Ivo Milazzo

Après un superbe « Tex » scénarisé par Claudio Nizzi et traduit chez l’éditeur Clair de Lune (voir : [http://www.bdzoom.com/spip.php?article3869->http://www.bdzoom.com/spip.php?article3869]), les éditions Mosquito nous proposent aujourd’hui un autre western illustré par Ivo Milazzo : « Shado », le 7ème épisode d’« Esprit du vent » (datant de décembre 1999 et correspondant au trentième numéro, en Italie).

Comme pour « Tex », ce dessinateur trop méconnu dans nos contrées n’est pas le principal illustrateur de cette série populaire intitulée « Magico Vento » dans son pays d’origine (où elle est publiée chez Bonelli, le responsable de la Cepim, depuis juillet 1997).

C’est le célèbre compositeur italien Gianfranco Manfredi (1) qui a écrit cette excellente histoire mettant en scène un ancien soldat qui a été recueilli par un chaman, lequel lui enseigna les rites et les secrets de la magie indienne. Gianfranco Manfredi est même considéré comme le scénariste de base de la série (c’est d’ailleurs lui qui scénarise l’épisode « Shado » édité aujourd’hui chez Mosquito), même si quelques récits sont dus à l’imagination d’Antonio Segura, de Stefano Lugano, de Tito Faraci ou de Renato Queirolo.
Par contre, sur le plan graphique, les collaborateurs sont très nombreux : si l’Espagnol José Ortiz en a dessiné le premier épisode (ainsi que quatre autres) et si le talentueux Pasquale Frisenda est le responsable des six précédents titres traduits chez Mosquito (il en a réalisé quinze au total), il faut noter, par ordre chronologique, les interventions de Giuseppe Barbati, Corrado Mastantuono, Bruno Ramella, Goran Parlov, Eugenio Sicomoro, Corrado Roi, Luigi Piccatto, Stefano Biglia, Carlo Bellagamba (alias Giez), Cristiano Spadavecchia, Mario Milano, Maurizio Di Vincenzo, Darko Perovic, Giovanni Talami, Leomacs, Luigi Siniscalchi, et Cristiano Spadoni : que des bons !

Hélas, si « Magico Vento » fait un malheur de l’autre côté des Alpes, en France, la série ne décolle pas… Les qualités graphiques de Pasquale Frisenda ne sont pourtant pas en cause ! Est-ce que cela viendrait du format, plus petit que les albums cartonnés traditionnels franco-belges ? Nous verrons si l’arrivée de ce géant des fumettis qu’est Ivo Milazzo changera la donne… Pourtant, nous ne sommes guère optimistes car la série phare de cet excellent dessinateur (« Ken Parker », encore un western) n’a jamais su conquérir le public francophone, alors que ce trappeur progressiste et généreux, créée en 1974 avec le scénariste Giancarlo Berardi (mais seulement publiée par la Cepim de Bonelli en 1977), est mythique en Italie et dans toute l’ex-Yougoslavie.

Publiée d’abord en France sous le titre « Scotty Long Rifle », dans des petits formats édités par les éditions Aventures et Voyages (Long Rifle, de 1978 à 1987) (2), « Ken Parker », qui ressemble beaucoup au « Jeremiah Johnson » interprété par Robert Redford dans le film de Sydney Pollack, a connu d’autres traductions françaises sous forme d’albums cartonnés aux éditions Soleil (deux tentatives en 1992) et chez Ligne d’ombre, un label dirigé par l’agent slovène Ervin Rustemagic (deux titres mis en couleurs par Laura Battaglia, l’épouse du grand Dino Battaglia – voir http://bdzoom.com/spip.php?article3391 -, en 2003 et 2004) : des essais, hélas, peu concluants du point de vue économique.

Mais qui est donc ce Ivo Milazzo honoré par ses pairs transalpins mais complètement ignoré par le lectorat francophone ? Il est né le 20 juin 1947 à Tortona (en Italie) et se passionne très tôt pour les arts graphiques, le cinéma, la musique et la littérature. C’est sa rencontre avec un camarade d’université (le scénariste Giancarlo Berardi, en 1970) qui lui permet de s’orienter vers la bande dessinée. En effet, il lui illustre son premier récit « Il Cieco » (« L’Aveugle ») publié, en 1971, dans la revue Horror (créée par Pier Carpi et Alfredo Castelli). Puis, sous le pseudonyme de Giaco, Milazzo dessine « Il Palafita » pour la revue Sorry, toujours en 1971, ainsi que d’autres récits pour la maison d’édition Universo.
Á la même époque, on retrouve les deux compères aux éditions Ediperiodici, spécialisées dans l’aventure érotique (« Isabella », « Jacula », « Lucrezia »…), ou aux commandes (souvent non créditées) de quelques épisodes de « Diabolik » pour les sœurs Giussani (Luciana et Angela, cette dernière étant l’épouse de Gino Sansoni, l’éditeur du magazine Horror) et de plusieurs « Tarzan » ou adaptations en bande dessinée des malheurs du chat « Sylvestre » (« Silvestro » en italien), le souffre-douleur de « Titi » dans le célèbre dessin animé, pour les éditions Cenisio qui les destinaient au marché français.

