Dix ans après la parution de « Résurrection », la première partie d’un diptyque accouché dans la douleur, voici enfin « Révélations » : conclusion du dernier récit du regretté Philippe Tome, décédé alors qu’il travaillait sur les dernières pages de son scénario. Les éditions Dupuis proposent, enfin, l’intégralité de cette aventure magistralement dessinée par Dan Verlinden, digne successeur de ses deux prédécesseurs : Luc Warnant et Bruno Gazzotti.
Lire la suite...Les grands auteurs de la bande dessinée européenne, chapitre zéro. Avant Töpffer…
Cette série d’articles (1) a pour but de proposer une chronologie illustrée de la bande dessinée européenne, complétée par une bibliographie — tendant à l’exhaustivité — sur la période et les auteurs concernés : un recensement destiné à tous ceux qui veulent en savoir plus sur l’histoire du 9e art européen. Malgré tout le soin que nous avons pu apporter à ce travail minutieux, nous avons peut-être omis tels ou tels ouvrages, œuvres et créateurs qui ont marqué leur époque : merci d’avance de nous signaler tout ce qui vous semble être un oubli ou une erreur de notre part.
L’existence de récits en images remonte à l’Antiquité. Dans ces cultures de tradition orale, ces suites d’images venaient en appoint à des histoires, le plus souvent religieuses ou militaires, déjà connues ou destinées à être transmises oralement.
C’est le cas des Biblia Pauperum, de la Bible d’Étienne Harding, de la Bible de Maciejowski, et avant cela de la Tapisserie de Bayeux ou de la colonne Trajane.
1110 : Bible d’Étienne Harding (France).
1250 : Bible de Bernard Maciejowski (Pologne).
Les sujets étaient donc exclusivement religieux ou politiques.
Dans notre tradition écrite, nous reconnaissons davantage comme bande dessinée des œuvres qui sont capables de fonctionner indépendamment de toute tradition orale, mais il a d’abord fallu que l’œil et l’esprit s’habituent aux séquences d’images pour les comprendre par elles-mêmes.
Un best-seller du Moyen Âge non religieux est le poème satirique de Gervais du Bus : le « Roman de Fauvel ». Ce poème est adapté en dix pages, à raison de quatre cases par page, par Raoul Le Petit dans le « Dit de Fauvain ».
1326 : « Dit de Fauvain » par Raoul Le Petit, d’après le poème de Gervais du Bus (France).
Dans une Bible en français peinte à Saint-Quentin en 1350, les enlumineurs emploient le système consistant à reprendre le décor d’une image sur l’autre pour marquer la continuité du récit.
En 1460, paraît à Strasbourg une planche au thème biblique de dix cases, la plus ancienne histoire dessinée imprimée connue en Europe.
De 1560 à 1620, Franz et Abraham Hogenberg publient une feuille de journal qui décrira des événements marquants, comme les morts violentes de grands hommes.
1589 : « Le Meurtre du roi Henri III » par Frans Hogenberg (Flandres).
1617 : « L’Exécution de Concini, marquis d’Ancre » par Abraham Hogenberg (Allemagne).
En 1633, le Lorrain Jacques Callot produit 18 gravures à l’eau-forte sur la guerre de Trente Ans. On retrouvera son influence chez William Hogarth.
1633 : « Les Misères et les Malheurs de la guerre » par Jacques Callot (France).
En 1663, dans la quatrième édition d’un livre de John Reynolds, les titres de chapitre sont surmontés d’une demi-page illustrée constituée de bandes superposées pour un total de 30 planches.
1663 : « The Triumphs of Gods Revenge Against the Crying and Execrable Sinne of…. Murther… » par John Reynolds, édité chez William Lee.
En 1679, Francis Barlow, sous forme de jeu de cartes, raconte une affaire qui a défrayé la chronique, celle d’un imaginaire complot catholique contre la couronne.
1679 : Francis Barlow’s Playing Cards (Grande-Bretagne).
En 1682, Matthew Turner publie deux feuilles imprimées sur cette même affaire. Cette composition, attribuée à Barlow, semble étonnante de modernité, combinant légendes et phylactères. Si la moitié supérieure de la feuille est consacrée à l’histoire en trois bandes superposées, la moitié inférieure est constituée d’une chanson populaire sur le même sujet.
1682 : « A True Narrative of the Horrid Hellish Popish-Plot » par Francis Barlow, édité chez Matthew Turner (Grande-Bretagne).
Peut-être inspiré du « Miroir du destin de la prostituée » (Venise, v. 1657), William Hogarth produit, en 1732, une série de deux, puis de six, gravures de « La Carrière de la courtisane ».
