Guerre froide, extrême droite, Jihad : quand Glénat plonge dans les « Affaire(s) d’État »…

Éditeur plus que rompu aux séries conceptuelles, Glénat lance ce mois-ci trois cycles parallèles et indépendants autour du thème des affaires d’État : « Guerre froide » (pour les années 1960 ; dessin de Régis Penet), « Extrême droite » (années 1970 ; dessin par Pierre Wachs) et « Jihad » (années 1980 ; dessin d’Alfio Buscaglia). Autant de polars historiques et de récits d’espionnages haletants, tous scénarisés par le talentueux Philippe Richelle et librement inspirés par les événements qui ont ébranlé la France durant trois décennies…

« Affaires d’État - Guerre froide T1 : Passage à l’ouest » (pages 4 et 5 - Glénat, 2021) : la chasse aux espions est ouverte...

Que ce soit chez Glénat (avec « Les Mystères de la Troisième/Quatrième/Cinquième République » (2013 à 2017) et « Algérie, une guerre française » en 2019-2020), chez Casterman (avec le récent « Voltaire, le culte de l’ironie » en 2019, « Les Coulisses du pouvoir » (1999 à 2008) et « Amours fragiles » depuis 2001) ou chez Rue de Sèvres (avec « Mitterrand : un jeune homme de droite » en 2015), le Liégeois Philippe Richelle n’a eu de cesse de creuser dans son œuvre le sillon des turpitudes, secrets, rivalités, coalitions, conflits et stratagèmes tissés entre hommes de pouvoir et hommes de l’ombre. Mariant le plus souvent la fiction et la réalité pour mieux décrire les véritables affaires ou les authentiques scandales qui ont pu émailler la scène politique depuis 1870, le scénariste (né en 1964) poursuit donc sur sa lancée avec cette trilogie de cycles siglés comme autant d’« Affaires d’État » et qui seront tous composés de quatre tomes.

Rappelé récemment par l’affaire Benalla ou le procès de l’affaire Karachi, le concept d’affaire d’État englobe des cas judicaires et politiques impliquant généralement le plus haut sommet des institutions, avec l’idée de protéger un certain pouvoir (la fameuse raison d’État). Simple scandale, histoire de mœurs, conflit social ou crise politico-financière peuvent tous devenir une affaire d’État, pour peu que leurs suites enflamment le débat public, les médias et la scène politique nationale ou internationale (voir l’affaire Dreyfus ou le scandale du Watergate). Passionné par les coulisses du pouvoir, Philippe Richelle explique :« La politique me passionne […] : rivalités entre personnes et entre partis, ambitions personnelles, débats d’idées, difficultés d’agir sur réel dans le court terme… Et puis, il y a la face moins reluisante : électoralisme, corruption, financements occultes, liaisons dangereuses, assassinats…[…] Avec un sujet comme « Affaires d’état », coller strictement à la réalité des faits n’aurait simplement pas de sens puisque la plupart de ces affaires ne sont pas élucidées. […] Je pars donc d’une réalité parcellaire (un meurtre, par exemple) et j’imagine des développements et un épilogue crédibles, à défaut de constituer LA vérité. »