Alors que Giancarlo Berardi part aux Etats-Unis pendant une période de deux ans où il prend contact avec la Marvel (3), Ivo Milazzo entre au studio Bierrecì (composé de Luciano Bottaro, Giorgio Rebuffi et Carlo Chendi) pour réaliser diverses histoires gravitant autour de l’univers Disney. En 1973, il y dessine particulièrement « Zio Paperone e la scomparsa di Paperopoli » (« L’Oncle Picsou et la disparition de Donaldville » sur un scénario de Jerry Siegel, l’un des créateurs de « Superman ») et encre également les crayonnés de Luciano Bottaro sur « Paperino e il safari fotografico » (« Donald et le safari-photo ») scénarisé par Osvaldo Pavese.

Berardi étant de retour au pays, les deux inséparables amis (ils vont travailler en duo, de façon pratiquement exclusive, jusqu’en 1998) donnent vie, en 1974, à « Ken Parker » : un personnage profondément humain, bien différent des habituels héros des bandes dessinées western, qui prend la défense de ceux qui se font exploiter en luttant contre le racisme et l’intolérance. Cette série qui va les consacrer aurait dû paraître dans la « Collana Rodeo », une collection regroupant différents westerns dont « La Storia del West », mais son éditeur, Sergio Bonelli, appréciant le ton novateur de « Ken Parker », a préféré en retarder la parution afin de lui offrir sa propre revue, en 1977 : un périodique en petit format et en noir et blanc qui va devenir mensuel et dont Ivo Milazzo réalise toutes les couvertures, à l’aquarelle…

Le succès est immédiat et le magazine se poursuit jusqu’en mai 1984 (4) (le temps de 59 numéros où les auteurs, parfois débordés par le rythme infernal de parution, se feront remplacés par Maurizio Mantero, Alfredo Castelli et Tiziano Sclavi (pour les scénarios) ou Giancarlo Alessandrini, Bruno Maraffa, Giorgio Trevisan, Renzo Calgari, Giovanni Chianti, Vincenzo Monti, Carlo Ambrosini, Sergio Tarquinio ou Renato Polese (pour les dessins).

Cependant, d’avril 1984 à février 1985, « Ken Parker » figure aussi au sommaire du prestigieux magazine Orient Express, dans des épisodes en couleurs, souvent sans aucun textes, et en plus grand format. Puis, après la disparition d’ Orient Express, on le retrouve dans Comic Art, autre revue luxueuse éditée par Rinaldo Traini, de mars 1985 à janvier 1988. Après quatre années d’absence, « Ken Parker » revient, le temps de quelques histoires inédites, dans son propre magazine aux éditions créées par Ivo Milazzo et Giancarlo Berardi (lesquelles portent son nom : Parker), de juin 1992 à janvier 1996 (au n°36), après qu’elles aient été rachetées par Bonelli en 1994. Des reprises des aventures de cet innovant personnage se retrouvent alors dans un bimestriel en petit format (Ken Parker Colleczione), tandis que des inédits sont proposés semestriellement dans Ken Parker Speciale, du moins jusqu’à la fin de la collaboration entre les deux auteurs, en janvier 1998… (5)

Dans la seconde moitié des années soixante-dix (en 1976 exactement), toujours en tandem avec le scénariste Giancarlo Berardi, Ivo Milazzo dessine « Tiki, il ragazzo guerrerio » pour Il Giornalino. Destinée aux jeunes lecteurs, cette vengeance d’un jeune indien de la forêt amazonienne qui a vu sa tribu détruite est tardivement traduite, en album, chez Mosquito (en septembre 2007), après une pré-publication dans le nouveau Pif-Gadget (dans les n°34, 36, 38 et 40, de mai à octobre 2007).

