Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
Lire la suite...Robert Gigi : de la bande dessinée populaire à la nouvelle BD… (1re partie)
Robert Gigi appartient à la riche génération des dessinateurs réalistes français apparus dès l’après-guerre. Dessinateur pour la presse populaire pendant un quart de siècle, contrairement à nombre de ses confrères, il parvient à éviter la marginalisation imposée à beaucoup d’entre eux par la déferlante de la nouvelle BD au cours des années 1970. Des histoires juvéniles aux scénarios désuets à la création de la sulfureuse Scarlett Dream, un grand écart parfaitement maîtrisé que nous vous invitons à découvrir.
Une vocation contrariée
Fils d’un haut fonctionnaire, Robert Gigi est né le 29 juillet 1929 à Besançon.
Sa vocation pour la peinture, une véritable obsession, est bien vite freinée par l’opposition de son père qui le pousse à effectuer des études de Lettres à Strasbourg.
À l’époque, ses connaissances en bande dessinée se limitent au Journal de Mickey qu’il lit toutes les semaines depuis le premier numéro.
En 1946, à Mayenne où son père a été nommé, l’une des secrétaires de ce dernier le met en contact avec l’agence de presse Paris Graphic qui vient de succéder à la Société de diffusion du dessin français (S.D.D.F.).
Cet heureux hasard lui permet de rencontrer l’équipe du jeune Atelier 63 : Raymond Poïvet, Paul Derambure et Francis Josse ses fondateurs, mais aussi les débutants Christian Gaty et Lucien Nortier.
Le grand Raymond Poïvet (1) prend le jeune provincial sous son aile et commence par l’envoyer à l’Académie de la Grande Chaumière pour y apprendre l’anatomie. Ce qui ne l’empêche pas de poursuivre des études « sérieuses » à la fac de Lettres et de préparer un diplôme d’Art moderne et contemporain.
C’est à cette époque que, grâce à ses nouveaux amis, il découvre les revues américaines qui publient Milton Caniff et Frank Robbins. Une sacrée claque ! Il lui faudra un peu patienter avant de pouvoir prétendre être suffisamment armé pour se lancer dans les démarches auprès des éditeurs.
Se sentant enfin prêt pour tenter l’aventure, il rejoint l’Atelier 63, dont il sera un fidèle pensionnaire jusqu’à sa disparition au début des années 1980.
Sa première commande via l’agence Paris Graphic est pour l’hebdomadaire Samedi-dimanche : une adaptation en avant-première, en bande dessinée, du film « Fabiola » avec Michel Morgan, Michel Simon et Henri Vidal. Seulement sept pages en grand format qui ne lui seront pas payées et qui sont publiées à partir du n° 33 (08/06/1948), avant la disparition du support au n° 39 (20/07/1948). Deux autres collaborations pour l’agence Paris Graphic suivent : deux récits sentimentaux réalisés au lavis pour l’hebdomadaire féminin Ève, dont « Le Bal des pêcheurs » publiés d’août à octobre 1948.
Suit l’adaptation, sous forme de 52 bandes quotidiennes avec les textes placés sous les dessins, du « Gentilhomme de la montagne » : le roman d’Alexandre Dumas. Publication en 1948 dans le quotidien L’Aurore et une reprise dans La République du Centre.
En 1949 et 1950, il collabore, sous la signature Bob Gigi, aux fascicules de récits complets des Éditions mondiales de Cino Del Duca.
Il travaille principalement pour la collection Aventuriers d’aujourd’hui, au sein de laquelle il crée le broussard Jules Saint Clair et l’aventurier Jacques Durand (scénario de Bernard Trout).
Ils sont les héros de récits complets en 12 pages, présents dans les fascicules n° 44, 52, 53, 60, 64, 66, 67, 68 et 70 publiés d’octobre 1949 à décembre 1950.
On lui doit aussi « Le Diamant noir » présenté dans le n° 5 de Super Aventure (octobre 1951).
