Dix ans après la parution de « Résurrection », la première partie d’un diptyque accouché dans la douleur, voici enfin « Révélations » : conclusion du dernier récit du regretté Philippe Tome, décédé alors qu’il travaillait sur les dernières pages de son scénario. Les éditions Dupuis proposent, enfin, l’intégralité de cette aventure magistralement dessinée par Dan Verlinden, digne successeur de ses deux prédécesseurs : Luc Warnant et Bruno Gazzotti.
Lire la suite...Lucky Luke : des couvertures qui font la légende de l’Ouest
Les plus beaux hommages tiennent parfois en peu de mots : comme l’avouait Tibet, l’art de la couverture est difficile, mêlant selon lui un élément essentiel du récit à un suspense efficace. Et le père de Ric hochet de rajouter : « Pour moi, le champion du monde, c’est Morris. Il a le génie de choisir la bonne synthèse de son histoire. C’est à la fois simple, limpide et efficace ». Tout était ainsi dit de celui qui consacra une vie entière à une seule série phare, « Lucky Luke », entre 1946 et sa disparition en 2001. D’« Arizona 1880 » (Dupuis, 1946) à « La Légende de l’Ouest » (109e et ultime histoire du cow-boy solitaire terminée par Morris ; Dargaud, 2002), 70 albums auront décliné la mythologie du Far West sous tous les angles, repoussant les frontières de la parodie et de la légende sous l’imprimé des couvertures. En voici une petite anthologie commentée…
Maurice de Bevere (né le 1er décembre 1923), nommé Grand Prix spécial à Angoulême en 2000 lors du 20e anniversaire du Festival, sera à nouveau mis à l’honneur en janvier 2016 dans une très grande expo consacrée. « L’Art de Morris » (retracé en 150 planches et dessins originaux) est aussi le titre d’un très bel ouvrage réalisé par les deux commissaires de l’exposition angoumoisine, Stéphane Beaujean et Jean-Pierre Mercier (voir la chronique déjà réalisée à propos de cet ouvrage par Henri Filippini : http://bdzoom.com/94826/patrimoine/morris-enfin/).
Si l’on ne devait en citer qu’une en tant que véritable reflet du cinéma westernien, LA couverture la plus célèbre de la série « Lucky Luke » demeure sans doute celle de « Phil Defer », visuel fameux auquel j’avais consacré un long dossier en 2008 (cf. http://couverturedebd.over-blog.com/article-25246676.html) et dont l’album a fait l’objet d’une récente réédition luxe grand format (noir et blanc) chez Lucky Comics.
Ce huitième titre (publié par Dupuis en 1956), qui fut donc le dernier réalisé par Morris seul avant la reprise scénaristique de Goscinny sur le titre suivant, « Des Rails sur la prairie » (récit prépublié en 1955 dans Spirou n° 906 et publié en janvier 1957), achève un premier cycle marqué par les influences du dessin d’animation et du style Mad. Rappelons ici brièvement que Morris, ayant dessiné les premières planches d’ « Arizona 1880 » dans l’Almanach 1947 du journal Spirou (le 7 décembre 1946), travaillait depuis ses 20 ans comme encreur dans les studios d’animation belges CBA. En 1948, il accompagne Franquin et Jijé aux USA et au Mexique : il y restera pendant 6 ans, rencontrant Harvey Kurtzmann (rédacteur en chef de Mad) puis Goscinny, et donnant aussi naissance aux cousins Dalton. Inspirés des véritables hors-la-loi (dont 3 sur 4 furent tués lors du braquage raté des banques de Coffeyville au Kansas, en 1892), ces bandits stupides complètent donc en 1958 (« Lucky Luke T12 : Les Cousins Dalton ») un précédent titre voyant la fin de leurs illustres prédécesseurs (« T6 : Hors-la-loi » Dupuis, janvier 1954). L’écho entre les deux visuels est savoureux dans la mesure où le héros, surpris dans le dos par les uns, terrorise à son tour les seconds en jouant visuellement sur la notion d’échelle…de tailles ! On notera que le décor urbain est focalisé autour de l’immanquable saloon : lieu à l’origine des tirs et donc lieu de propagation d’une violence digne des clichés associés (ivrognerie, bagarre et luxure).