En 1977 et 1978, on doit également aux deux compères « Welcome to Springville » (6) dans Skorpio, un magazine publié par Lancio (l’éditeur d’une autre revue bien connue en Italie : Lanciostory), puis « L’Uomo delle Filippine » pour la collection « Un Uomo, uno avventura » de la Cepim (en 1980).
Après un bref séjour en dehors de la bande dessinée où il travaille dans la publicité (à l’agence Saiwa de Gênes), Ivo Milazzo (avec Berardi) réalise divers récits complets dans Orient Express, en 1982 : « Una strana coppia », « Dov’e’ Laura », « Vecchio Frac », « Jane, sweet Jane » et « L’Ultimo samurai », lesquels seront réunis dans l’album « Fantischeria », cinq ans plus tard. C’est aussi dans Orient Express, en 1982, qu’est publié « I fondatori », d’après une histoire de science-fiction d’Isaac Asimov. Le mystérieux auteur qui se cache derrière le pseudonyme de MM Becami n’est autre que M-aurizio M-antéro (collaborateur de Berardi), Be-rardi, Ca-legari et Mi (c’est-à-dire « Moi », autrement dit Milazzo, lui-même !)

Également pour Orient Express, on doit à ces deux auteurs, lesquels s’attachent à décrire des personnages ayant une véritable épaisseur psychologique avec leurs doutes et leurs faiblesses, « Marvin il detective », le protagoniste d’une longue aventure bien éloignée des stéréotypes : « Il Caso di Marion Colman », en 1982 (album français chez Mosquito en juin 2006) ; à noter que dans des images du prologue de ce polar situé dans les débuts du cinéma à Hollywood, Ken Parker joue le rôle d’un méchant peu probable, dans un film muet.

De 1988 à 1990, Ivo Milazzo fait quelques infidélités à son complice scénariste en dessinant plusieurs épisodes de « Nick Raider » (sur des textes de Claudio Nizzi), tout en définissant les caractères physiques de ce héros populaire des éditions Bonelli, ou en s’associant avec Maurizio Mantero sur « O’Henry », dans Comic Art.
En 1989, toujours pour Comic Art, Berardi et Milazzo reprennent le personnage de Tommy Steele qui apparaissait dans « Quasi sempre », l’une de leurs histoires courtes publiées dans Il Giornalino en 1977, pour « Tom’s Bar » (album français chez Mosquito, en septembre 2005) et créent « Giuli Bai & Co » qui raconte les aventures inachevées de jeunes Génois insouciants dans les années cinquante.
À partir de 1997, Ivo Milazzo devient titulaire d’une chaire de « langage et techniques de la bande dessinée » à l’Académie des Beaux-arts de Carrare et commence à dessiner un épisode de « Tex » pour Bonelli : « Sang sur le Colorado », un scénario de Claudio Nizzi, qui paraîtra finalement en juillet 1999, dans la collection annuelle « Speciale Tex ». C’est aussi pour cet éditeur de fumettis, pendant cette même année 1999, qu’il collabore à « Magico Vento » (« Esprit du vent »), série dont il a réalisé onze épisodes, jusqu’en novembre 2004 : les éditions Mosquito en annoncent, pour octobre 2010, le huitième (en fait le n°69, paru en mars 2003) sous le titre « Cent fusils ».

Depuis 2004, Ivo Milazzo s’est engagé dans divers autres projets comme « Impeesa : la grande aventure Baden Powell », écrit par Paul Fizzarotti et dédié au fondateur du scoutisme (paru aux éditions Lizard en septembre 2007), ou encore les deux premiers volets de la série « Le Maître rouge » publiée dans feu la collection « Dédales » des Humanoïdes Associés, sur des textes de Francis Artibani. Ce polar historique original, entre intrigues de palais et luttes de pouvoir dans une Italie conservatrice, n’a, hélas, pas rencontré son public.
Malgré ses nombreux prix nationaux et internationaux, il semblerait donc que le travail réaliste d’Ivo Milazzo (artiste qui a toujours su privilégier l’expressivité en laissant son trait vibrer d’émotion) ne trouve écho, en France, qu’auprès d’un petit groupe d’amateurs : et c’est fort regrettable ! Espérons que les tentatives récentes de Mosquito, ou de Clair de lune, permettront de mieux faire connaître cet auteur qui s’emploie, par ailleurs, à l’adoption d’un amendement pour la reconnaissance du droit d’auteur en Italie. Et, peut-être qu’un jour, le public francophone pourra enfin découvrir l’intégralité de « Ken Parker », sa série fétiche, ou les quelques titres qui restent encore inédits dans nos contrées, tel le récent « Impeesa » : des œuvres engagées où se mêlent idéalisme et générosité et où Milazzo démontre toute la maestria de sa narration graphique aussi instinctive qu’efficace. (7)

