Quoi ? Encore Maurice Tillieux !

Et bien oui, pas moins de trois nouveaux ouvrages viennent combler les amateurs en leur proposant des rééditions de cet immense auteur, référence incontournable du 9e art belge (autant du point de vue du dessin humoristique que du scénario feuilletonesque), disparu bien trop tôt : en 1978, à la suite de l’un de ces accidents de voitures comme il nous en montra tant dans ses fabuleuses bandes dessinées !

Il s’agit des suites des inégalées intégrales des éditions Dupuis (le troisième tome de son formidable « Gil Jourdan » et le septième volume des enquêtes policières de « Tif et Tondu » dont il reprit les scénarios, à la suite de Maurice Rosy et à la demande du dessinateur, son ami Will), mais aussi de sa mise en images des aventures de « Zappy Max », écrites par St. Julien (pseudonyme de l’écrivain Hugo de Haan), dans « Ça va bouillir » que nous proposent, aujourd’hui, les méritantes éditions de l’Élan, sous couverture inédite de François Walthéry : un honnête travail de commande que Tillieux réalisa pour Pilote, dès le n°1 de cet hebdomadaire créé par René Goscinny, Albert Uderzo, Jean-Michel Charlier et Jean Hébrard, en 1959 !

Les éditions de l’Élan sont une petite structure, créée (et dirigée) par Daniel Depessemier(1), qui s’est spécialisée dans l’édition et la réédition des bandes dessinées, dont celles de Maurice Tillieux. Et les premiers albums parus sont déjà tous épuisés : qu’il s’agisse d’« Achille et Boule-de-Gomme » (édité en 2002 à cinq cents exemplaires) ou des « Aventures de Bob Bang » (en 2005), des « Mésaventures de monsieur Balourd » (en 2007) ou de « La Grotte au démon vert » (une aventure d’« Ange Signe », en 2008), tous tirés à huit cents malheureux petits exemplaires. La recette de ces albums est sensiblement toujours la même : ils contiennent des bandes dessinées, devenues rares, présentées par un historique exhaustif d’une trentaine ou d’une quarantaine de pages illustrées par de nombreux documents, dessins et photos inédits ou peu connus. Plusieurs autres livres sont en préparation, notamment sur Maurice Tillieux, mais aussi des études et des rééditions de séries oubliées d’auteurs ayant œuvré dans les années 1940 à 1960 : tels Greg, Tibet ou André-Paul Duchâteau ; voir http://www.editionselan.be.

Donc, après un « Coin du patrimoine » que nous lui avons spécialement consacré (http://bdzoom.com/spip.php?article3191), un sur son « Gil Jourdan » (http://bdzoom.com/spip.php?article3900), un sur ses « Tif et Tondu » (http://bdzoom.com/spip.php?article3479) et un autre sur sa participation à « Natacha » (http://bdzoom.com/spip.php?article3567), après un article saluant plus précisément l’action des éditions de L’Élan (http://bdzoom.com/spip.php?article3760) et un « Envers des planches » où Thierry Martens, ancien rédacteur en chef de Spirou qui l’a très bien connu, s’exprime sur la technique de ce maître narratif (http://bdzoom.com/1467/interviews/lenvers-des-planches-de-maurice-tillieux/), voici une piqûre de rappel pour vous inciter à vous procurer ces trois ouvrages signés Maurice Tillieux !

Commençons peut-être par le moins connu d’entre eux : l’adaptation du feuilleton radiophonique (qui totalisa plus de trois mille épisodes) mettant en scène « Zappy Max », grand reporter au journal L’Éclat, affrontant l’affreux Kurt Von Straffenberg, alias « Le Tonneau » : quarante-quatre planches qui furent publiées dans Pilote, du n°1 du 29 octobre 1959 au n°44 du 25 août 1960. Il faut savoir que lors du lancement de ce célèbre journal, Radio Luxembourg était l’un de ses principaux partenaires, ceci grâce au carnet d’adresses bien rempli de l’un de ses créateurs qui fût aussi le premier rédacteur en chef de l’hebdomadaire : François Clauteaux, ancien responsable de publicité pour L’Oréal qui avait ses entrées à cette station qui allait devenir RTL. Rien de plus normal, dans ses conditions, d’animer les pages du périodique avec les vedettes de cette radio : Zappy Max(2) en tête, puisqu’il faisait partie des animateurs les plus apprécié du grand public de l’époque.

