« La Gloire d’Héra » et « Tirésias » : entretien avec Christian Rossi

Ces deux histoires de mythologie grecque sont actuellement rééditées, avec un contenu enrichi (23 pages d’études pour chacune) identique à ceux des précédentes éditions intégrales Dargaud de 2011 (2 albums) et de 2017 (1 album). Pour une vue plus précise du contenu de ces albums, voir l’article déjà paru sur BDzoom.com (1). Initialement, « La Gloire d’Héra » paraît en 1996, en un seul album de 77 planches chez Casterman. En 2001, cet éditeur, à l’occasion de la publication augmentée à 92 planches de « La Gloire d’Héra », titre désormais présenté en deux albums, ajoute « Tirésias » du même duo dessinateur-scénariste et sous la même présentation. Le premier album décrit les tribulations d’Héraklès, « l’homme le plus fort du monde », dans un style à la fois réaliste et humoristique, déjà magnifié par les splendides couleurs de Rossi. Le second, « Tirésias », qui raconte ce fier guerrier très libre, aux prises avec les dieux et surtout les hommes et les femmes, possède un style beaucoup plus réaliste, plus fouillé, toujours baigné d’incroyables couleurs. Deux grandes réussites du duo très complice. Rossi, le dessinateur, a accepté de répondre à quelques questions, merci à lui.

BDzoom.com : On connaît assez peu cette mythologie grecque, et bien avant la série récente d’albums sous la direction de Luc Ferry, ces deux cycles que tu as réalisés avec Serge Le Tendre (« La Gloire d’Héra » et « Tirésias ») ouvraient sur cet aspect inconnu. C’est d’abord une idée du scénariste Le Tendre, et est-ce totalement imaginaire, au-delà des noms mythologiques connus ? 

Christian Rossi : « Serge Le Tendre était fasciné par cette mythologie et Héraklès en particulier, ainsi que par les péplums. Il existe plusieurs versions de ces légendes, mais tout n’était pas décrit. Il s’est servi de ces bases et a comblé certains manques. Dans l’histoire mythologique, Zeus connaît une femme mortelle et lui fait deux enfants jumeaux : Alcée et Iphiklès. Sa femme la déesse Héra, très jalouse, privera le premier de son trône par sa magie. Seul Alcée est un demi-dieu, qui deviendra Héraklès, ce qui veut dire “La Gloire d’Héra”, et qui va vouloir chercher la place qui lui revient… jusqu’au trône de Mycènes. Mais il échoue et se retrouve au service du roi de Mycènes, ce qui le mène aux 12 travaux… d’Hercule (Héraklès), que l’on connaît mieux. Graphiquement, j’ai été très intéressé par la statuaire, les vases, tout ce style particulier, si riche. J’étais très enthousiasmé par ce thème, et en même temps gêné par un aspect choquant, jamais abordé en BD jusqu’alors : l’infanticide. J’ai dû développer un style entre réalisme et comique qui permettait cela, qui adoucissait un peu… »  

BDzoom.com : « Tirésias » semble avoir été conçu seulement après « La Gloire d’Héra », à l’occasion de sa réédition en 2001. Ce n’était pas prévu au départ ? 

Christian Rossi : « Serge avait plusieurs thèmes dans ses tiroirs. À la sortie de “La Gloire d’Héra”, nous étions contents et fiers, avec le succès d’estime du public et les regards très positifs de nos collègues comme de la profession. “Tirésias” a donc été conçu dans la foulée et a bénéficié de la réédition du précédent, avec 15 planches environ, ajoutées tout au long de l’histoire. Tirésias est un vieux devin aveugle, mais il ne l’a pas toujours été. C’est ce que Serge raconte : sa jeunesse, et son passage d’homme à femme par une certaine magie… Lors de sa sortie en 2001, l’idée éditoriale était de faire une sorte de collection Mythologie, avec des doubles albums. Ensuite, Serge Le Tendre souhaitait développer Pygmalion et m’en a naturellement parlé. Je n’ai pas été aussi enthousiaste et surtout j’étais pris par “W.E.S.T.”, une belle série qui me donnait une ouverture beaucoup plus large. Il l’a finalement fait avec Frédéric Peynet, puis il a continué avec “Astérios”, qui sort en même temps que cette double réédition (2). » 

