Dix ans après la parution de « Résurrection », la première partie d’un diptyque accouché dans la douleur, voici enfin « Révélations » : conclusion du dernier récit du regretté Philippe Tome, décédé alors qu’il travaillait sur les dernières pages de son scénario. Les éditions Dupuis proposent, enfin, l’intégralité de cette aventure magistralement dessinée par Dan Verlinden, digne successeur de ses deux prédécesseurs : Luc Warnant et Bruno Gazzotti.
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« Jonathan » de Cosey (1) est la dernière en date de ces intégrales qui agrémentent, depuis quelques années, le catalogue des éditions du Lombard.
Force est de remarquer, qu’aujourd’hui, le patrimoine de la bande dessinée se porte de mieux en mieux ! Car, quand il est bien entretenu et présenté, il peut susciter des ventes tout à fait honorables, même pour d’importantes maisons d’éditions : comme ont su nous le prouver les belles intégrales consacrées à « Gil Jourdan », « Tif et Tondu », « Johan et Pirlouit » ou « Spirou et Fantasio » chez Dupuis (2), par exemple.
C’est donc dans cette remarquable lignée éditoriale que s’inscrit le tome un de l’intégrale du « Jonathan » de Cosey, lequel regroupe « Souviens-toi Jonathan », « Et la montagne chantera pour toi » et « Pieds nus sous les rhododendrons », les trois premiers voyages initiatiques réalisés, au cœur des plateaux himalayens, par ce jeune amnésique en pleine quête spirituelle et d’identité, apparu dans le journal Tintin (au n°6 du 4 février 1975 en Belgique et au n°112 du 26 février de la même année dans la version française : Tintin hebdotimiste) : « La série « Jonathan » n’est pas autobiographique…, et pourtant, c’est moi ! « Jonathan » est le développement imaginaire des potentialités non vécues mais exprimées par Cosey. »(3). L’ouvrage sort même carrément du lot en proposant un gros dossier de vingt-quatre pages avec interview de l’auteur vaudois par Antoine Maurel, esquisses ou dessins inédits, recherches graphiques, photos de voyages et reportages, le tout imprimé sur un beau papier enrobé d’une couverture inédite, « clin d’œil » à celle du premier tome de la série !
Évidemment, l’influence de son compatriote Derib (le dessinateur de « Yakari » ou de « Buddy Longway », qui était alors l’unique professionnel suisse et qui prodiguera nombre de conseils au jeune Cosey tout en l’incitant à créer ses propres histoires) saute aux yeux ! Même si, dans ce bel ouvrage, l’auteur temporise cette affirmation, il reconnaît toutefois que « Je crois quand même que je tiens de Derib le côté sympathique des personnages. Son découpage m’a sans doute influencé dans les premiers tomes, mais ensuite, j’ai voulu revenir à de la bande dessinée qui vise avant tout à raconter des histoires. ».
En effet, on sent déjà, dans les cadrages ou dans la composition, ainsi que dans les dialogues et les propos tenus, que Cosey privilégiait déjà une certaine forme de narration, mettant en avant la psychologie de chacun de ses personnages afin de mieux faire avancer son récit ; comme il fera plus tard en accumulant les « one-shot » originaux : que cela soit pour les éditions du Lombard (« Á la recherche de Peter Pan » en 1984 et « Zélie, Nord-Sud » en 1994) ou pour la collection « Aire libre » (« Le Voyage en Italie » en 1988, « Orchidea » en 1990, « Saigon-Hanoi » en 1992, « Joyeux Noël, May » en 1995, « Zeke raconte des histoires » en 1999 et « Une maison de Frank L. Wright… » en 2003) ou « Empreinte(s) » de chez Dupuis (« Le Bouddha d’azur », pré-publié dans Spirou, en 2005).
Cet aspect est même sensible dans les illustrations qu’il a réalisées pour les deux livres pour la jeunesse que sont les mystiques « L’Enfant Bouddha » de Jacques Salomé chez Albin Michel (en 1993) et « Le Vol de l’aigle » de Jean-Charles Bernardini chez Mango Jeunesse (en 2002), ou encore dans l’album « Champéry été 1863 » (scénario de Fabrice Clément, en 2004) : une commande de la Fondation du Patrimoine champérolain pour marquer son 10ème anniversaire et qui présente une rétrospective de la vie de ce village au XIXe siècle.
On pourrait aussi citer quelques hommages peu connus comme « Quick & Flupke : Canotage » (une planche dans le n°316 de Tintin en1981), « Buddy Longway : Surprise » (une planche dans le n°334 de Tintin en 1982, reprise dans « Les Amis de Buddy Longway » aux éditions du Lombard en 1983), une planche de « Gaston Lagaffe » dans « Baston 5 : La Ballade des baffes » (chez SEDLI en 1983) et une autre dans le n°3704 de Spirou en 2009.