C’est certainement grâce à René Goscinny (qui appréciait énormément le travail de Tillieux qu’il connaissait bien pour l’avoir fréquenté lorsqu’il travaillait à Spirou) et à Jean-Michel Charlier (qui avait toujours un pied aux éditions Dupuis) que l’auteur de « Gil Jourdan » se retrouve entraîné dans l’aventure Pilote afin d’illustrer les textes, placés sous l’image pendant les dix premières pages, du romancier St. Julien. Débordé par son travail sur « Gil Jourdan » (mais aussi par ses autres séries en cours comme l’adaptation de ses « Félix » en « Ange Signe » dans L’Intrépide, « Les Aventures de Monsieur Balourd » destinées à l’A.N.P.A.D. etc.), pour terminer les rocambolesques aventures de « Zappy Max », il va se faire aider par le dessinateur Pierre Kosc, qui signait Leika « Les Dossiers du commissaire Maroff » dans les Héroïc-Albums. Obligé de reprendre la narration en main (à partir de la page 11, en incluant les textes dans des bulles) et d’adapter son style graphique au réalisme de l’histoire, Maurice Tillieux va laisser la place, pour la deuxième aventure (publiée du n°70 au n°113 de 1960), à son confrère Jacques Devaux.

Par la suite, Tillieux finira même par délaisser le dessin pour le scénario, recyclant souvent les intrigues de ses « Félix » des Héroïc-Albums dans les aventures de « Jess Long » ou « Tif et Tondu ». Cependant, ce n’est pas vraiment le cas pour les histoires contenues dans le septième volume de l’intégrale de « Tif et Tondu », dans lequel il se rappelle de la construction inventive de ses lectures policières de jeunesse : les romans des Américains Dashiell Hammett, Raymond Chandler, Ellery Queen ou Chester Himes et, surtout, ceux de l’Anglais James Hadley Chase ; n’oublions pas que Tillieux commença à être publié comme romancier, en 1943, avec un polar situé en pleine mer (le jeune Maurice ayant, auparavant, décoché son diplôme de navigateur car il avait toujours rêvé d’embarquer sur un cargo en partance pour l’aventure…) : « Le Navire qui tue ses capitaines », dans la collection « Le Sphinx » des éditions Maréchal !

En effet, si « Le Scaphandrier mort » (paru dans Spirou du n°1831 du 17 mai 1973 au n°1847 du 6 septembre 1973) peut faire penser à certains épisodes où « Félix » endossait, lui aussi, une tenue de plongée, « Sorti des abîmes » (du n°1746 du 30 septembre 1971 au n°1764 du 3 février 1972) et « Tif et Tondu à New York » (du n°1889 du 27 juin 1974 au n°1902 du 26 septembre 1974) sont bien des scénarios inédits, comme le précise d’ailleurs Didier Pasamonik dans sa préface érudite et bien documentée.

Un autre tome de l’intégrale « Tif et Tondu » devrait compiler les derniers scénarios de Tillieux pour cette série créée par Fernand Dineur (en 1938) : « Aventure birmane » publié en 1975, « Le Gouffre interdit » qui date de 1977 et « Les Passe-montagnes » de 1978 ; ces deux derniers opus étant co-scénarisés avec un Stephen Desberg débutant que Maurice Tillieux avait pris sous son aile protectrice. Espérons que les responsables de chez Dupuis n’oublieront pas d’y rajouter les quatre planches du récit complet « À 33 pas du mystère » publiées dans Spirou (au n°1682 du 9 juillet 1970) et qui ne furent reprises en album, qu’en 1978, dans un album de la collection « Péchés de jeunesse » : « Tif et Tondu en Amérique Centrale » !

