Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
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« Elma une vie d’ours T1 : Le Grand voyage » par Léa Mazé et Ingrid Chabbert
Elevée depuis sa tendre enfance par un ours débonnaire, Elma mène une vie de petite plantigrade heureuse et casse-cou près de leur tanière protectrice. Mais un beau matin, Papa Ours lui annonce qu’il faut entamer un long périple vers un lieu secret pour une grande surprise. C’est le début d’un voyage initiatique bien mystérieux pour la fillette et très mélancolique pour son père de substitution. Une belle BD jeunesse menée de mains de maitres par Ingrid Chabbert au scénario et Léa Mazé au dessin.
Elma aime grimper aux arbres, sauter de branche en branche, faire des galipettes dangereuses dans la nature car elle sait pouvoir compter sur un père adoptif costaud et protecteur : son Papa Ours si doux.
Elle veut l’imiter en tout ; elle adapte ainsi son lourd grognement à sa frêle voix. Tout se passe pour le mieux pendant 7 ans jusqu’à la visite nocturne d’un vieil ami : un loup solitaire. Celui-ci annonce, solennel : « Il est temps d’y aller, les sept années se sont écoulées ».
L’ours lui répond d’un laconique « Je sais ».
Elma une vie d'ours T1 page 3
Au petit matin le plantigrade offre un copieux petit déjeuner de baies à la fillette avant de lui annoncer qu’il leur faut quitter leur tanière pour un long voyage au bout duquel une belle surprise les attend.
Il refuse de donner le moindre indice à la pauvre Elma qui l’accompagne pourtant dans son périple, toujours de bonne humeur.
Les soirées sont l’occasion pour ce duo si disparate mais si proche de se rappeler leur rencontre, quand le grand ours a trouvé un minuscule bébé qui pleurait si fort que les racines des arbres en tremblaient, puis, quand leurs regards se sont croisés, la petite Elma n’a plus jamais pleuré.
Ce que le plantigrade ne dit pas, c’est qu’en levant les yeux, le bébé dans les pattes, il a vu s’éloigner Frigga, la mage du royaume.
Le périple initiatique se poursuit vers une montagne lointaine. Les eaux sous différentes formes ; ruisseau en crue, pluies diluviennes, orage provoquant un glissement de boue, semblent vouloir empêcher l’ours brun et sa protégée de rejoindre leur toujours mystérieux lieu de rendez-vous. Le premier volume de ce diptyque se clôt sur un dialogue sibyllin : « - Je n’aime pas ce voyage, Papa Ours. Je veux rentrer chez nous. – Ne t’inquiète pas mon petit singe, ça va aller. Je te le promets, ça va aller… »
Elma une vie d'ours T1 page 4
Cette courte bande dessinée qui s’adresse clairement aux moins de 10 ans est l’œuvre de deux autrices confirmées ;
- la scénariste Ingrid Chabbert dont nous vous avons déjà vanté le travail pour « Miss Potimary » et « En Attendant Bojangles »
- et la dernière lauréate en date du Prix BD jeunesse de l’ACBD, Léa Mazé dont nous suivons la carrière depuis ses débuts avec « Nora » puis avec « Les Croques », justement primé par l’association de critiques BD.
Ce beau périple initiatique est porté par la grande tendresse que se portent Elma et son Papa Ours sympathique et si protecteur. Ingrid Chabbert a réussi à donner un caractère fort à une fillette à la fois rebelle et respectueuse, bougonne et affectueuse, ainsi qu’à faire évoluer les liens qui l’unissent à son drôle de père adoptif.
Ils sont de plus en plus forts alors que l’on pressent leur proche séparation, inévitable mais dont seul le plantigrade a pleinement conscience.
Le petit côté fantastique – la mage qui abandonne son enfant pour sept ans et la prophétie sur un déluge que seule Elma pourra empêcher –  passe au second plan dans ce premier volume d’un diptyque annoncé.
Elma une vie d'ours T1 page 13
Léa Mazé apporte son trait, à la fois précis et poétique, à ce joli conte atemporel sur la fin de l’innocence de l’enfance.
Avec son trait très personnel et son inventivité pour composer des planches dynamiques, elle adapte le récit de sa scénariste dans des cases colorées à l’ancienne à partir de crayons de couleurs, de pastels, de gouaches, parfois sur du papier coloré.
On reconnait ainsi au premier coup d’œil son univers graphique ; derrière les dégradés de bleus et d’ocres on retrouve son goût pour les joies et les peurs de l’enfance, la forêt et la nature comme refuge et pour les mystères inaccessibles au monde des adultes que l’on se forge dans sa prime jeunesse.
Laurent LESSOUS (l@bd)
« Elma une vie d’ours T1 : Le Grand voyage » par Léa Mazé et Ingrid Chabbert
Éditions Dargaud (10,95 €) – ISBN : 978-2205-077933
