« Sangoma » : violences interethniques et pratiques d’un autre âge pour un détonnant thriller politique…

Caryl Férey aborde à nouveau le thème de l’apartheid en Afrique du Sud où il avait déjà situé son roman le plus célèbre (« Zulu », sombre et violente enquête adaptée avec succès au cinéma) pour sa nouvelle BD en tant que scénariste, après l’essai — passé un peu inaperçu — de « Maori » chez Ankama. L’écrivain de polars et aventurier s’est ainsi laissé embarquer par la volonté de celui qui met aujourd’hui en images, avec brio et talent, son histoire de spoliation de terres sur fond de sorcellerie : Corentin Rouge (« Milan K. », « Juarez », « Rio » et un « XIII Mystery »), dont le trait vif et cinématographique s’inscrit dans la lignée graphique des plus grands dessinateurs réalistes, de Jean Giraud à Hermann, en passant par François Boucq ou Christian Rossi.

Une vingtaine d’années après l’abolition de l’apartheid, dans la région des vignobles de la province de Cape Town, les cicatrices laissées par l’ancien régime ont du mal à se refermer : on ne peut pas effacer plus d’un demi-siècle de racisme, de disparités économiques et de haine refoulée, en seulement une ou deux générations. Comme, en plus, malgré les discussions actuelles au parlement sud-africain où s’affrontent les agitateurs politiques, le problème de redistribution des terres accaparées par les propriétaires blancs n’est toujours pas réglé, les Noirs tentent, légitimement, de réclamer ce qu’on leur a volé. 

C’est dans ce contexte explosif qu’un travailleur noir est découvert, décédé, dans l’exploitation de ses employeurs, avec des griffures sur les fesses de son corps. Un lieutenant de police plutôt trublion et cynique, aussi séducteur que tête brûlée, est chargé d’éclaircir les tenants et les aboutissants qui ont mené au drame.

D’après les premières analyses, il apprend que le cadavre avait le sida et qu’on a également retrouvé plusieurs herbes médicinales dans son sang, de celles qu’utilisent les sangomas : des shamans ou rebouteux qui pratiquent une médecine traditionnelle. 

Très vite, des conflits et des secrets familiaux se font jour, sans parler de la disparition et décès d’un bébé portant les indices d’une mutilation rituelle…

Manifestement, Corentin Rouge (1) ne s’est pas contenté de fournir de superbes et dynamiques pages (et de très belles couleurs qu’il a concoctées avec l’aide d’Alexandre Boucq, le neveu de François), il s’est aussi investi dans le scénario, apportant sa pierre – bien affûtée à la narration graphique – au découpage de la trame foisonnante créée par son complice romancier. Il en résulte un récit absolument pas manichéen et totalement sous tension, à la fluidité exemplaire. On attend d’ailleurs, avec impatience, la prochaine collaboration — une trilogie islandaise qui devrait être également aussi peu politiquement correcte —, entre ce dessinateur virtuose et cet imaginatif écrivain, lequel démontre ici une grande capacité d’adaptation au médium BD.

Gilles RATIER

(1)  Sur Corentin Rouge, voir aussi sur BDzoom.com : « Rio T1 : Dieu pour tous » par Corentin Rouge et Louise Garcia, « Juarez » par Corentin Rouge et Nathalie Sergeef, Zoom sur les meilleures ventes de BD du 9 novembre 2016…

« Sangoma : les damnés de Cape Town » par Corentin Rouge et Caryl Férey

Éditions Glénat (25 €) — EAN : 978-2-344-03420-0

Parution 3 novembre 2021

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2 réponses à « Sangoma » : violences interethniques et pratiques d’un autre âge pour un détonnant thriller politique…

  1. Dachouffe dit :

    Alexandre Boucq est le neveu et non le fils de François Boucq.

    • Gilles Ratier dit :

      Mais oui, mais c’est bien sûr ! Je le savais pourtant : j’ai dû écrire trop vite !
      Merci Philippe de m’avoir signalé cette bévue, je corrige tout de suite !
      La bise et l’amitié
      Gilles

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