Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
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En hommage à l’auteur argentin disparu le 10 mai dernier à l’âge de 90 ans, nous remontons de nos archives l’article patrimonial que lui avait consacré Gilles Ratier il y a près de 10 ans…
Contre vents et marées, les éditions Clair de lune poursuivent l’édition des traductions du mythique western italien « Tex Willer », nous proposant, ce mois-ci, un nouvel épisode illustré par le trop méconnu (surtout en France) dessinateur Miguel Angel Repetto (1) !
Les trois cent cinquante pages de ce « Rio Hondo », dont la couverture est due à Claudio Villa (comme la plupart des opus, au format 16 x 21 cm., consacré à ce héros phare des éditions transalpines Bonelli), sont écrites par Claudio Nizzi : l’un des plus prolifiques (et des plus intéressants) scénaristes ayant travaillé sur cette série créée en 1948 ; voir à ce sujet : bdzoom/article3869 (2).
Il s’agit d’un titre issu de la collection italienne Maxi Tex (qui ne propose qu’un seul titre par an), paru à l’origine en octobre 2002, sous le même titre : une solide histoire, certes assez convenue (un éleveur de bétail est violemment menacé par des hors-la-loi qui tentent de racheter toutes les exploitations de la région du Rio Hondo) mais qui ravira les aficionados du célèbre ranger ! Il faut dire que, depuis février 1999 (avec « La Montagna del mistero », cent dix pages rédigées par Claudio Nizzi et parues dans l’annuel Almanacco del West), le trait classique et minutieux de Miguel Angel Repetto, qui rappelle celui de ses compatriotes Arturo Del Castillo et José Luis Salinas, a conquis immédiatement les plus exigeants lecteurs de la saga. À un point tel que, depuis octobre 2002, cet homme (âgé aujourd’hui de quatre-vingt-un ans) intègre l’équipe des dessinateurs réguliers de la série mensuelle, aux côtés de Giovanni Ticci, Claudio Villa, José Ortiz, Carlo Raffaele Marcello, Guglielmo Letteri, Fernando Fusco, Fabio Civitelli, Andrea Venturi, Raul et Gianluca Cestaro, Vincenzo Monti, Bruno Brindisi, Alfonso Font, Manfred Sommer, Mario Milano, Pasquale Del Vecchio, Dante Spada ou Rossano Rossi qui officiaient également sur ce western, pendant cette période.
Espérons que les Clair de lune, qui ont déjà édité, en novembre 2009, « Les Deux visages de la vengeance » (le Maxi Tex n°4 publié en 2000 en Italie), nous traduiront très vite les dix autres épisodes mis en images par ce maître argentin spécialiste du western(3) ; d’autant plus que ses publications en langue française sont plutôt rarissimes, comme nous allons pouvoir le constater dans cette évocation de sa longue carrière !(4)
Miguel Angel Repetto est né dans la petite ville de Luján, dans la province de Buenos Aires, le 17 février 1929. Il hérite, dès son plus jeune âge, de la passion pour le dessin qu’avait sa mère (fille d’immigrés italiens), puisqu’il devient professeur de dessins et remporte, alors qu’il n’a que dix-sept ans, un concours organisé par Ramón Columba, célèbre caricaturiste qui était aussi l’un des plus grands éditeurs de bandes dessinées en Argentine. Après plus de cinq années d’apprentissage, où il recevait un petit salaire (sans toutefois être publié), Columba finit par estimer qu’il était devenu suffisamment professionnel pour pouvoir être au sommaire des magazines légendaires qu’étaient El Tony (la première revue argentine dédiée aux historietas), Intervalo, FantasÃa, D’Artagnan ou Nippur Magnum.
Parallèlement, il collabore aussi au prestigieux Hora Cero, publié par Frontera, en illustrant des scénarios écrits par Héctor Germán Oesterheld (voir : bdzoom/article3684), aux côtés de José Luis Salinas et d’Hugo Pratt, lequel devint son ami (voir bdzoom/article3947). Alors qu’il se perfectionne en suivant les cours d’Alberto Breccia à l’Escuela Panamericana (voir bdzoom/article4343), on le retrouve aussi aux éditions Dante Quinterno (dans Patoruzito) et chez Bruguera. Pour ce dernier, il dessine « Frontier Bill », une série ultérieurement publiée par Columba qui l’exportera vers le Chili et l’Espagne.
À l’âge de vingt-neuf ans, il épouse Maria Celina (qui lui donnera une fille et un fils) et il entreprend des études de droit à l’« Universidad del Salvador » de Buenos Aires où il obtiendra son diplôme de notaire, en 1973. Très vite débordé, il est obligé de choisir entre ce métier lucratif où il débute et la bande dessinée qu’il pratique, en dilettante, depuis tant d’années : il privilégie alors sa passion et choisit finalement cette dernière alternative !