Pour être complet en ce qui concerne son passage chez Del Duca, signalons la réalisation des couvertures des n° 9, 10, 14 et 15 de l’hebdomadaire féminin Bolero, en 1950.
La Société parisienne d’édition (SPE) : 30 années de fidélité
Célèbre dès le début du XXe siècle grâce à des illustrés comme Fillette, l’Épatant, l’Intrépide, Cri Cri… la SPE, sise rue de Dunkerque non loin de la gare du Nord, a été créée par les frères Offenstadt.
Le jeune Robert Gigi fait son entrée dans le n° 279 (22/11/1951) de Fillette (2) où il illustre une nouvelle : exercice qu’il poursuivra régulièrement jusqu’au n° 834 (12/07/1962).
Soit la participation à une centaine d’histoires signées Juliane Ossip, Georgette Paul, Philippe Mouret, Florence Marguy, Paulette Blonay, Sabine, Louis Saurel…
Dans le même domaine, il propose les illustrations d’une vingtaine de romans à suivre : d’« Alona » de Juliane Ossip (en 1954) à « Aniela » de Saint-Marcoux (en 1964), en passant par la série des « Sylvie » de René Philippe en provenance de la collection Marabout mademoiselle.
Il accède à la bande dessinée en 1955, avec la publication de « L’Étonnante Aventure de Marie-Christine », du n° 480 (29/09/1955) au n° 503 (08/03/1956).
Une histoire mêlant mystère et bons sentiments dont les 48 pages seront réunies dans un album de la Collection Jeune Fille, en 1959.
Gigi récidive avec « L’Énigmatique Madame Morgan », du n° 526 (16/08/1956) au n° 537 (01/11/1956) : récit policier lui aussi repris dans un album.
Suivent « Prends garde Sophie » écrit par Huguette Lebeau – alias Lorena – du n° 563 (02/05/1957) au n° 568 (06/06/1957), « L’Île des enfants perdus » de Sabine du n° 569(13/06/1957) au n° 577 (08/08/1957) et une adaptation des « Misérables » de Victor Hugo du n° 618 (22/05/1958) au n° 639 (16/10/1958) qui sera reprise en album dans la collection Mondial Aventure.
Viennent ensuite un superbe « Jane Eyre » d’après Charlotte Brontë du n° 652 (15/01/1959) au n° 662 (26/03/1959),
« Le Destin d’un autre » du n° 676 (02/07/1959) au n° 686 (28/08/1959),
« Le Moulin sur la Floss » du n° 738 (08/09/1960) au n° 748 (17/11/1960), enfin les adaptations par Lorena du « Roman de la momie » de Théophile Gautier du n° 706 (28/01/1960) au n° 716 (07/04/1960) – reprise dans le Journal de Bibi Fricotin en 1961 – et de « L’Atlantide » de Pierre Benoît du n° 749 (24/11/1960) au n° 759 (02/02/1961), qui elle est reprise dans Jeunesse joyeuse entre 1961 et 1962 ; sans oublier une bonne dizaine de récits complets en quatre pages.
Pour la brève nouvelle formule de Fillette — qui fait suite aux 900 numéros que compte la précédente — il propose « Au bout du monde » : une histoire de Georges Vidal totalisant 60 pages réalisées au lavis, du n° 11 (02/01/1964) au n° 25 (09/04/1964).
Toujours au sommaire de ce bref successeur de Fillette, il signe les superbes illustrations de trois romans : « Le Cheval de lune » de Frederica de Cesco, « Le Ballet d’été » de H. Wissman et « Aniela » de Saint-Marcoux.
Il dessine une trentaine de couvertures de l’hebdomadaire entre les n° 480 et 525.
Hélas, mode oblige, des photos souvent dévalorisantes remplacent peu à peu les dessins.
Après la disparition de la seconde série de Fillette en 1964 (42 numéros), puis celle de son successeur mensuel Paul et Mic en 1965 (12 numéros), la SPE. — rachetée depuis peu par Jean-Pierre Ventillard — lance un mensuel plus adapté aux jeunes filles de l’époque yéyé;
Il s’agit de 15 ans dont le premier numéro sort en novembre 1965.
