à l’origine — une jeune policière travaillant à Paris, sans que son père ne sache sa profession. Après diverses tentatives fort bien narrées par Charles-Louis Detournay (le rédacteur en chef d’Actuabd) dans un trop court dossier de huit pages retraçant la genèse de la série et dévoilant de nombreux dessins inédits et peu connus, la série sera acceptée par Le Lombard : Walthéry, pourtant accaparé par sa « Natacha » ayant finalement décidé de la dessiner. Il se fait cependant largement aider par le serbe Dragan de Lazare au trait proche du sien, lequel prendra en main le destin graphique de la série pour les huit premiers titres, avant de laisser la place à son compatriote Boyan pour les deux titres suivants, puis à Bruno Di Sano, à partir du onzième album. Ce premier tome très bien composé reprend l’intégralité des trois premiers épisodes scénarisés par Mythic et réalisés dans la lignée des « Gil Jourdan » du grand Maurice Tillieux, dont « Les Mémoires troubles » qui obtint le prix du meilleur scénario attribué par la Chambre belge des experts en bandes dessinées : une référence !

« Rubine : l’intégrale » T1 par Dragan De Lazare, François Walthéry et Mythic

Éditions Le Lombard (17,95 € chacun) – ISBN : 9 782 803 634 729

Puisqu’on est en train d’évoquer les éditions patrimoniales des éditions du Lombard, sachez que ces dernières vont publier, le 21 novembre, l’intégrale d’« Harald le Viking » (initialement prévue chez Hibou), enrichie d’un dossier inédit : une série de six aventures plus ou moins longues créées par Liliane et Fred Funcken, au sein des pages du journal Tintin, entre 1956 et 1967 ; voir Les Funcken : les héraults du journal Tintin.

Et pour finir, même s’il s’agit d’une création récente, ne manquez pas non plus le très beau « Capitaine Trèfle » de René Hausman (auteur très apprécié par les amateurs de bandes dessinées patrimoniales, voir René Hausman), écrit par le conteur Pierre Dubois qui nous emmène à nouveau dans un monde imaginaire rempli de créatures de légende. Ceci toujours aux éditions Le Lombard, bien entendu !

Gilles RATIER

(1) Voir : Tout est bon dans le Dupuis, surtout ses intégrales patrimoniales !.

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