Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
Lire la suite...« Ramsès II » : une histoire plus que pharaonique…
Peut-on évoquer l’Égypte antique sans songer à Ramsès II ? Bâtisseur infatigable, chef de guerre intrépide, fin diplomate, maître d’une puissance économique et politique incontestable, ce pharaon aura dépassé le cap de son règne pour toucher au mythe. Pour le 40e titre de la collection Ils ont fait l’Histoire, Wyctor et Michael Malatini racontent l’homme, le personnage et le roi, entre doutes et désirs d’affirmation immortelle…
Initiée par Glénat et Fayard en mars 2014 (avec « Philippe le Bel » et « Vercingétorix »), la collection Ils font l’Histoire poursuit ainsi son extension, doublée en kiosque par « Les Grands Personnages de l’Histoire en bande dessinée » : déclinaison réalisée avec le journal Le Monde (près de 110 numéros et hors-séries à ce jour). Auteurs et historiens universitaires n’ont de cesse de dresser de passionnants portraits biographiques, appuyés sur les recherches et connaissances les plus récentes. En complément des divers titres déjà évoqués au sein de cette rubrique (« Jaurès » en 2014 ; « Lénine » et « Robespierre » en 2017 ; « Churchill » en 2018 ; « De Gaulle » en 2020), abordons par conséquent le troisième pharaon de la XIXe dynastie.
Tel ces exemples nommés Napoléon, Lincoln ou Catherine de Médicis, la vie des grands personnages nous fascine doublement : autant pour l’évocation d’un destin (parfois tragique) que parce qu’elle permet de saisir une époque. Au travers de Ramsès (- 1304 à – 1213 av. J-C.), c’est donc bien la longueur exceptionnelle de son règne (entre – 1279 et – 1213) et de son Å“uvre qui éclairent notablement l’Antiquité égyptienne. Citons rapidement les éléments les plus connus : la victoire de Qadesh (- 1274) contre le puissant empire Hittite, la mise en chantier d’Abou Simbel (- 1260, afin de célébrer la bataille de Qadesh), la mort de la reine Néfertari (vers – 1249) ou la construction à Thèbes du Ramesséum, le temple des millions d’années. N’oubliant jamais d’imposer son autorité, Ramsès fait graver d’innombrables statues, marquant de son nom tous les temples, y compris ceux érigés par ses prédécesseurs ! Originaire d’une famille du delta du Nil, il installe son palais et centre administratif à Pi-Ramsès (littéralement la maison de Ramsès), au nord de l’Égypte. Au sud, il se tourne vers la Nubie afin d’en exploiter toutes les richesses. L’or, pour construire et décorer les temples, mais aussi acheter des alliances en Asie (l’empire Hittite lui-même étant ébranlé par la montée en puissance de l’Assyrie) ; le bois (dont le cèdre du Liban), le cuir, le bétail et surtout les hommes pour l’armée.
En couverture de l’album, sous un bandeau illustrant sa décisive victoire syrienne à Qadesh, Ramsès II est représenté en majesté, installé en contreplongée sur un trône sculpté, mais somme toute relativement modeste. De par ses attributs, à savoir la coiffe khépresh (couronne d’apparat symbolisant le triomphe), l’uraeus (le cobra femelle protecteur, apparenté à l’œil du dieu solaire Rê), le sceptre héqa (recourbé à la manière d’une crosse de berger) et les sandales (point de contact entre le pharaon et le territoire sur lequel il exerce son pouvoir), Ramsès II joue son double rôle de protection et de puissance. Ainsi, d’un règne au suivant (l’album débute lors de l’intronisation du jeune monarque, après la mort de son père), par les objets (couronnes enchâssées, coiffes, cannes…, mais aussi écharpes, pagnes, amulettes, barbes cérémonielles et étuis-bâtons), les pharaons se distingueront sensiblement du commun des mortels, dans une incarnation immortalisée par la statuaire et les fresques.
Rédacteur en chef adjoint d’Historia, devenu scénariste, Victor Battaggion (dit Wyctor) a précédemment raconté dans la même collection les règnes de Cléopâtre (2019 ; voir aussi le traitement effectué dans la collection Les Reines de sang) et de Clovis (2021). Associé au dessinateur Michael Malatini (« Philippe Auguste » en 2018 et « De Gaulle » en 2020), il retrace un Ramsès tour à tour sensuel, impétueux, avide de connaissances et empressé de s’affirmer, à l’ombre de la réputation de ses ancêtres. Sous la supervision de l’égyptologue et directeur de recherche au CNRS Juan Carlos Moreno Garcia, également auteur du dossier documentaire lié à ce volume de 56 pages, le personnage n’échappe pas à son statut héroïque : époux aux multiples concubines, roi en quête de gloire, père aimant, autant de facettes traduites dans des pages dynamiques et riches en détails. Au détour des cases, l’on ne pourra du reste s’empêcher de repenser aux représentations déjà livrées de Ramsès II, plus ou moins justes sur un plan historique : de la Bible et des « Dix Commandements » (Cecil B. DeMille, 1956) à Christian Jacq (cinq tomes parus chez Robert Laffont entre 1993 et 1994), du « Prince d’Égypte » (Brenda Chapman, 1998) aux… « Cigares du pharaon » (Hergé, 1934), ce dans la mesure où l’égyptologue Philémon Siclone – empoisonné et rendu fou – se prend pour le fils de Séthi 1er ! Mort à plus de 92 ans après un règne fleuve de 66 ans, Ramsès II cède son trône et son empire à son treizième fils, le pharaon Mérenptah (- 1269 à – 1203), lequel croisera un certain « Papyrus »… mais il s’agit d’une autre histoire, franco-égypto-belge cette fois-ci.
Philippe TOMBLAINE
« Ils ont fait l’Histoire T40 : Ramsès II » par Michael Malatini, Wyctor et Juan Carlos Moreno Garcia
Éditions Glénat (14,95 €) – EAN : 978-2344054598
Parution 22 mars 2023