1732 : « A Harlot’s Progress » par William Hogarth (Grande-Bretagne).
En 1735, « La Carrière d’un courtisan » en compte huit.
1735 : « The Rake’s Progress » par William Hogarth (Grande-Bretagne).
Il renouvelle son innovation avec « Four Times of The Day » (1736), « Mariage à la mode » (1745) en six gravures, « Le Zèle et la Paresse » (1747) en 12 gravures, « Four Stages of Cruelty » (1751), « Humours of an Election » (1755) en quatre gravures.
En 1783, Joseph von Göz adapte sa pièce de théâtre « Lenardo und Blandine », sous forme de dessins montrant les postures, très dramatiques, des personnages.
La même année, le 29 décembre, le jeune Thomas Rowlandson publie en une planche une satire politique à propos de Charles Fox, Lord Frederick North, Edmund Burke et William Pitt.
1783 : « Two New Sliders for the State Magic Lanthern » par Thomas Rowlandson, édité chez William Humphrey (Grande-Bretagne).
Une suite datée du 7 janvier 1784 comporte des bulles de dialogue et même une forme de bulle de pensée.
1784 : « The Loves of the Fox and the Badger, or The Coalition Wedding » par Thomas Rowlandson, édité chez William Humphrey (Grande-Bretagne).
Le 26 mai 1792, il caricature deux membres de la haute société, Lady Sarah Archer et Douglas Hamilton, dans deux compositions qui se lisent de droite à gauche.
1792 : « Six Stages of Marring a Face » par Thomas Rowlandson, édité chez Samuel William Fores (Grande-Bretagne).
1792 : « Six Stages of Mending a Face » par Thomas Rowlandson, édité chez Samuel William Fores (Grande-Bretagne).
Ses compatriotes Richard Newton (1777-1798) et James Gillray (1756-1815) poursuivent la tradition de Hogarth avec « Progress of a Player » (1793) et « Progress of a Woman of Pleasure » (1794) pour Newton.
1793 : « John Bull’s Progress » par James Gillray, édité chez Sarah Humphrey (Grande-Bretagne).
Le 4 mars 1797, Gillray caricature à son tour les politiciens William Pitt et Charles James Fox en deux images successives avec phylactères.
1797 : « The Tables Turn’d » par James Gillray, édité chez Sarah Humphrey (Grande-Bretagne).
1800 : « Democracy, or A Sketch of the Life of Buonaparte » par James Gillray, édité chez Sarah Humphrey (Grande-Bretagne).
1800 : « Johnny New-Come in the Island of Jamaica » par James Sayers, édité chez Wilm. Holland (Grande-Bretagne).
En 1810, l’artiste suisse François Aimé Louis Dumoulin tente de raconter son roman préféré (« Robinson Crusoé ») en images, mais le résultat n’est pas au rendez-vous, faute d’un vocabulaire graphique adéquat.
1810 : « Voyages et aventures surprenantes de Robinson Crusoé » par François Aimé Louis Dumoulin, édité chez Loertscher & fils (Suisse).
En 1822, l’imagier James Catnach va faire reproduire les illustrations des frères George et Isaac Cruikshank déjà réalisées pour le roman populaire « Life in London, or The Sprees of Tom and Jerry » et les vendre rassemblées sur une page. Cette publication connaîtra deux suites, en 1822 et 1823.
1822 : « Life in London, or The Sprees of Tom and Jerry » édité chez James Catnach (Grande-Bretagne).
En 1825 paraît le premier magazine entièrement consacré au dessin humoristique : The Glasgow/Northern Looking Glass (édité chez John Watson & Co), dans lequel William Heath illustre plusieurs histoires en images.
Il inaugure la formule to be continued (à suivre) pour l’histoire d’un manteau qui s’étale sur trois numéros, consacre un numéro entier à raconter la soirée du Nouvel An à Glasgow et crée une histoire avec des bulles pour le numéro du 1er juillet 1830 édité chez McLean.
1825 : Histoires en images par William Heath, dans Glasgow Looking Glass (Grande-Bretagne).
1825 : Histoire à suivre en images par William Heath, dans Northern Looking Glass (Grande-Bretagne).
1830 : Histoire avec des bulles par William Heath, dans The Looking Glass (Grande-Bretagne).
À l’initiative de son éditeur, le Bell’s Life in London du 22 juin 1828 reproduit sur une même page imprimée « The Harlot’s Progress » et « Monkeyana, or The Gambler’s Progress », en colonnes plutôt qu’en bandes.
1828 : Bell’s Life in London n° 330, édité par William Innell Clement (Grande-Bretagne).
