Un classique de la littérature japonaise adapté avec pudeur, et brio…

À travers le récit d’une saga familiale sur quatre générations, « Les Dames de Kimoto » nous éclaire sur l’évolution de la condition féminine au Japon : de la traditionnelle ère meiji de la fin du XIXe siècle jusqu’après la Seconde Guerre mondiale. À la suite d’une proposition de l’éditeur (Sarbacane), le talentueux Cyril Bonin, déjà auteur de nombreux petits joyaux bédéesques (1), met en cases et en images, avec son style toujours aussi élégant, cette subtile et saisissante œuvre de Sawako Ariyoshi — publiée en 1959 au Japon —, entre sagesse, transmission, passion, drame et émancipation.

C’est avec un soin tout particulier que Toyono a choisi un mari pour sa petite-fille Hana qui a juste 20 ans et qui est un parti très convoité. Il faut dire que, dans la vallée de Wakayama, les Kimoto sont une famille très respectée. Basé sur les traditions, les superstitions et une connaissance exacerbée des enjeux politiques de la région, le choix de Toyono s’est porté, à la surprise générale, sur un jeune garçon plein d’avenir, mais issu de souches moins prestigieuses que celles de certains autres prétendants : en effet, Keisaku Matani est déjà maire de son village, à seulement 24 ans. Même si c’est un crève-cœur pour la vieille dame d’envoyer sa descendance si loin, le long du fleuve Ki, elle sait que grâce à son éducation, ses bonnes manières et son intelligence, Hana se fera accepter et aimer par les Matani, et aidera Keisuka à devenir un homme d’importance.

En effet cultivée et diplomate, Hana est intransigeante avec ses enfants et assujettie à son mari, même si en réalité c’est elle qui contrôle tout : un rôle de femme soumise dans lequel sa progéniture, Fumio, une jeune fille brillante et rétive à l’apprentissage des arts traditionnels, refuse de se laisser enfermer. Après avoir choisi ses études, cette dernière milite pour la libération des femmes et épouse l’homme de son choix. Hana ne trouvera une consolation de cet échec qu’avec sa petite-fille Hanako qui a grandi dans un Japon fasciste, en guerre contre la Chine, et qui souhaite retrouver une part des survivances familiales, au bord du fleuve Ki.

Entre croyances ancestrales et modernité, c’est donc quatre générations de Japonaises d’une même famille que l’on voit traverser les conflits, tout en subissant les grands et les petits évènements du quotidien. Ainsi, elles passent d’une société très codifiée, écrasée par le poids des coutumes et dominée par le respect à l’extrême des préséances (détriment des branches collatérales et soumission des épouses), à un XXe siècle profondément marqué par les guerres, mais qui se révèle toutefois plus libéral : puisqu’il autorise, progressivement, les femmes à s’exprimer et à décider de leur vie.

Sans jamais perdre pour autant en intensité, l’adaptation de Cyril Bonin conserve toute la délicatesse et la retenue de ce chef-d’œuvre de la littérature japonaise plein de paradoxes : car à la fois beau et cruel, sombre et lumineux, doux et amer…
D’autant plus que son graphisme fin et détaillé — ainsi que sa reposante colorisation — nous plonge d’emblée dans ce Japon coincé entre le début de l’urbanisme des grandes villes et la tradition des campagnes : un superbe moment de lecture…

Gilles RATIER

(1) Sur Cyril Bonin, voir par exemple sur BDzoom.com : Cyril Bonin fait son jeu : rien ne va plus ?, « Stella » : la fin d’un roman… le début d’une histoire, mais surtout une très belle BD de Cyril Bonin sur la création, l’identité, et la place de l’auteur…, « Presque maintenant » par Cyril Bonin, « La Délicatesse » par Cyril Bonin [d’après David Foenkinos], « Fog : intégrale » T1 par Cyril Bonin et Roger Seiter, « The Time Before » par Cyril Bonin, « Amorostasia T2 : Pour toujours… » par Cyril Bonin, « Amorostasia » par Cyril Bonin, « L’Homme qui n’existait pas » par Cyril Bonin, « La Belle Image » par Cyril Bonin, Chambre obscure T1… 

« Les Dames de Kimoto » par Cyril Bonin, d’après Sawako Ariyoshi

Éditions Sarbacane (19,90 €) — EAN : 978-2-37731-787-5

Parution 2 mars 2022

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Une réponse à Un classique de la littérature japonaise adapté avec pudeur, et brio…

  1. PATYDOC dit :

    Ce livre est très réussi comme vous l’expliquez bien ; il y a cependant quelques maladresses que je voudrais indiquer ici : 1/ comme tant d’autres, l’auteur s’essaie au dessin des kanji et des kana qui bien entendu sont horriblement tracés : il aurait pu, tel Hergé, s’adjoindre les services d’un natif / d’un étudiant de l’Inalco, pour éviter cette maladresse qui salit son dessin 2/ les drapeaux et représentations du Japon fascistes sont non pertinents : l’auteur aurait pu regarder sur internet ! 3/ le vrai titre du livre d’origine, c’est « la rivière Ki » : le thème tourne autour du risque de « remonter la rivière Ki » (c’est à dire de quitter la ville, le port, l’ouverture sur le monde, pour revenir s’enterrer à la campagne) : on se demande si Bonin a bien compris la problématique du thème. C’est d’autant plus dommage que cette thématique est d’actualité dans la France d’aujourd’hui, avec la Covid, et la multiplication des Bourus (Bourgeois ruraux) qui quittent la région parisienne.

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