Dans le cinquième volume de ses aventures, « Le Grimoire d’Elfie T5 : Les Reflets de Walpurgis », la jeune Elfie découvre le marais poitevin (entre La Rochelle et Niort) et des festivités réservées aux magiciens et sorcières depuis le temps de la mystérieuse fée Mélusine. Une nouvelle enquête pour la jeune adolescente, avec l’apport non négligeable de son grimoire magique, à l’issue de laquelle elle en aura appris beaucoup sur les dangers contemporains qui guettent cette zone humide remarquable et sa propre famille.
Lire la suite...« L’Enfer pour aube » : quand Tiburce Oger et Philippe Pelaez tournent l’Apache de la Belle Époque…
Paris, 1903 : plusieurs notables sont assassinés de manière spectaculaire par un étrange inconnu voltigeur, dont le visage est recouvert d’une écharpe rouge. La police suspecte très vite les redoutables Apaches de vouloir semer la terreur dans toute la capitale. Mais que signifie le louis d’or retrouvé dans la bouche de chacune des victimes ? Avec ce nouveau diptyque, Philippe Pelaez et Tiburce Oger rendent un bel hommage au récit feuilletonesque d’antan : un polar Belle Époque qui joue volontiers avec les arcanes sociopolitiques des débuts du XXe siècle.
Si le style de Tiburce Oger est immédiatement reconnaissable, le dessinateur prend ici le risque de changer d’époque, sans renier la violence, le cynisme ou l’angle fantastique qui auront fait la force de ses précédentes créations (« Gorn », « Les Chevaliers d’émeraude » ; voir nos articles consacrés à « Buffalo Runner », « Ma guerre de La Rochelle à Dachau », « Ghost Kid »). Introduisant ce tome 1 (« Paris Apache ») par la voix omnisciente d’un narrateur aux accents hugoliens, les auteurs s’inscrivent de prime abord dans une filiation littéraire. Le titre « L’Enfer pour aube » est tiré d’un poème de Victor Hugo, « Melancholia », issu des « Lamentations » (1856) et dénonçant le travail pénible des enfants, dans la veine postérieure des « Misérables » (1862). Romantisme (Alfred de Musset, Hugo, Géricault, Delacroix, etc.) et Naturalisme (Maupassant, Zola) permettront dès les premières planches de décrire le drame social opposant exclus et nantis, populations de la zone et celles des nouveaux quartiers. Ces derniers, issus des transformations liées aux travaux haussmanniens (1853-1870) et à la naissance du métro (1900-1903), ont alors renvoyé un peu plus à la marge tous ceux dont la capitale ne voulait plus : paysans chassés par l’exode rural, anciens artistes ou militaires devenus prolétaires, chiffonniers et ouvriers, communards revenus du bagne, émigrés divers… Installés dans l’ancien glacis militaire situé devant l’enceinte de Thiers (des fortifications englobant les 80 km² de Paris), ces zoniers ou zonards ont construit des baraques de fortune, sur un terrain large de 250 mètres. Un bidonville et une frontière qui ne disparaitront qu’en 1956, avec la construction du boulevard périphérique…
C’est dans cette zone de 30 000 habitants que surgit une nouvelle mythologie des bas-fonds, liée à la reformulation de la pègre et à l’apparition des Apaches. Les feuilletons et le cinéma de la Belle Époque s’empareront très vite de cette mythologie naissante, conjuguant argot, population des interstices, figures impérissables et clivages de tous ordres : Georges Méliès (avec le court-métrage « Les Apaches », 1904), Aristide Bruant (chanson « Chez les Apaches » en 1911) et plus tardivement Jacques Becker (film « Casque d’or » en 1952) rendront populaire ce monde interlope, zone décrite en quelques lignes par Céline dans son « Voyage au bout de la nuit » : « […] cette espèce de village qui n’arrive jamais à se dégager tout à fait de la boue, coincé dans les ordures et bordé de sentiers où les petites filles trop éveillées et morveuses, le long des palissades, fuient l’école pour attraper d’un satyre à l’autre vingt sous, des frites et la blennorragie. » En 1902, les journalistes parisiens Arthur Dupin et Victor Morris nomment « Apaches » les truands et voyous de Belleville, subitement devenus – Bande à Bonnot et anarchistes mis à part ! – les affres d’une insécurité dont rend habilement compte la presse. Les unes graphiques et meurtrières du Petit Journal ou de Le Matin rentrent ainsi dans l’histoire des médias.
