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Dans le deuxième tome des « Zazous », le quotidien ne chante plus…

28/02/2023
Par Gilles Ratier

L’historien et romancier espagnol Salva Rubio s’impose de plus en plus comme un scénariste de premier ordre : notamment avec cette virevoltante trilogie dramatique, remarquablement mise en valeur par le trait dynamique et expressionniste de son compatriote Danide. Située pendant l’occupation, elle met en scène des jeunes gens — reconnaissables à leurs vêtements d’origine anglaise ou américaine — qui affichaient, entre swing et révolte, leur amour du jazz. Surnommés les zazous, ils allaient devenir le fer de lance d’une contre-culture qui tranchait, radicalement, avec certaines idées de leurs parents : cette génération qui avait entraîné le monde dans la haine et la guerre.

Les nazis occupent Paris et instaurent un climat de terreur, s’attaquant au moindre espace de liberté : ils interdirent ainsi les soirées jazz et la mode flashy. Fred est un réfugié espagnol : un gamin des rues qui n’a que la survie de sa petite sœur en tête. Pour gagner un peu d’argent afin que cette dernière puisse au moins manger, il devient indic et infiltre, pour le compte de la police, un regroupement de zazous qu’on suspecte d’être lié à la résistance. Au contact de ces rebelles passionnés, aussi intelligents qu’extravagants, il va véritablement changer. En effet, si ces danseurs, musiciens ou étudiants, rejettent l’autorité par amour du défi et par esprit de contradiction (tout en cultivant leur look avec aplomb), ils refusent surtout la morosité qu’on leur impose et font du swing un hymne à la liberté : « Ne pas subir » est leur devise !

Mais, en 1942, Paris n’est plus une fête, et le pire est à venir : la terreur va remplacer les jours d’insouciance exposés dans le premier épisode. Face à la montée de l’antisémitisme, la violence s’accroît dans les rues. D’ailleurs, un nouveau groupe de jeunes d’extrême droite s’est constitué contre la bande de nos zazous, assimilés à des fauteurs de trouble : car trop transgressifs et trop libres.

Pendant ce temps-là, le gouvernement français intensifie sa razzia sur les juifs, en arrêtant femmes et enfants : les zazous, facilement identifiables par leurs tenues détonantes et leurs cheveux longs, deviennent eux également des cibles en puissance et n’auront pas d’autre choix que de prendre les armes. Cependant, face aux horreurs qui s’annoncent, Frankie va tout faire pour sauver ses amis…

Revenant, entre autres, sur la tragédie du Vél’ d’Hiv’, l’excellent Salva Rubio (1) quitte le batifolage et la frivolité du premier volume pour nous livrer une fiction aussi palpitante que poignante, où les personnages se prennent la réalité en pleine gueule : les auteurs réussissant, toutefois, à instaurer une ambiance à la « West Side Story » dans un contexte historique digne d’« Il était une fois en France » (2) : cette formidable saga dessinée sur cette époque de Sylvain Vallée et Fabien Nury, à laquelle ils rendent hommage avec un clin d’œil bien amené en page 8.

Insistons également sur la fraîcheur de l’avenant et minutieux graphisme de Danide — de son véritable nom Dani Deamo — qui possède un évident sens du mouvement, sachant capter des instantanés qu’il met parfaitement en couleurs lui-même : ces couvertures, par exemple, sont en cela assez remarquables.

Né en 1981 à Barcelone, cet artiste a suivi les cours en bande dessinée de l’Escola Joso de sa ville natale. Si, à partir de 2001 (année où il autopublie « Telekillers, asesinos a domicilio » avec son frère Raoul Deamo au scénario, sous le label Deamo Bros), il réalise plusieurs albums en Espagne pour les éditions Doble Dosis, Discmedi, Glénat Espagne, Norma Editorial ou La Cupula, seuls « Potlatch » et « Fagocitosis » (scénarios de Jordi Pastor) chez çà et là, puis « Maculas » (scénario de Jordi Pastor) chez Saceman Project, dessinés dans des styles bien différents, ont été traduits en français, en 2017, 2018 et 2020.

À noter qu’à la fin des deux premiers tomes des « Zazous », un excellent cahier historique — écrit par Salva Rubio et illustré par Danide — replace intelligemment le récit dans son contexte, proposant même une playlist pour accompagner musicalement la lecture de l’ouvrage !

Bref, on attend avec impatience la suite et conclusion, dans le troisième volume, de cette passionnante épopée, laquelle a pour héros de fascinants personnages qui, pour lutter contre la barbarie, ont choisi la légèreté et le divertissement…

Gilles RATIER