Finissons notre propos avec la plus récente de ces trois nouveautés : le troisième « Gil Jourdan » qui rassemble les histoires déjà compilées autrefois dans les albums « Le Gant à trois doigts », « Le Chinois à deux roues », « Chaud et froid » et « Pâtée explosive », ainsi que les histoires supplémentaires de ce personnage parues dans Spirou entre 1964 et 1970 (soit deux récits et trois nouvelles illustrées entièrement de sa main) avec, en prime, un dossier de présentation dû à José-Louis Bocquet (proposant de nombreux documents inédits) , toujours aussi passionnant

: bref, un travail remarquable « comme on aimerait en voir plus souvent »…, et qui devrait être bientôt suivi par la compilation des épisodes dessinés par Gos.

Seule petite interrogation : quid des récits mettant en scène « Bob Slide »(3), de l’aventure de « Marc Jaguar »(4), de « Félix » dans « L’Affaire des bijoux » restaurée par François Walthéry(5) et des diverses autres pages de gags(6) contenus dans la première intégrale en six tomes concoctée par Thierry Martens chez Dupuis (« Tout Gil Jourdan ») ?

Ces récits hors « Gil Jourdan » ne seront pas inclus dans cette intégrale, mais les éditions Dupuis sont en discussion, à ce sujet, avec les héritières (Régine et Anne Tillieux) et envisagent, à terme, de les regrouper dans un volume indépendant ; lequel sortirait, au plus tôt, en 2012 : rien n’étant fait, ni définitif, ni dans un sens ni dans l’autre. Dans ces conditions, nous pouvons peut-être espérer voir, un jour ou l’autre, la réédition des recueils des gags de « César et Ernestine » qui furent édités dans deux albums « Tout César », sur le modèle des « Tout Gil Jourdan », en 1988 et 1989, ainsi que l’album hommage (« Les Enquêtes de leurs amis ») publié par Soleil, en 1989…

Voilà donc encore quelques pistes à ne pas négliger qui, si elles ne peuvent pas être suivies par les éditions Dupuis, devraient inciter Daniel Depessemier à poursuivre son remarquable travail patrimonial : même s’il est aujourd’hui à la retraite, il ne doit pas aspirer au repos pour autant car il y a encore beaucoup de pain sur la planche !

GILLES RATIER, avec le retour exceptionnel de Laurent TURPIN à la technique

(1) Daniel Depessemier, le fondateur des éditions de l’Élan, est un ancien collaborateur du libraire et éditeur belge Michel Deligne, l’un des premiers (ré)éditeurs des « Félix » dans les années 1970 et 1980 (après les éditions des Bogards en 1968 et les éditions RTP, liées au magazine Ran Tan Plan, en 1973). Alors qu’il publiait sa revue Curiosity Magazine (le n°1 contenait, déjà, au troisième trimestre 1972, la réédition d’un épisode de « Félix » : « Les Ressuscités »), Deligne avait demandé à Depessemier de l’aider sur le plan éditorial et ce dernier en profitera pour y dessiner quelques bandes et illustrations. C’est là qu’il fit la connaissance de Maurice Tillieux qu’il assaillit de questions, devenant, par la suite, l’un des meilleurs spécialistes de son œuvre.

(2) À noter qu’une première édition de « Ça va bouillir » a été publiée en noir et blanc, au quatrième trimestre 1979, par les éditions Furioso (dont l’un des deux responsables n’était autre que Dominique Véret, le futur co-fondateur des éditions Tonkam et bouillant consultant-superviseur d’Akata, partenaire de Delcourt pour l’édition de mangas), qu’une interview de Zappy Max est parue dans le n°87 (hiver 1998) du Collectionneur de Bandes Dessinées et qu’une page du site des éditions de l’Élan (http://www.editionselan.be/page6.html) est entièrement consacrée à ce célèbre présentateur de Radio Luxembourg (devenue RTL) et de Radio Monte Carlo (RMC), héros de l’émission « Ça va bouillir » et animateur de « Quitte ou double », du crochet radiophonique, etc.

(3) Il existe quatre aventures humoristiques de « Bob Slide » situées pendant la prohibition, de deux à six pages chacune, publiées dans Spirou, entre 1966 et 1970 : elles furent reprises (avec la page de gag « Histoire morale » publiée dans Spirou, au n°1465 du 12 mai 1966 en Belgique et dans le n°1484 du 22 septembre 1966 en France) dans un album intitulé « Bob Slide, l’homme à l’oeillet » publié à mille exemplaires chez Deligne et offert à tous les abonnés du magazine Félix, dans le tome 4 de « Tout Gil Jourdan » de chez Dupuis (en 1986) et, pour seulement deux d’entre-elles, dans l’album « Cas de farce majeure » aux éditions Bédésup, en 1984.