Gilles RATIER, avec Laurent TURPIN aux manettes

(1) Gianfranco Manfredi est né à Senigallia (Ancona), le 26 novembre 1948, de parents musiciens. Fort de ce patrimoine familial, il mène tout d’abord une carrière jalonnée de succès dans la chanson, en qualité d’auteur et d’interprète, ainsi qu’au cinéma et à la télévision, comme acteur et scénariste. Auteur de nombreux romans, il se tourne, dans les années quatre-vingt-dix, vers la bande dessinée en écrivant les textes de « Gordon Link » pour l’éditeur Dardo (dessins de Raffaele Della Monica, en 1994). Scénariste de quelques épisodes des mythiques « Dylan Dog » et « Nick Raider », il poursuit sa collaboration avec les éditions Bonelli en créant « Magico Vento » (« Esprit du vent »), en 1997. Depuis, Sergio Bonelli lui a confié l’écriture de plusieurs épisodes de « Tex », héros incontournable de la bande dessinée transalpine.

(2) Toutes les aventures de la première série de « Ken Parker », hélas avec quelques scènes censurées ou remontées, sont parues dans Long Rifle, au rythme d’un demi-épisode par mois ; ceci jusqu’au dernier numéro du pocket (le n°106), le matériel d’origine étant alors épuisé.

(3) Pendant son séjour aux USA, Giancarlo Berardi montre ses histoires d’horreur à John Romita senior. Celles-ci plaisent à la Marvel Comics qui lui fait une proposition intéressante, mais à condition qu’il s’installe en Amérique. Il refuse et retourne en Italie, non sans avoir écrit une série d’articles sur le 9ème art pour des revues spécialisées. Outre ses scénarios pour Milazzo, Berardi a créé des récits complets pour la « Collana Rodeo » (« Wyatt Doyle » dessiné par Gianni Forgiarini et « Terra maledetta » par Antonio Canale en 1974), a signé trois épisodes du « Piccolo Ranger » (« Le Petit Ranger ») et un récit complet avec Giancarlo Alessandrini en 1976, a collaboré à L’Eternauta avec quelques histoires de « Sherlock Holmes » illustrées par Giorgio Trevisan en 1986 et a travaillé de nouveau pour Bonelli (« Nick Raider » en 1989 et « Tex » en 1991). Depuis sa séparation artistique d’avec Milazzo, il se consacre à « Julia », une criminologiste dont le premier épisode a été illustré par Luca Vannini, en octobre 1998 ; depuis, d’autres dessinateurs comme Corrado Roi, Gustavo Trigo, Pietro Dall’Agnol, Laura Zuccheri, Marco Soldi, Luigi Siniscalchi, Giorgio Trevisan, Giancarlo Caracuzzo, Valerio Piccioni, Enio, Sergio Toppi (voir : http://bdzoom.com/spip.php?article3807), Federico Antinori, Thomas Campi, Roberto Zaghi, Claudio Piccoli, Alberto Macagno, Mario Jannì, Ernesto Michelazzo, Steve Boraley, Lucio Leoni, Antonio Marinetti ou Ernesto Garcia Seijas ont pris le relais, tandis que Berardi se fait quelques fois assister ou remplacé par les scénaristes Maurizio Mantero, Giuseppe De Nardo, Michelangelo La Neve, Gino D’Antonio, Claudia Salvatori, Lorenzo Calza, Alberto Ghè… : quel sera donc l’éditeur qui proposera cette excellente série en langue française ?

(4) Dès 1983, cette première série en noir et blanc est reprise, en couleurs, dans des albums de grand format chez l’éditeur italien Isola Trovata et, à partir de 1989, est rééditée sous sa forme originelle aux éditions Parker ; alors que quelques ouvrages hors séries paraissent aussi chez Mondadori, Lo Vecchio, Del Griffo…

(5) Ce dernier épisode, intitulé « Faccia di Rame », a été dessiné à quatre mains avec Luca Vannini.

(6) Les quatre épisodes de ce western, dessinés avec l’aide de Renzo Calegari, ont été repris en recueil chez Isola Trovata, en 1980.

(7) Pour ceux qui veulent en savoir plus sur « Ken Parker », un article très complet, signé Jean-Yves Baer, est paru dans le n°49 de la très recommandable revue Hop ! (1er trimestre 1991). Sinon, en Italie, un épais volume des fameux « Glamour’s Book » lui a été consacré, avec de nombreuses illustrations inédites, en 1985.

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