Divers récits courts avec « Jonathan » en portent également la marque comme « Les Auteurs rencontrent leurs personnages » (deux planches parues dans le n°329 de Tintin en 1981 et reprises dans le livre « Echo » chez Maghen en 2007), « Jouez avec Jonathan » (deux planches dans le Tintin Super n°17 de 1982), « Les Aventures mystérieuses et rocambolesques de l’agent spatial » (une planche dans le n°513 de Tintin en 1985 reprise dans l’album « L’Aventure du journal Tintin » au Lombard en 1986), et « La Rencontre » (deux planches dans le n°580 de Tintin en 1986 reprises dans « Echo » chez Maghen en 2007).
Sans oublier les autres rares pages de bandes dessinées publiées dans des revues ou dans des albums collectifs que Cosey a égrené tout au long de sa carrière : telle « Visitez la Suisse » (page scénarisée par son compatriote Silly dans le n°1 de Swiss Brothers (l’éphémère revue de Rolf Kesselring, en 1978), « Downtown » (quatre planches parues dans Tintin Super n°5 de 1979), « Heyoka » (trois planches dans Tintin Super n°15 de 1981, reprises dans le n°39 de Sapristi en 1998), « Spécial Lennon » (deux planches dans le n° hors série d’(Á Suivre) de 1981), un strip dans « Pétition : à la recherche d’Oesterheld et de tant d’autres » chez Amnesty International en 1986 (voir : http://bdzoom.com/spip.php?article3684) et « Tu manques » (quatre planches réalisées pour l’album « Jean-Jacques Goldman : chansons pour les yeux » des éditions Delcourt en 2004 et reprises dans Bo Doï HS n°11 de 2004).
Mais avant de réaliser tout cela, si Bernard Cosenday (dit Cosey), né à Lausanne le 14 juin 1950, a beaucoup lu de bandes dessinées dans sa jeunesse (« Gil Jourdan », « Spirou », « Johan et Pirlouit », « Tif et Tondu », « Benoît Brisefer » et « Jerry Spring » étaient ses idoles) (4), paradoxalement, il a très peu dessiné ! Ces parents se rendant compte que leur rejeton n’était pas vraiment fait pour l’école et qu’il avait des rêves un peu flous autour du roman, de la bande dessinée et du dessin animé (Walt Disney le fascinait et il ne fut pas mécontent de s’apercevoir qu’en raccourcissant son patronyme Cosenday en Cosey, cela sonnait comme Disney), ils l’orientent vers la publicité. Ainsi, de 1965 à 1969, Cosey travaille quatre jours par semaine dans cette boîte (apprenant à réaliser quelques compositions techniques et plus rares exécutions créatives) et suit des cours le cinquième jour.
Á la fin du cycle, il reçoit son unique diplôme (le Certificat Fédéral de Capacité) et c’est l’année suivante qu’il rencontre Derib (après avoir lu un article dans un quotidien de sa région qui en parlait comme « le premier auteur suisse de bandes dessinées ») (5) ; alors que ce dernier dessine aussi les animaux parlants « Attila » (un chien scénarisé par Maurice Rosy) et « Pythagore » (un hibou dont les dialogues étaient signés Job), Cosey lui donne un coup de main comme coloriste sur le western « Go West » (un excellent scénario de Greg que les éditions du Lombard seraient bien inspirées de rééditer) et sur les premiers « Yakari », profitant de ses avis et encouragements amicaux. Les deux hommes ont donc vraiment sympathisé car, en plus de leur pratique commune de la bande dessinée, ils partagent le même intérêt pour les traditions asiatiques et les philosophies orientales que Cosey a découvertes, pendant ses années d’apprentissage, à la lecture des ouvrages de Carl Gustav Jung, Chogyam Trungpa et Alexandra David-Neel : « Ce fut à l’origine une recherche personnelle, guidée par mon intérêt pour toute forme de connaissance de soi. Par la suite, j’ai approfondi cette initiation par un bref séjour au Ladakh, puis un autre au Népal. ». (3)
Derib et Cosey resteront des amis proches, même si leurs parcours professionnels n’ont pas pris tout à fait les mêmes voies. On peut remarquer que dans ces premiers « Jonathan » réédités aujourd’hui, Derib a sûrement dû crayonner un peu sur les planches de Cosey, afin d’effectuer quelques retouches qui lui semblaient nécessaires ! Et quand Cosey a proposé les trois ou quatre premières planches de son « Jonathan » (6) à toutes les maisons d’éditions de l’époque, essuyant refus après refus, il ne les envoie pas au Lombard, l’éditeur du journal Tintin ! Tout ça parce que Derib y était publié, et comme il était son élève et qu’il était conscient de son influence, il trouvait peu intéressant, ni pour eux, ni pour lui, de travailler chez le même éditeur que son maître et ami.