BDzoom.com : Tes recherches ont dû être nettement plus profondes que pour la série précédente (« Les Errances de Julius Antoine ») ! Bâtiments, costumes, et mêmes paysages sont si différents des nôtres, lointains… Un plaisir exigeant de dessinateur ? Christian Rossi : « Évidemment, je n’avais pas de documentation, à part les photos de statues et d’objets. Il paraît que dans l’Antiquité, il y avait plus de forêts en Grèce, et plus de blonds et même de roux, et d’yeux bleus : j’en ai donc mis. »

BDzoom.com : Dans les deux cycles, il y a des représentations un peu forcées, exprès évidemment, et des caricatures de têtes connues du monde de la BD (Loisel, Le Tendre…), un clin d’œil de ta part ?

Christian Rossi : « Avec Serge, on s’est amusés à croquer quelques copains, effectivement. En dehors de Le Tendre, et de Loisel qui était une tête idéale à caricaturer, on a mis le scénariste Cothias. À l’époque, on était taquin avec lui : un collègue qu’on aimait beaucoup, mais hâbleur, parfois irritant, un vrai personnage… Il y a aussi Dieter et PhilippeBonifay : le scénariste avec qui j’ai fait “Le Chariot de Thespis” ! »

BDzoom.com : Les couleurs sont magnifiques, hardies et très changeantes selon les scènes. Tout juste avant « W.E.S.T. », on découvre (en 1996) des parties de couleurs directes, ce qui est confirmé et augmenté en 2001 avec le second cycle. C’est donc vers 1995-1996 que se situe ton basculement vers la couleur directe dominante et son rôle essentiel ?

Christian Rossi  : « Sans doute… même si c’est poussé plus loin et plus radicalement dans “W.E.S.T.”… Pour “La Gloire d’Héra”, c’est en grattant le “bleu” (3) que j’obtenais ensuite la couleur seule. Quel plaisir d’effacer mon trait à l’encre ! À cette époque, je cherchais à échapper à mon encrage, qui me paraissait insuffisant (4). Pour “Tirésias”, je faisais des photocopies noir et blanc au format de la planche encrée, et je passais la couleur jusqu’à masquer l’encrage noir sur certaines parties. Un mot final : toutes ces rééditions, cinq au total, ça fait chaud au cœur ! Pas mal pour unepetite série. C’est une bonne idée de l’éditeur, qui permet de la faire découvrir à ceux qui ne la connaissent pas encore, particulièrement les jeunes générations. Et puis, cela rend hommage au travail de Serge Le Tendre, avec des albums d’un même univers, pleins d’humanité et d’humanisme, et aussi une ode à la femme. »

Patrick BOUSTER

(1) : Par Philippe Tomblaine : « La Gloire d’Héra — Tirésias : édition complète » par Christian Rossi et Serge Le Tendre. Sur Christian Rossi, voir aussi : Christian Rossi : tout pour le dessin, en cavalcade !« Tirésias » et « La Gloire d’Héra »Les westerns de Christian Rossi (première partie) et Les Westerns de Christian Rossi (deuxième partie).

(2) : « Pygmalion et la vierge d’ivoire » aux éditions Dargaud (parution le 11 mars 2022), « Astérios le Minotaure »dessiné aussi par Peynet aux éditions Dargaud (parution le 26 août 2022).

(3) : Film plastique où le trait encré au noir apparaît en bleu, pour recevoir la mise en couleurs.

(4) : Protestations immédiates et véhémentes du questionneur, certainement suivies par celles de lecteurs…

« La Gloire d’Héra » par Christian Rossi et Serge Le Tendre

Éditions Dargaud (17,50 €) — EAN : 978-2-205204476

« Tirésias » par Christian Rossi et Serge Le Tendre

Éditions Dargaud (17,50 €) — EAN : 978-2-205204469

Parution 26 août 2022

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