Si les premières couvertures de « Lucky Luke » consacrent comme il se doit les exploits du héros et de sa digne monture (dans la veine des couvertures pulps et des affiches hollywoodiennes des années 1930 à 1950 ; on retrouvera cette idée sur les ouvertures de « Western Circus » en 1970 et « Le Bandit manchot » en 1983), la série entame – avec Goscinny – un processus bien plus riche en mettant Luke face à des épreuves emblématiques : antagonistes notoires (fictifs comme Pat Poker, Doxey ou Phil Defer ; réels comme les Dalton, le juge Roy Bean, Billy the Kid, Calamity Jane, etc.), quêtes et enjeux de territoires (« T14 : Ruée sur l’Oklahoma » ; janvier 1960 ; « T18 : A l’ombre des derricks », janvier 1962 ; « T29 : Des barbelés sur la prairie » ; « T63 : Le Pont sur le Mississippi », scénario de Fauche et Léturgie, Lucky Productions, septembre 1994) ou émancipation féminine dans ce monde d’hommes… et dans une bd franco-belge longtemps frileuse sur le sujet (« T38 : Ma Dalton » en 1971, « T50 : Sarah Bernhardt » en 1982, « T54 : La Fiancée de Lucky Luke en 1985 »). Dans les années 1970, imaginer enfin voir représenter – dès la couverture – une entraîneuse de saloon pour « Le Grand Duc » (T40, avril 1973) était déjà une belle révolution chez un éditeur tel Dargaud (chez Dupuis « Natacha » apparaît en 1971).
Autre évolution perceptible avec la thématique du fantastique, genre perçu ici en confrontation d’un univers plutôt réaliste (bien que parodié) mais surtout hanté par les croyances religieuses : alors que les albums de Lucky Luke (qui ne vieillit jamais) englobent une partie de la conquête de l’Ouest (de 1861 à 1900), et que certains titres – marqués par le progrès et le recul de la Frontière vers l’Ouest – peuvent être très précisément datés (voir ainsi la construction de la ligne de chemin de fer transcontinentale, achevée en 1869, qui inspire « Des Rails sur la prairie »), rien n’empêche l’irruption des fantômes du passé. Cet esprit de l’ouest d’antan, semblant donc imprégner les aventures plus contemporaines de Lucky Luke, se manifeste via une ville abandonnée (« T25 : La Ville fantôme » en 1965), une malédiction digne des aventures de Scoubidou (« T56 : Le Ranch maudit » en 1986 et « T61 : Chasse aux fantômes » en 1992) et parachève en quelque sorte la vision du merveilleux cinématographique (« T70 : La Légende de l’Ouest », 2002).
Si l’on observe dans le détail les visuels de la série, on constatera tout d’abord un jeu sur le bandeau-titre : arborant un titre rougeâtre sur un fond rectangulaire devenu jaune à partir du tome 9 (« Des rails sur la prairie », 1957), on verra au moins à quatre occasions (« T15 : L’Évasion des Dalton » en 1960 ; « T17 : Sur la piste des Dalton » en janvier 1962 ; « T19 : Les Rivaux de Painful Gulch » en janvier 1962 et « T21 : Les Collines noires » en janvier 1963) Lucky Luke et Jolly Jumper se pencher sur le propre théâtre de leurs aventures. Cette figuration ironique cédera la place en 1968 (pour le « T32 : La Diligence ») au seul profil plus conventionnel du héros, un détail permettant aussi de le mettre en scène indirectement… même lorsqu’il n’est pas représenté sur le dessin principal de couverture (voir par exemple les albums 37 à 41, entre 1971 et 1974).