Robert Gigi commence par réaliser deux récits complets : « L’Artisan du diable » dans le n° 7 (avril 1966) et « Les Fiançailles de Christian » dans le n° 9 (juin 1966). Une troisième histoire sera proposée plus tard dans le n° 50 (11/1969).
Dans le n° 24 (septembre 1967) paraît la première page des « Confidences d’une 15 ans ». Chaque mois, sur une ou deux pages, Robert Gigi met en scène la vie quotidienne d’une jolie adolescente rousse.
Les scénarios de Lorena (pseudonyme d’Huguette Lebeau) lui offrent l’occasion de camper l’une de ces jeunes filles en fleur qu’il a toujours dessinées avec un plaisir gourmand : « J’aime dessiner les femmes et les très jeunes filles et je reste fidèle à ce goût, mais les occasions ne sont pas toujours aussi nombreuses qu’on le voudrait… C’est la raison pour laquelle je dessine “Les Confidences d’une 15 ans”, pour continuer à dessiner sinon des femmes, de très jeunes filles… » confie-t-il dans le n° 18 de la revue Phénix (octobre 1971).
La série se poursuit jusqu’au n° 180 et dernier du mensuel 15 ans (septembre 1980) : les ultimes scénarios étant signés Hubert, puis Pascal Garnier.
On lui doit aussi quelques illustrations de nouvelles, quelques couvertures (n° 60, 65, 69, 70, 73…) et des publicités pour les concours Cahier Design (n° 93 et 96).
Il est également présent dans le trimestriel Fillette proposé du début des années 1950 à 1963. Il y réalise des illustrations de nouvelles et quelques histoires complètes dont les premières sont signées Bob Gigi : « Le Château des poisons » (Noël 1953), « Le Sauvage de la falaise » (rentrée 1957), « Le Cirque de la chance » (vacances 1958), « L’Examen manqué » (hiver 1963)…
Sa présence est bien plus discrète dans les illustrés de la SPE destinés aux garçons : « L’Héroïne aux papillotes » (un récit complet de Marcel Artigues) dans le n° 34 du mensuel L’Épatant (avril 1951) (3),
la reprise de « L’Atlantide » dans Pschitt Aventure-Joyeuse Lecture en 1962,
et surtout de l’adaptation inédite du « Roman de la momie » de Théophile Gautier en 1961 dans Jeunesse joyeuse,
où il présente dans un style humoristique la mise en images de « La Cagnotte » d’après Eugène Labiche (n° 2 de la nouvelle formule en décembre 1964), réédité dans le n° 50 d’un énième retour de L’Épatant en 1970.
Pschitt Aventure-Mexico Kid, mensuel publié en 1957 et 1958, propose les aventures du héros titre imaginées par Georges Vidal, signées alternativement par Christian Gaty (4), Guy Mouminoux et Robert Gigi pour la partie graphique.
Il est présent du n° 1 au n° 4 (mai 1957), puis du n° 13 au n° 16 (juin 1958).
Il s’agit d’un western classique dont les deux histoires en quatre épisodes réalisées par Gigi sont réunies dans le second album de la collection Trappeurs & Cow-boys.
À noter qu’il existe un essai non publié de ce personnage qui a été demandé à Pierre Le Goff.
Enfin, Robert Gigi présente quelques illustrations dans les éditions 1958 à 1965 de L’Almanach Vermot.
Terminons cette longue collaboration au sein de la SPE avec la publication d’« Orion le laveur de planètes » (scénario Claude Moliterni) dans les n° 2 (11/1971) à 4 des Pieds nickelés magazine qui présente aussi deux épisodes d’« Ugaki le samouraï » dans les n° 6 et 8.
