Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
Lire la suite...Le temps retrouvé de l’enfance, le temps des amis et de l’insouciance…
Épiphanie Frayeur a vaincu ses peurs enfantines, elle doit maintenant remonter le temps, un temps dilapidé à être trop sage. Et s’il faut donner du temps au temps, pour la jeune fille il n’est que temps de sauter dans l’inconnu pour vite rattraper le temps perdu de son enfance. À 9 ans, c’est le début d’un nouveau voyage initiatique pour la tendre mais courageuse Épiphanie dans un monde fantastique, poétique et nonsensique. Un superbe album jeunesse qui se joue des mots par de belles métaphores visuelles.
Nous avons fait la connaissance d’Épiphanie Frayeur dans un album précédent, paru il y a quatre ans déjà . Dans « L’Épouvantable peur d’Épiphanie Frayeur » la jeune héroïne de huit ans et demi réussit à vaincre une peur qui lui gâchait la vie. C’est le récit du parcours surprenant pour une petite fille qui traîne toujours, comme son ombre une peur qui ressemble à une énorme masse noire qui peut prendre différentes formes. Ce n’est qu’à l’issue de ce voyage initiatique que, par elle-même, la petite fille apprend à apprivoiser une peur, finalement pas si redoutable.
Nous la retrouvons, au début de cet album, quelques mois plus tard. Elle fête avec sa famille son neuvième anniversaire dans une pizzeria : Chez Pepe Roni. Tout se passe bien, elle est détendue jusqu’au moment où on lui pose une question embarrassante sur des amis à inviter à sa fête.
Cela lui coupe l’appétit et pour s’échapper à ce moment gênant, elle se liquéfie littéralement pour se reconstituer dans l’univers où elle avait vaincue sa peur. Elle retrouve alors ses vieux amis qui lui ont organisé un joyeux repas d’anniversaire. En confiance, elle leur confie son souci : elle n’a pas d’amis et ne sait pas comment s’en faire !
Le diagnostic tombe bientôt : « Vous ne vous faites pas d’amis parce que vous ne savez pas être une enfant. Votre peur vous a rendu trop grave, trop sérieuse pour votre âge. Elle vous a empêchée d’être une enfant. Vous êtes incapable de faire ce que tous les enfants font naturellement, vous faire des amis par exemple. Il n’y a pas 36 solutions. Il faut que vous retombiez en enfance. Il faut rattraper le temps perdu ! » Commence alors pour Épiphanie et son proche ami un périple étonnant d’une maison-horloge à toboggan au parc d’attraction Épiphanie Land, vide depuis neuf ans, puis de la lune - « Les enfants passent énormément de temps dans la lune » - à sa chambre de petite fille, en passant par le cinéma Le Méliès.  À l’issue de ce voyage en elle-même, l’introvertie Épiphanie découvre qu’il est facile de se faire un ami.
Nous vous faisons régulièrement part dans la rubrique jeunesse de notre site du remarquable talent de conteuse de Séverine Gauthier, scénariste notamment d’« Aliénor Mandragore », « Haïda, l’immortelle baleine » ou « Cœur de pierre ». En explorant la psyché enfantine, elle construit ici un conte initiatique inventif et surprenant dans un décor toujours délicatement poétique.
Elle joue élégamment avec les mots, de mot-valise en dialogues à tiroirs, comme celui-ci :
 « - En courant toute la nuit, vous avez dû rattraper beaucoup de temps ?
- Je ne courais pas après le temps
- Oui, mais même
- Je ne pense pas qu’on puisse rattraper le temps perdu
-         Et moi, je crois que tout ce qui a été perdu peut être retrouvé, pourquoi ne voudrait-on pas retrouver quelque chose qu’on a perdu ?
-         Si on l’a perdu pour une bonne raison »
Séverine Gauthier s’inspire de classiques indémodables comme « Alice au pays des merveilles » ou « Le Magicien d’Oz » mais aussi des films de Méliès, de Tim Burton ou d’Hayao Miyazaki, et de personnages de la culture populaire comme les gremlins et Goldorak pour référencer son récit fantaisiste iconoclaste, l’enrichir de citations ludiques, amusées et toujours tendres.
Le trait rond, coloré et foisonnant de Clément Lefèvre apporte des notes d’étrangeté et de merveilleux supplémentaires à cet univers loufoque dans lequel non-sens et absurde règnent en maître jusqu’à une fin didactique qui rappelle que grandir ce n’est pas facile et cela passe par des étapes successives parfois difficiles.
Nous vous conseillons la lecture de ce deuxième volume des aventures fantasques d’Épiphanie Frayeur :  une BD jeunesse vraiment originale aux malicieuses métaphores littéraires et visuelles.
Laurent LESSOUS (l@bd)
« L’Épouvantable peur d’Épiphanie Frayeur T2 : Le Temps perdu » par Clément Lefèvre et Séverine Gauthier
Éditions Soleil, collection Métamorphose (18,95 €) – ISBN : 978-2-3020-8973-0