Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
Lire la suite...Du Tillieux réaliste !
Habituées des toutes dernières parutions de l’année, les éditions de l’Élan nous ont concoctés, pour ces fêtes, un nouveau recueil patrimonial signé Maurice Tillieux, dans la lignée de leur rééditon des aventures de Félix : l’intégrale de ses histoires réalistes réalisées dans les débuts de sa carrière, entre 1947 et 1951, quand il œuvrait aux Heroïc-Albums. Ce pilier de l’école franco-belge de Marcinelle, qui n’avait évidemment pas encore complètement atteint la maîtrise de son trait, subissait alors l’influence de certains graphistes américains comme Milton Caniff, Fred Harman ou Frank Robbins…
Cet imposant opus de plus de 200 pages reprend donc les 12 récits, de 12 ou 13 planches chacune, que le futur dessinateur (et fabuleux scénariste) de « Gil Jourdan » proposa dans le mythique périodique belge de Fernand Cheneval : Heroïc-Albums, qui exista de novembre 1945 à décembre 1956 !
Lorsque le jeune et dynamique directeur de ce magazine — alors fortement sous influence des séries américaines de l’époque — demande à Tillieux de produire des histoires réalistes, ceci malgré le bon accueil de son « Bob Bang » qui était dessiné dans un style plus caricatural (1), notre auteur n’avait que 26 ans et ne créait des bandes dessinées que depuis environ trois ans.
Tous les ingrédients de la littérature d’évasion (aventures exotiques ou historiques, westerns, policiers…) vont être expérimentés par ce dessinateur et narrateur débutant qui s’inspire donc, ici, des illustrateurs américains que l’on retrouvait alors dans les comics ramenés par les soldats américains et qui étaient aussi traduits à tour de bras dans les journaux de l’époque… D’ailleurs, Étienne Borgers collaborateur émérite des éditions de l’Élan et, par ailleurs, ami de longue date de François Walthéry pour qui il scénarisa quelques épisodes de sa « Natacha », consacre un long article à ce sujet dans l’instructif dossier introductif.
Pour mettre en images une expédition en Birmanie (qui fut remaniée pour le projet de la série Chris Vallon prévue dans Le Journal de Paddy en 1955, puis dans « Aventure birmane » avec Tif et Tondu dans Spirou, 20 ans plus tard) ou encore deux récits bien documentés sur la Guerre de Corée, Tillieux prend comme modèles les maîtres du noir et blanc qu’étaient Milton Caniff (dessinateur de « Terry and the Pirats » ou de « Steve Canyon ») et Frank Robbins (« Johnny Hazard »), à l’instar de bien d’autres de ses collègues francophones.
En ce qui concerne les westerns, mettant notamment en scène Bill Sanders, il adapte plutôt le style plus libéré de Fred Harman (peintre et auteur de « Red Ryder » et qui était, lui-même, un véritable cow-boy), commençant à jouer adroitement avec les ombres et les contrastes.
Pour les enquêtes de l’inspecteur Law, il utilise de plus en plus les clairs-obscurs, afin de créer une ambiance digne des meilleurs romans noirs hard boiled, lorgnant du côté d’Alfred Andriola (« Charlie Chan »).
Bref, ce panaché d’aventures avec un grand A — qui contient aussi des histoires de pirates, de trappeurs et même un péplum ! — nous permet de constater les évidents progrès graphiques et narratifs de Tillieux qui va, ensuite, se consacrer à plein-temps à son « Félix » et proclamer à de nombreuses reprises que « dans le fond, nous sommes avant tout des “raconteurs d’histoires”, et l’histoire compte même plus que le dessin. »
Ces récits avaient également été repris partiellement (en étant, hélas !, beaucoup moins bien imprimés) dans le bimestriel Curiosity Magazine de Michel Deligne au début des années soixante-dix, puis en trois albums chez ce même éditeur belge en 1981.
Ils sont ici présentés dans leur intégralité, avec les programmes non-stop et des articles historiques qui permettent de situer chaque BD dans son contexte créatif.
Pour emballer au mieux l’objet, Daniel Depessemier, le responsable des éditions de l’Élan (2) — qui fut aussi l’un des bras droits de Deligne —, reprend, comme pour le recueil de la série « Bob Bang », la maquette de son intégrale de « Félix ».
Continuant la valorisation de l’œuvre de Tillieux, il nous annonce, pour l’an prochain, un album d’environ 136 pages qui sera consacré aux enquêtes d’Ange Signe : des remakes de celles de Félix, évidemment signés M.Tillieux (avec l’aide de Bob de Groot ou de Jean-Marie Brouyère pour certains épisodes), également dans la même présentation que les intégrales « Félix ».
Gilles RATIER
(1) Pour en savoir plus « Bob Bang », voir : De nouvelles intégrales pour des séries publiées autrefois dans Spirou, Tintin, Pilote….
(2) Voir nos autres articles sur les productions des éditions de l’Élan : Mission accomplie pour les éditions de l’Élan, avec la publication du tome 11 de l’intégrale « Félix » !, Et de dix pour l’intégrale « Félix » !, Un « Félix » de Tillieux à mettre sous le sapin !, Tillieux, Goscinny et Charlier en majesté…, « Félix » a toujours autant d’Élan !, Du patrimoine érudit…, Enfin, une nouvelle intégrale pour « Félix » de Maurice Tillieux !, Les couvertures de « Félix » en intégrale…., De quelques nouveautés franco-belges venant tout droit du passé…, Revue de détail des dernières nouveautés du passé de Tintin ou de Spirou !, Un nouvel Élan pour Maurice Tillieux ou L’envers des planches de Maurice Tillieux.
« Héroïc, histoires réalistes : l’intégrale » par Maurice Tillieux
Éditions de l’Élan (39 €) — EAN : 978-2-931072-03-5
Parution 17 décembre 2021
Excellent. J’avais remarqué ce beau volume sur leur site et l’attend chez mon libraire local. Il semble qu’il ait un peu de retard…il ne devrait pas rester non plus ongtemps disponible dans l’absolu
J’ai lu ce nouveau volume avec beaucoup de plaisir. Cela permet bien de constater combien cet auteur a évolué dans sa maitrise du dessin et de la structuration de ses scénarios.
Bravo à cet éditeur qui fait un travail patrimonial magnifique.
Très heureux de savoir que d’autres volumes sont en préparation (Ange Signe).