(4) « Marc Jaguar » est un photographe qui apparaît, pour la première fois, dans un épisode de treize planches des Héroïc-AlbumsContrebande », au n°46 de 1953, réédité dans le n°13 de Curiosity Magazine et dans Spirou aux n°2095 et 2096 de juin 1978, ainsi que dans un album pirate tiré à deux cent cinquante exemplaires en 1980). On le retrouve ensuite dans une longue aventure de quarante-deux pages publiée dans Risque-ToutLe Lac de l’homme mort », du n°1 du 24 novembre 1955 au n°42 du 6 septembre 1956, réédité dans le n°81 de Samedi-Jeunesse en juillet 1964 sous le titre « Le Lac mystérieux », dans Spirou, du n°2059 du 29 septembre 1977 au n°2074 du 12 janvier 1978, 22 Marc Jaguar1 et en album chez Dupuis, en 1957, avec certaines planches remaniées pour passer au standard des quarante-six pages ; puis, en 1978, dans le n°4 de la collection « Péchés de jeunesse » et, en 1987, dans le tome 6 de « Tout Gil Jourdan »). Enfin, il est le héros d’une histoire inachevée de sept planches parues dans Risque-ToutLes Camions du diable », du n°43 du 13 septembre 1956 au n°49 du 25 octobre 1956, rééditée, avec la huitième planche inédite, dans le n°34 de Schtroumpf : les cahiers de la bande dessinée, en 1977, ainsi que dans l’album pirate de 1980).

(5) Au départ, « L’Affaire des bijoux » n’est autre que la dernière aventure de « Félix » : douze planches et un strip, encrés en partie par Pierre Kosc (alias P. Leika), au n°46 de 1956 des Héroïc-Albums (rééditées dans le n°1977 du 3 mars 1976 de Spirou, dans le n°3 de 1973 du fanzine Submarine, dans l’album n°6 des « Aventures de Félix » de Deligne, en1979, et dans le tome 7 de « Félix l’intégrale » chez Niffle, en 2002).

Une version remaniée en douze pages (planche 10 partiellement redessinée et rajout des programmes non-stop, sortes de dessins annonce proposés entre les différents épisodes) est publiée dans le n°44 de Samedi-Jeunesse, en juin 1961, et une version est restaurée par François Walthéry (surtout au niveau des décors) : elle regroupait, en plus, des extraits des programmes non-stop et la version remaniée pour Samedi-Jeunesse (publiée au n°86 de décembre 1964) de l’épisode « Le Secret du Potomac » (originellement, la soixante-sixième aventure de « Félix » parue dans le n°24 des Héroïc-Albums, en 1956 et qui avait déjà été remaniée dans L’Intrépide en 1961 et 1962, puis dans Récréation en 1963, et non pas dans Ima, l’ami des jeunes comme le signale le « BDM »), pour obtenir quarante-quatre planches proposées dans Spirou, du n°2199 du 5 juin 1980 au n°2211 du 28 août 1980. Le tout fut repris dans un album de la collection « Péchés de jeunesse » de chez Dupuis (le n°12 de 1981) qui sera réédité dans le tome 6 de « Tout Gil Jourdan », en 1987.

(6) Toutes les histoires complètes et pages de gags publiées dans Spirou sont listées ici : http://bdoubliees.com/journalspirou/auteurs6/tillieux.htm.

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2 réponses à Quoi ? Encore Maurice Tillieux !

  1. Arnaud de la Croix dit :

    Ah ça fait rêver tout ça. Je suis en vacances au soleil, dans le Perigord, mais Tillieux me donne envie de graillon et d’ impasses sordides au petit matin : c est un grand magicien de la bd.

  2. sapin dit :

    trop tôt disparu mais quel héritage! Je suis en train de me replonger dans l’oeuvre de maître du 9ème art et les découvertes sont légion! Mention spéciale aux éditions de l’élan pour la publication en recueil des aventures de Félix…des heures de rêve à venir!

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