Dix ans après la parution de « Résurrection », la première partie d’un diptyque accouché dans la douleur, voici enfin « Révélations » : conclusion du dernier récit du regretté Philippe Tome, décédé alors qu’il travaillait sur les dernières pages de son scénario. Les éditions Dupuis proposent, enfin, l’intégralité de cette aventure magistralement dessinée par Dan Verlinden, digne successeur de ses deux prédécesseurs : Luc Warnant et Bruno Gazzotti.
Lire la suite...La dixième aventure de Jacques Gipar : en immersion avec Tillieux !
Il existe des séries franco-belges dont les ambiances demeurent sans égales : créée en 1956, « Gil Jourdan » de Maurice Tillieux était de celles-là, avec son détective privé, sa police judiciaire, ses malfrats, ses calembours et ses spectaculaires accidents automobiles. Positionnés dans la roue pour un fier hommage au maître, Thierry Dubois et Jean-Luc Delvaux n’ont jamais lâché le volant depuis le démarrage en trombe de leur héros Jacques Gipar, chez Paquet en 2010. Dix tomes plus loin, nous retrouvons le reporter de France Enquêtes en Vendée, parti faire la lumière sur une mort suspecte au troquet des Flots bleus. Simple fait divers tragique ? Des criminels seraient-ils sur la piste d’un ancien trésor ? Les belles carrosseries de « La Voiture immergée » (1960) se risqueront-elles à franchir de nouveau le passage du Gois ?
Après la disparition accidentelle de Tillieux, victime d’un accident de la route (un comble !) en février 1978, la bande dessinée franco-belge n’a plus jamais vraiment été la même. Ses atmosphères, son trait particulier (à mi-chemin entre Hergé et Franquin), ses procédés cinématographiques, sa narration et sa grande connaissance du sujet automobile (dont la mécanique de la Renault Dauphine associée au héros) lui vaudront des qualificatifs aussi louangeurs que « romancier visuel » ou « Michel Audiard de la bande dessinée ». Bref, vouloir assurer la relève promettait d’être une gageure : de fait, malgré quelques hors-séries collectifs (par exemple « Les Enquêtes de leurs amis » en 1989) et en dépit du travail assuré par Gos de 1972 à 1979 sur les ultimes « Gil Jourdan », nul ne jugea possible de ressusciter pleinement la série. On assista donc plutôt à la transposition de son univers dans l’époque contemporaine, notamment avec « Léo Loden » (créé par Arleston et Serge Carrère en 1991). Vint ensuite le temps des avatars (« Mauro Caldi » par Denis Lapière et Michel Constant entre 1987 et 2019) et des décalques : « Simon Nian » (trois tomes entre 2005 et 2011 par François Corteggiani et Yves Rodier) ou « Louise Petibouchon » (série lancée en 2018 par Jean Depelley et Éric Albert aux éditions du Long bec ; la reprise chez Paquet étant annoncée) en sont probablement les meilleurs exemples. On rajoutera à cette liste divers récits-hommages de Yann et Schwartz, dont « Atom Agency » (deux tomes parus depuis 2018 chez Dupuis) et ce récit court concocté pour célébrer les 60 ans de « Gil Jourdan » en 2016 (voir Spirou n° 4903).