C’est alors qu’il développe intensément la carrière internationale qu’il avait entamée aux Etats-Unis chez Charlton Comics (dès le n°25 de War Heroes, en juillet 1967, avec le récit complet de huit pages intitulé « Red Bait »)(5). Il réalise ainsi quelques travaux pour des éditeurs colombiens ou brésiliens (« O Mistério da cabana assombrada » chez Mythos Editora), pour l’Écosse (chez DC Thomson & Co), pour l’Angleterre (chez Fleetway Publications Ltd, avec la série de football « Wee Reed » publiée dans Valiant et traduite en France dans la première série du pocket En Piste des éditions Aventures et Voyages, aux n°7, 8 et 9 de 1979 et 1980, sous le titre « Tom Rod ») et en Italie (chez Piero Dami Editore, Editrici Lancio, Eura SpA, aux éditions Dardo où il participe à la collection « Super Eroica », en 1978, et chez Asoria où il dessine quelques épisodes de « Diabolik »).
Parallèlement, il continue d’alimenter le marché argentin en travaillant toujours pour les éditions Columba où il illustre la série « Diego » (scénarisée par Julio Alvarez Cao) : aventures d’un cow-boy californien affrontant les Mexicains qui furent traduites en France, dans les n°409 à 423 du petit format Nevada des éditions Lug, entre 1981 et 1982.
Il entame également une collaboration avec la maison d’édition Record, notamment avec la reprise du western « El Cobra » où, sur des textes de Ray Collins (alias Eugenio Zapietro, un scénariste qui fût aussi commissaire de la police fédérale argentine), il prend la suite de son modèle, Arturo del Castillo, dans le magazine argentin Skorpio (de 1978 à 1979). Leur style étant très proche, la transition se fait sans difficulté à partir du huitième épisode. Il en dessinera en tout soixante-dix, lesquels seront publiés dans plusieurs pays, dont la France : sous le titre « Le Crotale » dans les pockets des éditions Aventures et Voyages comme Long Rifle (de 1984 à 1986) et La Route de l’Ouest (mais, dans ce cas précis, il semble que ce ne soient que des épisodes dessinés par Arturo del Castillo) ou simplement nommé « Cobra » dans le Karacal de la Sagédition (où, là encore, la version d’Arturo del Castillo domine).
Toujours pour le Skorpio des éditions argentines Record, Miguel Angel Repetto travaille aussi sur « Jet Power » (une histoire d’aviation en temps de guerre, dont il écrit lui-même les scénarios), mais aussi sur une centaine de récits complets (autant pour Skorpio que pour Lanciostory, comme la série des « Stran storie di frontiera », en 1984), sur la reprise du western « Laggiù nell’west » (traduit en français sous le titre « Là -bas dans l’Ouest », chez Aventures et Voyages, et scénarisé par Carlos Albiac) et sur de célèbres bandes, largement distribuées en Italie, dont les textes étaient signés Ray Collins : « Conrack » (en 1981), « Dan Flynn » (en 1984 et 1985), « Mandy Riley »…
Ensuite, il tente sa chance auprès de la King Features Syndicate, aux États-Unis, pour reprendre le célèbre « Prince Valiant » à la suite d’Harold Foster, avant que cette série médiévale ne soit confiée à John Cullen Murphy ; mais ses planches d’essais seront perdues dans les bureaux de la K.F.S..
Sans pour autant se décourager, cinq ans plus tard (en 1982), il participe à un autre projet lancé par la King Features Syndicate : un concours autour d’une bande dessinée écologique ; et, finalement, c’est lui qui est choisi, entre plus de deux mille autres concurrents, pour dessiner, de 1985 à 1987, la série « Green Force Five » (sur des scénarios d’un autre argentin : Alfredo J. Grassi) : unique exemple de bande publiée dans de nombreux pays et réalisée par une équipe exclusivement argentine, puisqu’elle était aussi traduite par leur compatriote Osvaldo J. Blanco .
Confortant sa position à la King Features Syndicate, Miguel Angel Repetto illustre également, entre 1985 et 1995, environ trente épisodes (scénarisés par un certain M. Gill) du très populaire « Secret Agent Corrigan », nouvelle version, destinée à être distribuée en Scandinavie (Suède, Norvège, Danemark et Finlande), des aventures de « Secret Agent X-9 », le fameux policier créé par Alex Raymond et Dashiell Hammett.
Entre-temps, il crée « Mapache » (dont il assume textes et dessins, en 1992) pour l’entreprise italienne Editora Eura : encore un western qui sera repris, en Argentine, par les éditions Columba.
Enfin, même si ces travaux pour cet éditeur italien ne paraissent qu’en 1999, c’est dès 1993 que Miguel Angel Repetto rejoint l’équipe de Sergio Bonelli sur « Tex » ; ceci grâce à l’entremise de son ami Hugo Pratt(6). Aujourd’hui, le vieux maître argentin consacre tous ses loisirs à ses passe-temps favoris : la musique folklorique et le tango, activités qu’il partage avec toute sa famille, laquelle s’est considérablement agrandie puisqu’il a, maintenant, pas moins de cinq petits enfants !