Un exemple parmi d’autres : le 20 octobre 1907, le supplément illustré du Petit Journal place en une un Apache surdimensionné dominant la police parisienne, qu’il menace de son surin. À l’arrière-plan, un bourgeois gît dans son sang tandis qu’une bande d’Apaches s’en prend à un policier. La légende de l’illustration affirme : « L’Apache est la plaie de Paris. Plus de 30 000 rôdeurs contre 8 000 sergents de ville ». L’Apache, surtout, devient un archétype reconnaissable à son style : cheveux pommadés, casquette plate à visière de titi parisien, foulard rouge, veston ouvert sur un pull rayé ou une chemise débraillée, pantalon « mince des g’noux et large des pattes » (Aristide Bruand) et chaussures luisantes de cirage. Naturellement, Oger et Pelaez reprennent la formule à l’identique, mais y amènent un mystère supplémentaire avec leur justicier criminel, mixte graphique de Fantômas, de Zorro et de The Shadow (Walter B. Gibson, 1930). Précisons, pour être complet, que ce dernier personnage, marqueur emblématique de la culture pulp, doit presque tout (et jusqu’à son apparence, chapeau sombre, cape noire et foulard rouge inclus) au Judex de Louis Feuillade (apparu dès 1916). Évidemment, l’écharpe rouge et le chapeau noir d’Aristide Bruant constitueront des clins d’œil supplémentaires à la période.
En couverture, ainsi qu’en début de chaque chapitre de ce premier volume de 68 pages, Tiburce Oger rend un hommage direct au roman feuilleton et à la presse de l’époque, la maquette étant complétée d’une typographie Art déco que ne renierait pas Adèle Blanc-Sec. Les références y seront de nouveau multiples : « Mystères de Paris », Apaches, héros et super-héros débuts de siècle, arrière-plan politique (le scandale de Panama, 1892) et faits divers parisiens bien réels. Incluant des thèmes comme la révolution nihiliste et le désenchantement face au modernisme, l’intrigue reprend aussi à son compte l’accident de métro du 10 août 1903 (un incendie de motrice cause la mort de 84 personnes dans les stations Couronnes et Ménilmontant) et fait – plus indirectement – référence à l’incendie de la maison Laurette (1904). Un univers très riche, dont les auteurs tirent toute la substantifique moelle : nombreux rebondissements, scènes d’action musclées, personnages torturés et énigmes restant encore à résoudre dans le tome 2…
Concluons avec quelques questions rituelles, posées au scénariste Philippe Pelaez, également auteur du récent « Le Bossu de Montfaucon » (Grand Angle). Comment est né ce projet ?
Philippe Pelaez :« Il est né de rien, comme à peu près tous mes projets. Je ne me dis jamais : « Tiens, je vais écrire un thriller qui va se dérouler dans le Paris de la Belle Époque avec un assassin qui terrorise la ville ». Non ; j’ai souvent des flashs, des idées de scènes. Ici, j’avais l’image d’un homme semblable à Aristide Bruant, portant un chapeau à larges bords, une écharpe rouge et un grand manteau ; juché sur le pont du métro aérien, il saute sur la rame à son passage et tue tous ses occupants. Une fois la scène écrite, je me suis mis posé la question de ses motivations. L’histoire se construit ainsi, au fur et à mesure, et c’est un vrai bonheur que d’écrire sans savoir moi-même ce qu’il va se passer. Des personnages prennent le dessus sur d’autres, certains disparaissent, mais c’est uniquement lorsque j’ai trouvé mon contexte que je fais les recherches qui me permettront d’être extrêmement précis, que ce soit au niveau de décors, de l’époque historique, ou du vocabulaire des personnages. Je passe beaucoup plus de temps à faire ces recherches que pour le scénario, que je peux écrire en quelques jours. Pour « L’Enfer pour aube », j’avais décidé d’avoir un narrateur omniscient au niveau de langue soutenu, très hugolien. Un narrateur qui par ses phrases poétiques, imprimerait un rythme au récit, un rythme empreint de désillusion. »
Comment a été réfléchi le visuel de couverture ?
P. P. :« Tiburce a proposé plusieurs illustrations. Nous avions décidé de placer, en guise de pages de chapitrage, des reproductions de unes du supplément illustré du Petit Journal, quotidien phare des années 1860-1930 environ, à partir de dessins réalisés par Tiburce. Je dois avouer que pour ma part, chacun d’entre eux aurait pu faire une superbe couverture ! Et avec Jean Wacquet, l’éditeur, nous avons choisi celle qui illustre le tome 1. »
Philippe TOMBLAINE
« L’Enfer pour aube T1 : Paris Apache » par Tiburce Oger et Philippe Pelaez
Éditions Soleil (15,95 €) – EAN : 978-2302094390
Parution 2 mars 2022
Super … merci de cette présentation ; enfin du bon !!
Je connais un tout petit peu Pelaez avec la série “Maudit sois-tu” qui
est géniale, donc celle-ci sera du même acabit = brutale , violente et passionnante ^^
La scène du métro n’est pas sans rappeler celle de V pour Vendetta. Même arrivée sur le toit (et la case 2 planche 6 est assez éloquente à cet égard) et même mode opératoire (ou presque). Hommage volontaire ou est-ce tout à fait fortuit ? Ce n’est pas une critique, ça m’a juste frappé (les deux personnages ayant pas mal en commun, une belle cape, une écharpe (au lieu d’un masque) et un vaste chapeau). Ceci dit c’est du tout bon avec une mention particulière aux textes ciselés ou aux couleurs « neutres » faisant ressortir – et pour cause – le rouge.