Le fil rouge incessant de ces pastiches ou hommages ? L’inévitable « Voiture immergée », troisième album de la série, récit prépublié dans Spirou en 1958. Parue en 1960 chez Dupuis, cette aventure voit Gil Jourdan, son adjoint Libellule et l’inspecteur Crouton, affronter tour à tour les quartiers mal famés de Paris, le climat breton incertain, l’exploration risquée d’un château en ruines, et… une voiture prise au piège par la marée. Comme l’expliquait Tillieux lui-même : « « La Voiture immergée », c’est parti de l’île de Noirmoutier. Le Pas-du-Malin existe réellement, c’est le passage qui relie l’île au continent… Je l’ai emprunté lorsque je suis allé là-bas et cette chaussée recouverte à chaque marée m’a séduit. On démarrait avant la marée, et pour gagner du temps, il fallait un peu rouler dans l’eau… J’ai bâti mon histoire uniquement pour utiliser ce décor ! » (cf. « Heroic » ; éditions Daniel Maghen, avril 2011). Ce « Pas-du-Malin » est naturellement inspiré par le passage du Gois, chaussée submersible de 4,1 kilomètres de long et unique moyen de relier Noirmoutier au continent jusqu’en 1971. Recouverte par quatre mètres d’eau à marée haute, cette route quelque peu dangereuse aura tragiquement connue plus d’une disparition…
En faisant directement référence à cette séquence culte dès la couverture de « Jacques Gipar T10 », Thierry Dubois et Jean-Luc Delvaux ne cachent donc pas leur vive admiration. Les auteurs expliquent ainsi : « Le dixième album d’une série, c’est important et nous avions envie de « marquer » le coup. Nous sommes très admiratifs du travail de Maurice Tillieux (né en août 1921) et, à l’occasion du centenaire de sa naissance, nous voulions lui rendre un hommage tout à fait assumé en situant l’intrigue de cette nouvelle aventure de Jacques Gipar à Noirmoutier, avec son fameux passage du Gois, et en multipliant les clins d’œil à « La Voiture immergée ». Tous les amateurs de bandes dessinées franco-belges savent que le Pas-du Malin est inspiré de cet endroit. Celui-ci était à l’époque le seul moyen de relier l’île au continent, en dehors des heures de marées bien entendu ! Thierry a donc élaboré son histoire autour de cette route. »
« Depuis le début de la série, nous respectons une certaine chronologie qui fait que nous arrivons en 1956, l’année de la commercialisation de la Renault Dauphine. Jacques Gipar étrenne donc une Dauphine flambant neuve pour l’occasion et commet une petite infidélité à sa marque de prédilection, Simca et ses fameuses Aronde. La Dauphine est un modèle qui colle à Gil Jourdan comme la Porsche 911 à Ric Hochet. Et le rédacteur en chef de France Enquêtes, le journal pour lequel travaille notre héros, roule en Facel-Vega comme le faisait le malheureux Nikita Zix ! Nous voulions une couverture avec une ambiance forte. La base de travail dans la réflexion autour du choix de celle-ci est toujours d’aligner les précédentes et de trouver une idée originale. Jean-Luc réalise alors plusieurs petits croquis de mise en page rapide, avant de préciser celui qui nous semble le plus correspondre à ce que nous recherchons. Nous l’envoyons ensuite à Pol Beauté, notre éditeur. Dans ce cas-ci, la première a rassemblé tous les suffrages. Le passage du Gois est suggéré par la voiture arrivant au bord de l’eau de nuit, sous une pluie torrentielle, avec une légère plongée accentuant le côté « C’est trop tard, on ne passe plus ! ». Le dessin étant magnifié par le travail de Callixte à la couleur. »
Au fil de la série « Jacques Gipar », les lecteurs redécouvrent le pittoresque contexte des années 1950-1960, à l’aune des pérégrinations du journaliste et de son complice, Petit-Breton, un malfrat bien renseigné, potentiel conducteur de véhicules qui finissent leur trajet en plus ou moins bon état. La nationale 7 et les pinardiers, la 2 CV et la Simca Aronde, les stations-service ou les nœuds routiers parisiens (sans compter la guerre froide) donneront matière à autant d’intrigues, de décors ou de pages documentaires justifiant l’inscription de la série dans la collection Calandre des éditions Paquet, ce dernier étant notoirement spécialisé dans tout ce qui vole, roule ou flotte ! Pour l’actuel T10, les environs de Noirmoutier et le Gois seront naturellement mis à l’honneur de manière documentaire en fin d’album. S’il est difficile d’en dire plus sans dévoiler l’intrigue, avouons que celle-ci se savoure avec appétit : l’on appréciera dès lors d’autant plus le travail des auteurs en admirant les crayonnés et encrages proposés dans la version limitée (600 exemplaires en noir et blanc), même si la colorisation de Béatrice Constant apporte un charme indéniable à l’ensemble de ces 46 planches. Pour finir, une fois résolue cette affaire, rejetons-nous à l’eau sans trop nous mouiller : oui, le prochain tome est déjà en route… « Jacques Gipar », c’est décidément une affaire qui roule.
Philippe TOMBLAINE
« Une aventure de Jacques Gipar T10 : Le Trésor de Noirmoutier » par Jean-Luc Delvaux et Thierry Dubois
Éditions Paquet (14,00 €) – EAN : 978-2889322091
Version noir et blanc (25,00 €) – EAN : 978-2889322152
Parution 9 février 2022
magnifique !!
ma première voiture à nouveau à l’honneur , merci
baudouin