Cependant, quelques mois plus tard, Cosey recevra une lettre d’Henri Desclez qui avait été rédacteur en chef du cahier bandes dessinée du mercredi dans le quotidien belge Le Soir et dans lequel Cosey avait publié ses premières bandes. Comme ce dernier venait de succéder à Greg au poste de rédacteur en chef de l’hebdomadaire Tintin et qu’il cherchait de nouveaux collaborateurs, il avait pensé à rappeler, à tous ceux qui avaient déjà travaillé avec lui pour Le Soir Jeunesse, qu’il était preneur de tout projet : à Cosey bien sûr à qui il a dit oui tout de suite quand il lui a proposé son « Jonathan », mais aussi à Christian Denayer qui y créera ses « Casseurs » (voir http://bdzoom.com/spip.php?article3780), à Ferry avec « Ian Kaledine » ou à Franz qui faisait partie de son studio (voir http://bdzoom.com/5974/patrimoine/le-coin-du-patrimoine-bd-«-san-antonio-»-en-bandes-dessinees/) et qui reprendra « Jugurtha » pendant la même période.
Neuf épisodes de « Jonathan », produits sur sept ans, seront alors publiés dans Tintin et auront toujours pour cadre le Toit du monde. Ce n’est qu’en 1985 que Cosey expédiera son héros outre Atlantique pour un diptyque américain (« Oncle Howard est de retour » et « Greyshore Island ») publié directement en album au Lombard : et onze années vont alors s’écouler avant que notre dessinateur publie à nouveau, en 1997, une nouvelle aventure de son héros fétiche : « Celui qui mène les fleuves à la mer », qui sera suivie par « La Saveur du Songrong » en 2001 et « Elle ou dix mille lucioles » en 2008, édités également en albums aux éditions du Lombard…
Si, en 1969, Cosey remporte le troisième prix d’un concours de couvertures organisé par l’hebdomadaire Spirou, ce n’est que deux ans plus tard, en 1971, qu’il publie sa première série dans le quotidien belge Le Soir : il s’agit, en l’occurrence, de trois courts épisodes de huit pages avec « Monfreid et Tilbury », dessinés dans un style semi-humoristique très Deribien et écrits (à l’invite de Derib, d’ailleurs) par le scénariste André-Paul Duchâteau ; ces histoires de construction d’un barrage dans les Rocheuses canadiennes, avec l’intervention de saboteurs et de la police montée, ont été dessinées dans l’atelier de Derib et seront reprises, en noir et blanc, dans un portfolio aux éditions Trihan, en 1982 (7).
Duchâteau pris par ses autres activités scénaristiques, Cosey propose alors l’histoire d’un jeune européen amnésique perdu dans l’Himalaya aux responsables du quotidien lausannois 24 heures : mais cela ne les a pas intéressés… Par contre, ils lui demandent de mettre en scène le reporter-photographe « Paul Aroïd » dans deux aventures régionales. Réalisées entre 1971 et 1972, elles seront ensuite reprises dans l’album « Le Retour de la bête » aux éditions 24 Heures, en 1973 (réédition aux éditions de Magrie et Loch Ness, en 1991). Hélas, le troisième récit (« Un rire au fond du lac », quarante-quatre planches publiées dans le quotidien, en 1973), reste toujours inédit en album (8) : « Il y avait peu de débouchés en Suisse, mais aussi peu de concurrence : ce qui a été ma chance. J’ai pu publier mes premières histoires, ayant pour thème l’histoire locale, dans le quotidien régional 24 heures, sans rencontrer une concurrence telle qu’on en trouve à Paris ou à Bruxelles. » (3)
Toujours pour 24 heures (mais aussi pour La Dépêche de Tahiti qui reprendra ce récit en 1974 !), Cosey enchaîne, en 1972, avec « Saphorin Ledoux » dans « Perles à rebours aux Tuamotu » : quarante-trois planches également inédites en album qui lui nécessiteront un agréable voyage à Tahiti ! Enfin, en 1974, il réalise les aventures fantaisistes d’une héroïne amusante nommée « Clarence » pour l’album « Un shampoing pour la couronne » (scénario Jacques Ralf) aux éditions Publishing & Copyright et sous forme de feuilleton radiophonique sur Radio Suisse Romande.
Bref, certains de ces « péchés de jeunesse » tout à fait honorables, où l’on décèle aussi, outre celle de Derib, l’influence de Jean-Claude Mézières ou de Will, et qui permettent de mieux saisir la progression graphique et narrative, ainsi que les diverses facettes de l’auteur, mériteraient également être réédités un de ces jours : avis aux éditeurs !