Alors que la série elle-même multiplie les effets de plongées et contre-plongées (lors de grandes cases permettant de visualiser un vaste décor bourré de détails), de cerclages rayonnants, de plans symétriques et de couleurs monochromes, les couvertures selon Morris demeurent sobres et savent aller à l’essentiel : quelques personnages iconiques et identifiables (parfois un seul comme « Calamity Jane » en 1967, « Chasseur de primes » en 1972 ou « Belle Starr » en 1995 ; un impressionnant héros pour le tome 51, « Daisy Town » en 1983), un décor schématique (le simple rondin de « Billy the Kid » en 1962), ou absent (dès le tome 15, « L’Évasion des dalton » en 1960). Et surtout une iconographie du cow-boy relativement à l’encontre des attentes habituelles : Luke est surpris par un tir (« Hors-la-loi » ou « La Ville fantôme »), se questionne (« T10 : Alerte aux Pieds-Bleus », 1958), est interloqué (« T45 : L’Empereur Smith » en 1976 ; « T52 : Fingers » en 1983), joue (« Western Circus », « T43 : Le Cavalier blanc » en 1975) et rit (« T68 : Le Prophète » et T69 : L’artiste-peintre » en 2001). Une vision riche et symbolique bien éloignée d’une monstration simpliste du tireur le plus rapide de l’Ouest. Gageons cependant que sa mythologie sera perpétuée longtemps : ce non seulement grâce à la belle reprise graphique actuelle d’Achdé (6 albums depuis 2004), mais aussi par le lancement en 2016 de « Lucky Luke vu par… », nouvelle série composée de one-shots et débutant en avril prochain par « L’Homme qui tua Lucky Luke » (par Matthieu Bonhomme).
Wyatt Earp et Doc Holliday, John Ford et un certain Liberty Valance n’étant plus très loin, laissons là notre héros solitaire, lorsque légendes et réalités règlent leurs comptes à l’aune des textes et dessins de Morris…
Sur ce : Bonne Année 2016 !
Philippe TOMBLAINE
Notes : En complément de cet article, lire aussi l’article Le Journal de Lucky Luke par Gilles Ratier : http://bdzoom.com/76970/patrimoine/le-journal-de-lucky-luke/
« Lucky Luke vu par… T1 : L’Homme qui tua Lucky Luke » par Matthieu Bonhomme
Éditions Lucky Comics (14,99 €) – ISBN : 978-2884713634
… « Le Grand Duc » (T40, avril 1973) était déjà une belle révolution chez Dupuis (« Natacha » ne datant alors que de 1971), écrivez-vous.
Mais « Le Grand Duc » est paru chez Dargaud, justement !
Toutes les modifications ont été effectuées… à juste titre. Merci de votre relecture méticuleuse.
Cela permet effectivement de citer ce précieux collaborateur de Morris que fut Pascal Dabère, adaptateur de Daisy Town et de La Ballade des Dalton..
« Visuel immédiat, la couverture de Daisy Town sera reprise en affiche pour le film animé réalisé par les studios Belvision en 1971. »
N’est-ce pas plutôt le contraire ?… l’affiche du film de 1971 utilisée en 1983 comme couverture de la transposition en BD (signée Morris mais réalisée par Pascal Dabère).
L’affiche du film Daisy Town n’indiquait pas « Daisy Town », puisque ce film est sorti sous le simple titre « Lucky Luke ». De plus Pascal Dabère avait 14 ans en 1971… Ca reste jeunot.
Donc non, la chronologie n’est pas bonne :
Il y a eu une affiche en 1971 ( https://www.notrecinema.com/images/cache/lucky-luke–daisy-town-affiche_364266_48988.jpg )
En 1983, la couverture de l’adaptation, reprise d’un moment clé du film, apparait. Elle est de la main de Pascal Dabère, l’idée semble être acceptée de tous. ( https://www.bedetheque.com/media/Couvertures/LuckyLuke51DargaudRecto.jpg )
Et par la suite, cette couverture a été reprise. Notamment pour faire les jaquettes de DVD (comme celle-ci https://images-eu.ssl-images-amazon.com/images/I/71YCCJfjU0L.jpg ; cette jaquette passe souvent pour une affiche…)
Modification de la légende effectuée : merci pour ces précisions chronologiques indispensables.