Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
Lire la suite...« Les Aventures, planches à la première personne » par Jimmy Beaulieu
Entre 25 et 40 ans, on quitte une adolescence, parfois poussée très tard, pour s’affirmer en tant qu’adulte, dans ses choix de vie et son activité professionnelle. L’auteur québécois Jimmy Beaulieu raconte son parcours personnel, dans une autobiographie qui regroupe une partie de ses carnets dessinés.
Né en 1974 à l’Ile d’Orléans, Jimmy Beaulieu grandit près de la ville de Québec au sein d’une famille élargie nombreuse. Très tôt attiré par le dessin, il croque des instants de sa vie quotidienne dans des carnets de croquis et de courtes bandes dessinées.
Le jeune homme travaille dans la librairie indépendante Pantoute à Québec, jusqu’à ses 24 ans. Pour pouvoir vivre de son travail de bédéaste, il s’installe à Montréal à la fin des années 1990.
Auteur de bande dessinée exigeant, Jimmy Beaulieu fonde des maisons d’édition : Mécanique Générale et Strips, en plus de Colosse qu’il gère seul. Il participe au développement de la bande dessinée canadienne francophone comme auteur engagé, mais aussi en tant que critique, commissaire d’expositions, animateur d’atelier et de revues.
En France, il connait une certaine notoriété en adaptant en joual, le français québécois dialectal, les dialogues de « Magasin général », la saga québécoise de Régis Loisel et Jean-Louis Tripp.
Le présent ouvrage reprend trois de ses œuvres autobiographiques précédentes : « Quelques Pelures », « Le Moral des troupes » et « Le Roi-cafard », additionnées d’une soixantaine de pages inédites. Par ce journal, pas si intime, nous suivons la vie de l’auteur de 1998 à 2013. Chose étonnante, qui démontre tout le talent de Jimmy Beaulieu, le lecteur passe d’une courte scène à une autre sans hiatus narratif. Un ensemble d’épisodes autonomes forment un tout cohérent, sans répétitions lassantes.
Au fil des pages, nous voyons l’auteur québécois vieillir. De l’adolescent attardé de 24 ans qui vivote à Québec, près du domicile de ses parents, l’éternel célibataire mal à l’aise avec les filles devient petit à petit un adulte, responsable, indépendant, heureux en couple, artiste vivant du travail dont il rêvait plus jeune. Beaulieu traite sur un mode mineur des thèmes universels : des rapports familiaux à ses parents divorcés et à sa famille plus éloignée, de la difficulté à trouver l’âme sœur, (il tombe souvent amoureux de femmes inaccessibles), d’une conscience politique qui s’affine avec l’âge, ou des finalités de sa vocation artistique.
Le trait est souvent jeté, proche parfois de celui de Joann Sfar. Il évolue avec le temps, et d’un récit à l’autre, de l’esquisse à l’aquarelle. Ce graphisme vivant, finalement très travaillé, permet de s’imprégner des décors de la Belle Province, des balcons de la ville de Montréal au littoral de la Gaspésie.
Loin des auto-fictions humoristiques de la plupart des blogs d’aujourd’hui, Jimmy Beaulieu retrouve dans « Les Aventures, planches à la première personne », la qualité et l’universalité des autobiographies dessinées des années 1990 : du « Journal » de Fabrice Neaud ou de « Persepolis » de Marjane Satrapi. Il est proche en cela de certains auteurs canadiens anglophones tel Chester Brown ou vivant au Canada comme Joe Matt.
Œuvre juste et sensible, cette bande dessinée de plus de 350 pages donne à comprendre la vision d’un artiste sur le monde qui l’entoure. Elle rafraîchit un pacte autobiographique un peu délaissé ces temps-ci dans le neuvième art, si on excepte le brillant « Carnation » de Xavier Mussat paru au printemps dernier.
Très cordialement, Jimmy Beaulieu a répondu à quelques questions à l’occasion de la sortie de son dernier ouvrage en Europe. Nous le remercions de sa disponibilité.
BDzoom.com : Quel est ton regard aujourd’hui sur les pages des « Aventures » qui racontent 20 ans de ta vie ?Â
Jimmy Beaulieu : Je suis content d’avoir pris le temps de raconter et dessiner tout ça, sous cette forme. Si je ne l’avais pas fait, j’aurais oublié de très nombreux détails de ces périodes. L’exercice du journal prend de la valeur avec le temps, selon moi. On dessine, sans gras nostalgique, des gens qui sont morts entretemps, des lieux et commerces qui ont disparu, d’anciens appartements. C’est très beau d’avoir des traces rédigées « au présent » de choses qui se sont évaporées.
Bon, naturellement, il y a des dessins et des tournures de phrase qui me font grincer des dents. J’ai substantiellement retouché le pire pour cette édition, mais comme je n’épargne pas à mon avatar des réflexions un peu bêtes pour le laisser évoluer au fil du livre, je fais de même pour l’auteur, qui, j’espère, sait un peu mieux ce qu’il fait à la fin qu’au début.
BDzoom.com : Qualifierais-tu ce livre d’autobiographie ou d’autofiction ?
Jimmy Beaulieu : Plutôt autobiographie, puisqu’il n’y a rien d’inventé (c’est bien la distinction ?). Mais le terme autobiographie suggère un peu une mosaïque des faits saillants d’une vie. Or, je passe très vite sur les évènements marquants ou lourds, voire je n’en parle pas du tout. Ce n’est absolument pas le projet. Si je les évoque, c’est pour parler des conséquences plus discrètes, ou de la poussière qui retombe.
BDzoom.com : Pourquoi ce changement de titre entre l’édition québécoise et l’édition française ?
Jimmy Beaulieu : Benoît Peeters, l’éditeur de l’édition européenne, n’était pas friand du titre un peu négatif de l’édition québécoise : « Non-aventures ». Je n’y tenais pas non plus. Nous avons bien cherché une alternative. Moi qui pense toujours à des titres de livre (à en rendre fou mon entourage), je bloquais. J’ai finalement proposé cette variante toute simple et plus drôle, « Les Aventures», qui était le titre du premier chapitre de la section « Quelques pelures » (lequel s’intitule, dans cette édition, « Non-aventures »).
BDzoom.com : Quels sont tes projets en BD pour 2015 ?
Jimmy Beaulieu : Plein de choses incertaines pour le moment, mais j’aimerais au moins terminer un livre réalisé en collaboration avec Alexandre Fontaine Rousseau : une espèce de lettre d’amour adressée au cinéma de Jess Franco.
Laurent LESSOUS (l@bd)
P- S : Nous avons déjà évoqué sur notre site le travail de Jimmy Beaulieu dans nos articles ; « Le Québécois Jimmy Beaulieu mis à l’honneur à la galerie « Oblique »  », « Jimmy Beaulieu, le bédépendantiste sentimental » et la critique de « Comédie sentimentale pornographique »
« Les Aventures, planches à la première personne » par Jimmy Beaulieu
Éditions Les Impressions nouvelles (25 €) – ISBN : 978-2-87449-234-1
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