Le n° 458 du 2 janvier 1831 publie à nouveau une pleine page de dessins avec une « colonne dessinée » : « Diversions of Old Nick ».
1831 : « Diversions of Old Nick », dans Bell’s Life in London (Grande-Bretagne).
Le succès de cette formule mène à la parution, le 24 juin 1831, de Gallery of Comicalities : un magazine annuel entièrement consacré au dessin humoristique, qui réimprime les mêmes histoires.
1831 : Gallery of Comicalities, édité par George Goodger (Grande-Bretagne).
La caricature de Charles Philipon, dans La Caricature, qui montre la transformation de Louis-Philippe en poire, en 1831, est parfois citée comme l’une des premières bandes dessinées françaises. Le même Philipon produira les éditions « pirates » de Rodolphe Töpffer (entre guillemets, car il n’existe pas de conventions transnationales protégeant les auteurs étrangers) qui contribueront à étendre sa renommée dans toute l’Europe et à créer une tradition européenne commune.
Toutes ces œuvres sont très différentes les unes des autres : les éditeurs comme les artistes sont à la recherche de formes qui fonctionnent, car ce moyen d’expression n’est pas encore identifié comme tel et il n’y a pas de tradition établie. C’est Töpffer qui en sera le premier théoricien, qui combinera sa science de la caricature anglaise et du théâtre pour composer ses romans en estampes.
Enfin, pour montrer où en était le 9e art lorsque Töpffer fait imprimer son premier album, Charles Jameson Grant publie en 1834, dans son Every Body’s Album and Caricature Magazine, une aventure en trois bandes superposées, qui se lit de gauche à droite, en couleurs et qui utilise des bulles pour le dialogue des personnages : plus de 60 ans avant que ce procédé ait censé avoir été inventé dans les journaux américains.
1834 : une aventure en trois bandes superposées par Charles Jameson Grant, dans Everybody’s Album & Caricature Magazine (Grande-Bretagne).
C’est peut-être paradoxalement le succès de Töpffer qui va reléguer l’emploi du phylactère dans l’oubli. Il faudra attendre les découvertes de la photographie et du phonographe pour que la bande dessinée prenne la forme qui nous est familière.
Patrick LEMAIRE
Mise en forme et en images Gilles RATIER
(1) Pour consulter les cinq premières parties de ce dossier en constante évolution, cliquez ici : Les grands auteurs de la bande dessinée francophone, premier chapitre. Les origines : caricatures et histoires en images, ici Les grands auteurs de la bande dessinée européenne, deuxième chapitre. Avant l’avènement des bulles : les récits pour les enfants, ici Les grands auteurs de la bande dessinée européenne, troisième chapitre. Vous avez dit phylactères ? : humour à la page et feuilletons de longue haleine… ici Les grands auteurs de la bande dessinée européenne, quatrième chapitre. Américanisation à volonté et deuxième salve de périodiques pour enfants… et ici Les grands auteurs de la bande dessinée européenne, cinquième chapitre. Pendant la Seconde Guerre mondiale : interdictions, privations et rationnements…(articles ayant subi plusieurs modifications depuis leur mise en ligne).
BIBLIOGRAPHIE EN LANGUE FRANÇAISE
— « L’Art du rire et de la caricature » par Arsène Alexandre (Librairies-Imprimeries réunies, ca 1890)
— « La Bande dessinée » par Gérard Blanchard (Gérard & Co, 1969)
— « Histoire mondiale de la bande dessinée : Angleterre » par Dennis Gifford (Horay, 1980)
— « La Bande dessinée avant la bande dessinée » par Danièle Alexandre-Bidon (dans Le Collectionneur de bande dessinée n° 79 spécial Les Origines de la bande dessinée, 1996)
— « Le Robinson de Dumoulin : un roman en 150 gravures » par Annie Renonciat (dans 9e Art n° 8, 2003)
— « Ceci n’est pas une bulle ! » par Thierry Smolderen (Structures énonciatives du phylactère, 2005)
— « L’Art invisible » par Scott McCloud (Delcourt, 2007)
- « Naissances de la bande dessinée : de William Hogarth à Winsor McCay » par Thierry Smolderen (Les Impressions nouvelles, 2009)
— « Nocturnes, le rêve dans la bande dessinée » sous la direction de Thierry Groensteen (CIBDI, 2013)
— Arts magazine hors-série n° 2 (2014)
— La Crypte tonique n° 12 (2015)
— « Et la BD fut » (dans Magasin du XIXe siècle n° 6, Société des études romantiques et dix-neuviémistes, 2016)
— Les Trésors de la culture n° 6 : « BD, une histoire française et… belge ! » par Jean-François Miniac (Oracom, 2018)
— Papiers nickelés n° 69 : « James Gillray » par Dean Corso (juin 2021)
SITOGRAPHIE
— « La BD avant la BD » sur http://expositions.bnf.fr/bdavbd/index.htm
— « Recherches sur la vie et les ouvrages de Jacques Callot deuxième partie : Les Œuvres profanes (1860) », p. 265-270 par Édouard Meaume (http://gallica.bnf.fr/)
Merci aussi aux excellents sites https://archive.org/details/McGillLibrary, https://jcb.lunaimaging.com, http://art.rmngp.fr, http://john-adcock.blogspot.fr, http://konkykru.com, https://www.lambiek.net, http://lectraymond.forumactif.com/t479-bandes-dessinees-medievales, https://lewiswalpole.wordpress.com, https://www.slideshare.net et https://universityofglasgowlibrary.wordpress.com sur lesquels nous avons pu trouver nombre de reproductions qui nous ont permis d’illustrer dignement cet article.
