Django, ce guitare héros !

« Comme un manouche sans guitare… » chantait Thomas Dutronc en 2007, faisant alors un clin d’œil au mythique Django Reinhardt : le seul a avoir su fusionner dès les années 1930 les traditions de la musique tsigane avec les influences afro-américaines du jazz. La passion chevillée au corps, l’inventeur du jazz manouche méritait bien que l’on narre sa vie en images et en chaleurs musicales. Salva Rubio et Efa rajoutent eux aussi une corde à leur œuvre avec un bel album, émouvant one-shot oscillant entre drames et espoirs : car, telle une note de musique parfaite, le destin de Django a su s’accorder avec la vie de ses contemporains…

La première naissance de Django (planche 1 et 2 - Dupuis 2020)

Observons la couverture de l’édition classique… La nuit enveloppe déjà le campement nomade, tandis qu’une douce brise sèche les draps, suspendus sur un fil à l’arrière-plan. C’est dans ce cadre début de siècle, non loin d’un probable feu de camp installé hors-champ (lequel irradie tout le côté gauche du visuel), que s’élèvent les premières notes d’une mélopée aux tonalités jazzy. Le guitariste, qui s’est lui-même assis sur les marches en bois d’une roulotte manouche, semble être concentré sur son art et son doigté. Ses habits, ses espadrilles et – plus largement – le cadre partiellement décrépi de son habitation roulante traduisent une certaine incertitude liée à cette vie d’artiste itinérant. Si l’on associe le titre de l’album à cette illustration, notre lecture peut intuitivement se compléter : Django, habité par son art, fait glisser ses doigts d’or sur son instrument de prédilection. N’oublions pas que, de la musette au jazz, du violon au banjo puis à la guitare, Django Reinhardt (1910 – 1953) sera littéralement habité par le duende, ce moment de grâce qui permet (dans l’esprit de la culture populaire hispanique) à l’artiste de se transcender, d’atteindre un niveau de création supérieur et d’envoûter tout son public. Tel un phénix qui renaît de ses cendres, Django aura brillé de mille feux… après avoir survécu à un incendie ; en octobre 1928, à Saint-Ouen, il est ainsi gravement atteint à la jambe droite et à la main gauche, perdant même l’usage de deux doigts. Efforts et rééducation lui permettront fort heureusement de retrouver en 1930 une bonne part de sa désormais légendaire dextérité. Et mieux encore : il en profite pour développer une nouvelle technique guitaristique, d’autant plus exceptionnelle qu’elle n’utilise que deux doigts (index et majeur) de la main gauche pour les solos.

La promesse d'une vie nomade (planche 3 - Dupuis 2020)

Pochette du "Disque d'or de Django Reinhardt" dans les années 1960.

Après avoir signé ensemble un magnifique portrait de « Monet, nomade de la lumière » en 2017 (voir notre article), le scénariste Salva Rubio (auteur avec Pedro Columbo du « Photographe de Mauthausen » en 2017) et le dessinateur Efa (« Seule » avec Denis Lapière en 2018) n’ont de cesse de traduire la passion – absolue et obstinée – des grands artistes pour leurs arts respectifs. Retournant ici à l’enfance de Django, ils racontent la romance d’une vie par des touches, des accords et des notes d’aquarelles qui accompagnent le cheminement musical et technique de l’inventeur du jazz manouche. Né dans une roulotte en Belgique, Django passe son enfance itinérante entre France, Italie et Algérie, pour fuir les désastres de la Première Guerre mondiale. Installé à Paris, Jean Reinhardt adoptera le surnom de « Django », signifiant « Je réveille ». Fasciné par la musique et le banjo-guitare, il acquiert une incroyable dextérité en observant les musiciens de passage. Rappelons qu’il ne sait alors ni lire ni écrire, pas même son propre nom !

The Quintet of The Hot Club of France (1964)

Couverture pour l'édition spéciale (Dupuis 2020)

Affiche du film "Django" (2016)

C’est dans les années 1930 que Django découvre le jazz et les influences américaines, portées par les tubes signés Duke Ellington, Eddie Lang ou Louis Armstrong. Il jouera également de l’exotisme avec le jeune Henri Salvador (qui a vingt ans) de 1935 à 1937, fondant dès 1934 un groupe de jazz avec un autre virtuose, Stéphane Grapelli. C’est avec ce dernier et la Quintette du Hot Club de France qu’il écrira des compositions devenues des standards du jazz, tels « Minor Swing » (1937) et « Nuages » (1940). Obtenant au fil des décennies le statut de légende de la musique et salué comme un ambassadeur du peuple tsigane, Django sera considéré comme l’un des plus grands guitaristes au monde et une référence majeure, tant par l’Espagnol Andrès Segovia que par l’Américain Jimi Hendrix ou l’Écossais Mark Knopfler. La vie du musicien aux 100 compositions sera partiellement illustrée à l’écran en 2016 dans « Django », où le guitariste est interprété par Reda Kateb. Avec ce one-shot de 88 pages inscrit chez Dupuis dans la collection Aire libre, les auteurs livrent un nouvel ouvrage précieux, permettant notamment aux jeunes générations de redécouvrir un musicien d’exception. Les collectionneurs pourront pour leur part se procurer la version luxe : un tirage de tête sous jaquette (visuel de couverture alternatif), préfacé par Thomas Dutronc, numéroté de 1 à 799, enrichi d’un dessin signé par les auteurs et agrémenté d’un dossier documentaire de seize pages. Musique maestro !

Philippe TOMBLAINE

« Django Main de feu » par Efa et Salva Rubio
Éditions Dupuis (17,50 €) – ISBN : 979-1034731244

« Django Main de feu » – Édition spéciale
Éditions Dupuis (32,00 €) – ISBN : 979-1034736324

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