Dans « Guerre froide T1 : Passage à l’ouest », l’action débute en 1962 lorsque un agent du KGB se réfugie à l’ambassade des États-Unis en Finlande. Trifanov a des révélations à faire concernant la France, dont le service d’espionnage et le siège de l’OTAN seraient tous deux truffés de taupes… Chargé du dossier, l’agent Fred Ogier va devoir démêler les nœuds de cette mission de contre-espionnage. Dessiné par Régis Penet (voir notre article consacré à son récent « À hauteur d’homme »), l’album est à suivre avec la tonalité toujours tortueuse de ce style de récit. L’auteur explique : « C’est un travail intéressant à aborder, pour moi, à deux titres principalement. D’une part parce que, faisant très peu de projets dits de commandes (c’est à dire issus d’une proposition de l’éditeur autour d’un projet déjà conçu et en bonne partie écrit), je trouve l’exercice stimulant. Il y a une sorte de challenge induit par un cahier des charges, avec des contraintes qu’on ne s’imposerait pas et dont on découvre l’intérêt au fil du travail, sur lesquelles on peut s’appuyer pour tester ses possibilités, ses limites. Je me suis par exemple interdit, encore plus qu’on ne me le demandait, l’absence de hachure ainsi que de variation dans l’encrage. Je me suis astreint à ne pas hiérarchiser ce que je montre, personnages ou décors, avec une plus grande égalité de traitement et de trait que de coutume. Cela renforce l’impression d’homogénéité que doit avoir d’un bout à l’autre la série. Couverture comprise ! Pour cette dernière, c’est un travail d’aller-retour avec le maquettiste et c’est la maquette, qui concerne évidemment l’ensemble des albums, qui finit par donner le cadre de l’illustration. »

« D’autre part parce que le visuel qu’induit le scénario et l’époque à laquelle il se déroule m’a plut. J’aime beaucoup l’esthétique du début des années soixante et je suis content d’avoir été comme forcé de l’aborder ! Là encore il s’agit de contraintes fructueuses puisque le découpage écrit de Philippe ne permet pas toujours (pas souvent en fait !) des « trucs » pour contourner les difficultés ; à savoir pour moi par exemple : dessiner des voitures ou des avions, qu’il soit vu de l’intérieur ou de l’extérieur…Pour terminer, je dirais que le point commun entre ce projet et d’ autres, c’est la pertinence que j’essaye d’apporter au story-board, à la mise en scène qui est vraiment pour moi et de plus en plus l’étape clef d’un album. Si un champ-contrechamp est bien réglé et qu’un changement de plan est bien amené, non seulement ils servent le scénario mais ils supportent aussi plus facilement les erreurs de dessins. »

« Affaires d’État – Extrême droite T1 : Un homme encombrant » (couverture et pages 4-5 ; Glénat, 2021) : le pari (risqué) des extrêmes...

Pour « Affaires d’État – Extrême droite T1 : Un homme encombrant », c’est Pierre Wachs (« Les Guerriers de Dieu » et « Les Mystères de la Troisième République ») que l’on retrouve au dessin d’une intrigue voyant une équipe de la Police Judiciaire composer avec un dossier mêlant les indépendantistes basques, des commandos franquistes et la droite extrême française des années 1970. La PJ devra notamment comprendre qui a abattu en 1978 Francis Dupré, historien, financeur et théoricien du PN (Parti National) dirigé par Jean-Maurice Le Guen.

Affaires d’État - Jihad T1 : Secret défense » par Alfio Buscaglia et Philippe Richelle (couverture et planches 2-3 ; Glénat, 2021) : la jauge du danger.

Enfin, dans « Affaires d’État – Jihad T1 : Secret défense », c’est le dessinateur italien Alfio Buscaglia (« Algérie, une affaire française ») qui entame en 1985 une enquête de la DST sur les traces d’un trafic d’armes à destination du Moyen-Orient. Les inspecteurs Mallet et Crémieux seront confrontés aux premières manifestations islamiques sur le territoire métropolitain, dans un scénario qui – à l’instar des autres « Affaires d’État » – garde une part de ses mystères pour les trois épisodes suivants. À suivre, donc, dans les sourdes arcanes de notre histoire contemporaine…

Philippe TOMBLAINE

« Affaires d’État – Guerre froide T1 : Passage à l’ouest » par Régis Penet et Philippe Richelle
Éditions Glénat (14,50 €) – EAN : 978-2344038215

« Affaires d’État – Extrême droite T1 : Un homme encombrant » par Pierre Wachs et Philippe Richelle
Éditions Glénat (14,50 €) – EAN : 978-2344038208

« Affaires d’État – Jihad T1 : Secret défense » par Alfio Buscaglia et Philippe Richelle
Éditions Glénat (14,50 €) – EAN : 978-2344038222

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