Patrick LEMAIRE
Mise en forme et en images Gilles RATIER
Pour consulter les autres parties de ce dossier en constante évolution (ces articles ayant subi plusieurs modifications depuis leurs mises en ligne), cliquez ici Premier chapitre, ici Deuxième chapitre, ici Troisième chapitre, ici Quatrième chapitre, ici Cinquième chapitre, ici Sixième chapitre et ici Sixième chapitre bibliographie.
Une suggestion : Ramon Llull ! http://epoca1.valenciaplaza.com/ver/163647/magraner-tras-pasos-ramon-llull.html
Bien vu ! Pour avoir une idée des manuscrits il faut acheter…. des CD (!) ; par exemple : Ramon Llull Temps de Conquestes, de Diàleg I Desconhort J.Savall
haaaa bien de donner l’ouvrage de référence de — « La Bande dessinée » par Gérard Blanchard (Gérard & Co, 1969) pour bien comprendre le sens de l’image populaire et de sa diffusion. De + on peut le trouver à pas cher sur des sites de vente en ligne
Félicitations à Patrick pour cette excellente contribution patrimoniale.
Je ne saurais trop insister auprès des responsables du site pour que sa connaissance encyclopédique des comics lui ouvre les portes d’une contribution en la matière..quelques soient les mérites du néo chroniqueur actuel Franck Guigue, dont les interventions ne manquent pas de qualité.
J’exprime de mon propre chef cet avis, personnel et subjectif; sans copinage, ni esprit de polémique.
Bravo à Gilles Ratier, de l’excellente tenue de ce site, qui allie chroniques régulières, dossiers patrimoniaux avec un égal bonheur., et une iconographie riche. Ce site est devenu ainsi un must.
Bonjour, Christophe, et merci pour vos encourageants et élogieux commentaires !
Je vous rappelle juste que je ne suis plus le rédacteur en chef de BDzoom.com depuis le 1er janvier 2018 (voir Un nouveau rédac-chef pour BDzoom.com ?) : en effet, c’est désormais l’ami Laurent Turpin qui a repris ce poste, sachant qu’il l’assumait déjà avant ma nomination en 2010, et c’est donc de lui que dépend maintenant l’avenir du site.
Cependant, ma modestie devait-elle en souffrir (rires), je veux bien m’attribuer certains mérites (l’ancrage du patrimoine, le rubricage systématique des chroniques, l’augmentation et la pertinence de l’iconographie, l’exigence pour les collaborateurs de livrer des textes bien écrits et bien documentés…), mais toutes mes décisions ont été prises en concertation avec Laurent (qui est aussi le directeur de la publication, aujourd’hui il cumule donc les deux fonctions), lequel les a toutes validées. Il faut donc le féliciter lui aussi !
Bien cordialement et respectueusement
Gilles Ratier
Passionnant. Je vous indique juste une petite coquille concernant « Two New Sliders for the State Magic Lanthern » par Thomas Rowlandson, « Une suite datée du 7 janvier 1984 comporte des bulles de dialogue et même une forme de bulle de pensée. » Il faut lire « 1784″, bien sûr. « Les lecteurs auront rectifié d’eux-mêmes »…
…autre petite coquille, travail naturel de recherche d’un Poussin, à propos de Töpffer, « ses romans en étampes. », « ses romans en estampes », plutôt, je pense… Amicalement, évidemment.
Merci Gilles : c’est corrigé !
Cela m’avait aussi échappé lors de la relecture… Comme quoi, à plusieurs, on est plus fort (rires) !
La bise et l’amitié
Gilles