Une escapade vécue par Maurice Tillieux, digne de ses héros de BD…

C’est pour les éditions de l’Élan que le Nazairien Bruno Bazile (1), déjà responsable d’un biopic sur Maurice Tillieux (« M’sieur Maurice et la Dauphine jaune », chez Glénat, en 2013), met à nouveau en cases et en scène son auteur fétiche, en levant le voile sur une période méconnue de sa jeunesse : son exode de 1940, à vélo, vers le Portugal, pour échapper aux Allemands… Un livre contenant une BD, mais aussi d’intéressants dossiers sur l’époque ou sur le magistral créateur de « Gil Jourdan » : dans la lignée du travail minutieux de cette petite structure spécialisée dans la valorisation patrimoniale de l’œuvre dessinée ou scénarisée par ce monstre sacré du 9e art franco-belge…

Une planche encrée avec mise au lavis gris.

Si les éditions de l’Élan nous permettent, aujourd’hui, de lire ou (re)lire de nombreuses BD méconnues de ce fabuleux auteur qu’était Tillieux — des enquêtes ou des gags, avec notamment les séries « Félix » et « Bob Bang », réalisées pour les Héroïc-Albums (2) à la fin des années quarante ou début cinquante —, elles proposent donc ici, à seulement 1 500 exemplaires, une bande dessinée originale de 28 pages présentées dans leur version au trait, ainsi que les planches encrées avec mise au lavis gris, qui racontent un étonnant épisode de la jeunesse de Maurice Tillieux en 1940, au milieu de riches articles écrits par Gérard Guégan, Daniel Depessemier ou Étienne Borger. (3)

Les deux derniers contributeurs cités, respectivement responsable des éditions de l’Élan pour le premier et scénariste de quelques aventures marquantes de la Natacha de François Walthéry ou de la suite inachevée d’une autre série de Tillieux (« Marc Jaguar ») chez Dupuis pour le second, sont les co-scénaristes de cette aventure en Bretagne : particulièrement à Guémené-sur-Scorff.

Tillieux avait d’ailleurs le projet de situer, dans cette petite commune du Morbihan, un tome de sa bande dessinée phare « Gil Jourdan », mais il est mort avant : en janvier 1978, à seulement 57 ans, des suites d’un terrible accident de voiture.

Une planche encrée avec mise au lavis gris.

C’est donc en 1940 que le jeune Maurice quitte sa maison familiale de Bruxelles en vélo (il avait alors 19 ans et aspirait à devenir officier de la marine marchande, pour voyager aux Amériques), dès l’arrivée des envahisseurs : destination La Rochelle, afin de pouvoir rejoindre sa tante au Portugal et se faire ensuite engager sur un bâtiment en partance pour les États-Unis. Après avoir parcouru des centaines de kilomètres, à la force de ses mollets, le cycliste ne peut pas embarquer, car les Allemands mitraillent tous les bateaux qui s’éloignent trop des côtes.

Une planche encrée avec mise au lavis gris.

De fait, il reprend sa bicyclette et décide de pédaler jusqu’en Bretagne, entre bombardements et blocages, pour tenter sa chance : les routes de France étant couvertes de réfugiés fuyant également l’avancée des nazis.

Cette épopée va durer six mois, dont plusieurs où Maurice va séjourner à Guémené-sur-Scorff, exerçant de nombreux métiers, et se faisant beaucoup d’amis : dont Eugénie Gourlet, dite Ninie, qui sera couturière spécialisée en costumes bretons, et qui est décédée en 2016.

Les auteurs de « Maurice Tillieux 1940 » ont cependant pu recueillir son témoignage, ainsi que ceux d’autres voisins et collègues de celui qui n’était alors qu’un jeune homme en train de devenir adulte : à cette époque, il ne sait pas encore ce que lui réserve son avenir professionnel, puisqu’il commencera, dans un premier temps, sa carrière en tant qu’auteur de romans policiers.

Une planche dans sa version au trait.

Pour finir, notons que cette très jolie évocation — fort bien contextualisée sur le plan historique — est réalisée dans un style rond et expressif, finalement pas très éloigné de celui du maître, et que l’ultime dossier contient quelques-uns des plus beaux croquis et projets de couvertures dessinés, pour ce livre, par Bruno Bazile.

Gilles RATIER 

(1)  Sur Bruno Bazile, voir par exemple sur BDzoom.com : L’essence d’une bonne histoire, avec Bruno Bazile !, Hoëdic ou Bréhat ? Les deux, mon capitaine !, « Les Enquêtes de Victor Legris » : du roman à la bande dessinée !…

(2)  Voir http://www.editionselan.be/page2.html. Le dernier ouvrage de Maurice Tillieux proposé par les éditions de l’Élan (en décembre 2023) est l’indispensable intégrale des gags de « Monsieur Balourd » : plus de 400 ! Réalisée pour le compte de l’A.N.P.A.T. (Association nationale pour les accidents du travail de Belgique) et parue sous la forme d’une demi-page ou d’une page, entre 1954 et 1964, dans des revues d’entreprises d’outre-Quiévrain, cette série très peu connue du grand public nous permet de retrouver toute la verve d’un auteur alors à son apogée : à la lecture, on pense d’ailleurs beaucoup à son « César », ainsi qu’aux calembours qui émaillent les aventures de Félix et de Gil Jourdan.

Un gag de « Monsieur Balourd ».

(3)  Sur Maurice Tillieux et les éditions de l’Élan, voir par exemple sur BDzoom.com : Maurice Tillieux nous fait un Signe : quel Ange !, Du Tillieux réaliste !, Mission accomplie pour les éditions de l’Élan, avec la publication du tome 11 de l’intégrale « Félix » !, Et de dix pour l’intégrale « Félix » !, Un « Félix » de Tillieux à mettre sous le sapin !, Tillieux, Goscinny et Charlier en majesté…, « Félix » a toujours autant d’Élan !, Du patrimoine érudit…, Enfin, une nouvelle intégrale pour « Félix » de Maurice Tillieux !, Les couvertures de « Félix » en intégrale…. , De quelques nouveautés franco-belges venant tout droit du passé…, Revue de détail des dernières nouveautés du passé de Tintin ou de Spirou !, Un nouvel Élan pour Maurice Tillieux ou L’envers des planches de Maurice Tillieux.

Une planche dans sa version au trait.

« Maurice Tillieux 1940 » par Bruno Bazile, Étienne Borgers et Daniel Depessemier

Éditions de l’Élan (39 €) — EAN : 9 782 9310 7206 6

Parution 31 mai 2024

Une planche dans sa version au trait.

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