Enfin, pour en savoir plus sur Cosey vous pouvez consulter (si vous arrivez à les trouver) les magazines suivants : Cahiers de la BD n°76 et 82, Copyright n°5-6-7, Bilboquet n°8, Dommage n°5, Baroud n°5, Hello Bédé n°194, Champagne n°7-8, La Lettre de Dargaud n°16 et n°37, La Lettre n°62, Sapristi n°39, Swof n°HS1, Bo Doï n°47, BullDozer n°4, DBD (NF) n°9, On a marché sur la bulle n°14, Zoo n°16, dBD n°29… ; ainsi que les quelques ouvrages qui lui sont entièrement consacrés : « Á propos de Cosey » aux éditions du Lombard (en 1983), « Cosey d’Est en Ouest » aux éditions du Musée de la BD (1999), « Á propos de Jonathan » aux éditions Nautilus (en 2000), « Jeux d’influences » aux éditions PLG (2001), et « Cosey : l’aventure intérieure » aux éditions A.S.B.L. Charleroi images & Ed. Palais des Beaux-Arts (2006), ou encore le site fort bien fait http://cosey.rogerklaassen.com.
Gilles RATIER, avec Laurent TURPIN aux manettes
(1) Á noter que l’album sort à l’occasion du festival « Quai des bulles » de Saint-Malo qui aura lieu du 23 au 25 octobre 2009 et dont Cosey sera l’invité d’honneur !
(2) On ne peut pas en faire un « Coin du patrimoine » à chaque fois, mais sachez que sont déjà parus le 3ème volume de « Natacha » (voir http://bdzoom.com/spip.php?article3567), le 4ème recueil de « Johan et Pirlouit » (avec les derniers épisodes dessinés par Peyo ; voir : http://bdzoom.com/spip.php?article3545 et http://bdzoom.com/5932/patrimoine/le-coin-du-patrimoine-bd-«-les-schtroumpfs-»-de-peyo/) et le 6ème tome de « Tif et Tondu » (avec la fin de la collaboration Will et Maurice Rosy ; voir : http://bdzoom.com/5866/patrimoine/le-coin-du-patrimoine-bd-maurice-rosy/ et bdzoom.com/spip.php?article3479) ; et puis, en octobre, sortira le 2ème « Gil Jourdan » (voir : http://bdzoom.com/spip.php?article3900), alors qu’en novembre, ça sera le tour des tomes 8 des intégrales « Spirou et Fantasio » (voir : http://bdzoom.com/spip.php?article3407) et « Yoko Tsuno » (voir : http://bdzoom.com/spip.php?article3865) !
(3) Extraits d’une interview de Cosey par Luc-Michel Viaud et Gilles Ratier, parue dans le n°5 du fanzine Dommage daté du premier trimestre 1982.
(4) Entre de nombreux croquis préparatoires, dessins inédits et superbes paysages montagneux enneigés, on peut découvrir, dans « Echo » (remarquable ouvrage paru aux éditions Daniel Maghen, en octobre 2007), les balbutiements du futur auteur de « Jonathan » : du temps où Derib l’incitait à copier ses héros préférés pour mieux comprendre le travail des « grands » du métier.
(5) L’auteur de l’article semblait donc ignorer qu’il y eu, bien avant lui, Rodolphe Töpffer, l’inventeur de la bande dessinée moderne vers 1835 (si on considère que c’est la diffusion de son ouvrage « Histoire de M. Jabot » qui fait foi et non sa réalisation en 1833) ! Sans parler de l’anecdotique « Voyage d’un âne dans la planète Mars » d’un certain Gabriel Liquier (publié à Genève en 1867) ou encore du Suisse alémanique Robert Lips qui connu une certaine gloire avec son perroquet « Globi », héros de livres pour enfants s’apparentant au 9e art, à partir de 1932.
(6) Alors que ce projet avait été mûri pendant au moins six mois, ces planches ont pourtant été recommencées après acceptation du dossier ; lequel, à l’époque, ne proposait qu’un scénario pour un « one shot » et non une série !
(7) Le deuxième de ces trois épisodes (« Barrage au Canada ») sera également repris dans le numéro 30 de Tintin Super-Jeunes, en 1985.
(8) Cosey réalisera, en 1997, toujours pour 24 heures, une nouvelle planche de « Paul Aroïd » intitulée « 25 ans après ».
Bravo, Très bel article
merci
Bonjour à tous !
Très bel article. Pour compléter sachez que j’ai réalisé pour le lombard des courts entretiens avec Cosey afin de découvrir cet auteur fascinant du 9e art. Vous les trouverez ici : http://www.dailymotion.com/playlist/x12ylo_LeLombard_jonathan
Merci
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