En dehors de la SPE, Robert Gigi travaille parfois brièvement pour d’autres journaux au cours des années 1950…
Pour Tintin actualités, supplément gratuit glissé dans l’édition française par Dargaud de l’hebdomadaire Tintin, il présente en 1952 une adaptation en dix bandes de « Mateo Falcone » de Prosper Mérimée (n° 188 à 197), tout en illustrant « Le Tour du monde par deux enfants » : un long récit de Jacques Brénot présent du n° 188 (29/05/1952) au n° 321 (16/01/1954).
On le rencontre dans l’hebdomadaire Ima où il propose « On demande des hommes-grenouilles » : une histoire en 26 pages écrite par Jacques Chabar, du n° 78 (04/07/1957) au n° 90 (26/09/1957).
C’est ensuite la création de « Casey James » : le héros d’un western dont le scénario est signé Roger Lécureux. Un premier épisode (« Les Temps sauvages ») paraît du n° 122 (08/05/1958) au n° 134 (31/07/1958). Un second (« L’Apache blanc ») est interrompu à la page 6 du n° 156 (01/01/1959) : le dernier de cet excellent hebdomadaire publicitaire patronné par les points Ima qui étaient une copie conforme des célèbres chèques Tintin. Deux récits complets de quatre pages complètent cette modeste participation.
Toujours en 1957, il dessine « Une évasion de Churchill » et « Le Général de Gaulle » : deux récits en deux pages de la série « Ils ont vécu une grande aventure » dans Jeannot n° 6 et 10. Ce sont des scénarios didactiques non signés écrits par Jean-Michel Charlier, célèbre scénariste pour lequel Robert Gigi illustre aussi quelques bandes verticales sur des faits divers dans l’hebdomadaire légèrement déluré Paris-Flirt, en 1957.
Notre dessinateur publie également quelques autres courtes histoires pédagogiques, en une ou deux pages, dans l’hebdomadaire familial Notre époque du numéro 1 (04/03/1956) au n° 11 et dernier : « Poucette », « La Petite Sirène », « Les Coups d’épée de monsieur de la Guerche »…
À suivre, ici : Robert Gigi : de la bande dessinée populaire à la nouvelle BD… (2e et dernière partie).
Henri FILIPPINI
Relecture, corrections, rajouts, compléments d’information et mise en pages : Gilles RATIER
Merci à Gwenaël Jacquet pour son indispensable travail d’amélioration de la plupart des scans de base.
(1) Voir Raymond Poïvet (1re partie) et Raymond Poïvet (2e partie).
(2) Voir Fillette, suite et fin : 1954-1964 (première partie) et Fillette, suite et fin : 1954-1964 (deuxième partie).
(3) Voir L’Épatant d’après-guerre (1re série).
(4) Voir Christian Gaty : réaliste et efficace ! (première partie) et Christian Gaty : réaliste et efficace ! (deuxième et dernière partie).
On notera que très tôt (contrairement à d’autres confrères qui mirent des années à proposer un dessin solide) Gigi a fait preuve d’un dessin extrêmement maîtrisé !
Par ailleurs, merci beaucoup M. Filippini pour tous ces articles dont vous m’avez régalé depuis quarante ans (découvert dans Circus).
bonjour ,
excellente bio de l’un des auteurs les plus talentueux , pour moi de la bd ;
vivement la deuxième partie ;
Je possède une planche originale de GIGI représentant : Moitié hte, 2 chevaliers en armures l’1 poursuivant l’autre après tournoi avec texte: « Autrefois nous nous livrions à des duels entre chevaux, nous mettions au-dessus de nous des petits hommes qui faisaient tout le travail » puis au crayon « Une visite dans n’importe quel musée de l’armée vous démontrera que d’après leurs armures, les chevaliers devaient être de petite taille » & moitié basse, 3 jockeys en course avec texte: « Aujourd’hui nous ne nous lançons plus que des défis pacifiques un peu trop régulièrement à notre goût! ». L’interlocuteur est certainement un cheval mais je ne sais pas pour quelle oeuvre cette page a été exécutée & à quelle date? Qui pourrait me renseigner? MERCI!