Gilles RATIER, avec l’aide de Christophe Léchopier (dit « Bichop ») à la technique
(1) Il ne faut pas confondre Miguel Angel Repetto avec Domingo « Mirco » Repetto qui est surtout connu, en Argentine, sous le pseudonyme de Mirco ; même s’ils ont été publiés, tous les deux, dans Patoruzito : ce dernier est né à Gênes (en Italie) et déménage, à l’âge de dix ans, pour l’Argentine où il devient un dessinateur au style humoristique et rondouillard travaillant surtout pour les éditions Dante Quinterno. Il est aussi connu pour avoir créé, en 1940, « La Vaca Aurora » dans le magazine Cara Sucia et pour avoir scénarisé les premières aventures du détective « Vito Nervio », dès le 10 octobre 1945 (dans Patoruzito), lesquelles étaient dessinées à l’origine par Emilio Cortinas et, plus tard, par Alberto Breccia (de 1947 à 1959).
(2) D’autres « Coin du patrimoine », mis en ligne sur notre site, ont mis l’accent sur certains dessinateurs de « Tex Willer » qui méritent votre attention : que ce soit Ivo Milazzo (bdzoom/article4042), Magnus (bdzoom/article3992), Corrado Mastanuono. (bdzoom/article4310) ou Victor de la Fuente (bdzoom/article4357).
(3) Il s’agit, pour la série mensuelle scénarisée par Claudio Nizzi, du n° 504 (« Il Covo del male », en octobre 2002), du n°505 (« Guerra nel deserto », en novembre 2002), du n°526 (« I Fratelli Donegan », en août 2004), du n°527 (« Il Segno del potere », en septembre 2004), du n°544 (« Intrigo nel Klondike », scénario de Mauro Boselli, en février 2006), du n°565 (« La Sentinella », en novembre 2007) et du n°566 (« Un soldato ritorna », en décembre 2007) ; mais aussi des annuels Almanacco del West 1999 (« La Montagna del mistero », en février 1999) et 2002 (« L’Ultimo squadrone » , en février 2002), toujours sur scénarios de Claudio Nizzi, ainsi que du Maxi Tex 2005 (« La Pista degli agguati », textes de Gianfranco Manfredi, en octobre 2005) : le tout sous des couvertures toutes dues à Claudio Villa !
(4) En effet, s’il est adulé en Italie ou au Portugal, et bien sûr dans son pays d’origine, les francophones n’ont, jusqu’à présent, fait que peu de cas de Miguel Angel Repetto : la seule biographie digne de foi étant celle publiée dans le n°105 de Hop !, au premier trimestre 2005, que Marc-André Dumonteil a réalisée ; nous en profitons pour le remercier vivement pour ses envois de planches réalisées par Miguel Angel Repetto, dont nous nous sommes copieusement servi pour illustrer cet article !
(5) Outre ce premier récit complet, voici le détail des autres travaux de Miguel Angel Repetto pour Charlton ; « Hanoi Strike » (huit pages dans War and Attack n°62 d’octobre 1967), « Killer Pilot ! » (huit pages dans War and Attack n°63 de décembre 1967), « The Phantoms of NuDinh » (huit pages dans War Wings n°1 d’octobre 1968), « The War Criminal of Abilene » (huit pages dans Outlaws of the West n°76 de juillet 1969, réédition dans The Gunfighters n°81 de novembre 1983), « Tarnished Badge » (huit pages dans Texas Rangers in Action n°76 de février 1970, réédition dans The Gunfighters n°75 d’octobre 1982), « Hanoi Strike » (huit pages dans Battlefield Action n°74 d’avril 1982).
(6) Dans une de ses rares interviews (sur le blog portugais consacré à « Tex » : http://texwiller.blog.com ), Miguel Angel Repetto raconte, avec beaucoup d’humour, comment s’est passée cette rencontre avec Bonelli, via son ami Hugo Pratt !
L’argentin Miguel Angel Repetto ,qui s’est avant tout illustré dans le western,nous a quitté ce 10 mai dernier,à 90 ans: https://www.sergiobonelli.it/news/2019/05/17/news/addio-a-miguel-angel-repetto-1004637/
Merci pour cette triste nouvelle : voilà l’occasion de relire le « Coin du patrimoine » que nous lui avions consacré (http://bdzoom.com/7261/patrimoine/le-coin-du-patrimoine-bd-miguel-angel-repetto/), en espérant que l’on traduise quelques unes de ses Å“uvrettes dans nos contrées !
Gilles Ratier
Des « oeuvrettes » populaires réalisées par des artistes à la technique complète et très sûre qui leurs permet de tout dessiner .Et vite.
Ce qui est loin d’être anodin et si fréquent . Vraiment.
Des conteurs hors pair,donc .Pour des chefs- d’oeuvres d’évocation et d’ambiance parfaitement orchestrés.