Dans le cinquième volume de ses aventures, « Le Grimoire d’Elfie T5 : Les Reflets de Walpurgis », la jeune Elfie découvre le marais poitevin (entre La Rochelle et Niort) et des festivités réservées aux magiciens et sorcières depuis le temps de la mystérieuse fée Mélusine. Une nouvelle enquête pour la jeune adolescente, avec l’apport non négligeable de son grimoire magique, à l’issue de laquelle elle en aura appris beaucoup sur les dangers contemporains qui guettent cette zone humide remarquable et sa propre famille.
Lire la suite...« L’Homme qui tua Chris Kyle » : Nury et Brüno dans la ligne de mire…
Les États-Unis ont leurs mythes et leurs héros, volontiers armés et prompts à défendre la bannière étoilée. Et puis vint le cas Chris Kyle, le sniper le plus redoutable de l’armée américaine avec 160 ennemis tués confirmés, qui avait toutefois raccroché son fusil d’élite en 2009. En 2013, la « Légende » est subitement tuée au Texas par l’un de ses compatriotes sur un stand de tir… Adapté au cinéma en 2015 par Clint Eastwood dans « American Sniper » (avec Bradley Cooper dans le rôle titre), le récit de ces exploits guerriers n’est pas sans ambiguïtés ni équivoques. Derrière la violence et le patriotisme, Nury et Brüno évoquent à leur tour l’humain mais aussi l’hybris et les dérives d’une société saturée d’angoisses et de désinformations.
Avec « Il était une fois en France » (2007 à 2012 ; dessin par Sylvain Vallée), « Katanga » (2017 à 2019 ; dessin par Vallée) ou « Charlotte impératrice » (2018 ; dessin par Matthieu Bonhomme), Fabien Nury nous raconte avec une certaine noirceur le télescopage entre des destins tragiques et les soubresauts de la grande Histoire. Entreprise avec Brüno, la série « Tyler Cross » (depuis 2013) nous plongeait également dans une relecture amère et cynique des mythologies américaines (voir notre article). Avec le présent album, les auteurs s’attaquent pour la première fois à l’époque contemporaine et au registre documentaire, en interrogeant la notion d’héroïsme dans une société américaine devenue plus schizophrène que jamais.
Qui est Chris Kyle ? Né au Texas en 1974, le garçon se voit offrir à sept ans sa première arme, un fusil à verrou Springfield. Rêvant un temps de faire des rodéos en tant que cow-boy professionnel, il s’engage finalement en 1999 dans l’US Navy. Après les attentats de septembre 2001, il intègre les forces spéciales de la marine de guerre (les célèbres US Navy SEALs) et participe à la guerre d’Irak (seconde guerre du Golfe) entre 2003 et 2008. Forgeant sa légende en tuant des dizaines d’ennemis (dont un à une distance de deux kilomètres en 2008 !), Kyle est surnommé le Diable de Ramadi par les insurgés irakiens qui mettront sa tête à prix pour 80 000 dollars. De retour au pays en 2009, Kyle quitte l’armée et se réinstalle au Texas avec femme et enfants, tout en créant une entreprise de sécurité privée (Craft International) et en aidant les vétérans à reprendre pied. Publiées en 2012, ses mémoires seront traduites en français sous le titre ronflant de « American Sniper, l’autobiographie du sniper le plus redoutable de l’histoire militaire américaine ». Comble du comble, Kyle sera donc brutalement abattu en février 2013, en un lieu plus que symbolique (un stand de tir), par l’un de ceux qu’il cherchait à aider : Eddie Ray Routh, un ancien Marine de 25 ans souffrant de trouble de stress post-traumatique à la suite de sa période de service dans l’armée. Routh sera condamné à la prison à perpétuité en février 20015, un mois à peine après la sortie du film « American Sniper » sur les écrans, essentiellement pour avoir tué un homme estimé tel un héros national.
En couverture, inspiré par l’affiche d’« American Sniper », Brüno illustre le profil de Chris Kyle, tourné vers un côté soulignant les écueils et les difficultés, sous les ombrages patriotiques du Stars and Stripes. Inclinée et déchirée, cette image colorée et volontiers iconique de l’Amérique bascule dans la noirceur avec l’arrivée d’un inconnu doublement armé, menace inévitable et même létale si l’on rapproche les éléments visuels d’un titre qui vient préciser les faits. Quelque part entre « L’Homme qui tua Liberty Valence » (John Ford, 1962 ; « On est dans l’Ouest, ici. Quand la légende dépasse la réalité, alors on publie la légende ») et « L’Assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford » (Andrew Dominik, 2007), le jeu référentiel vient s’immiscer chez le lecteur – voyeur – spectateur. Au-delà de l’image traditionnelle du cow-boy et du soldat, l’un comme l’autre ayant souvent été transformé en ange exterminateur chargé de venger la veuve et l’orphelin, voire d’éradiquer une menace latente pour l’Amérique à l’autre bout du monde, voyons que tout le scénario questionne les réalités d’un monde où le droit de posséder une arme est sacré, inscrit dans la Constitution et défendu bec et ongles par la puissante NRA (National Rifle Association ; 6 millions de membres en 2018) en dépit des fréquentes tueries de masse (23 morts dans la ville texane d’El Paso en août 2019). Entre discours et imagerie laconique, récits des « exploits » guerriers et séquences domestiques, la relecture politique de la vie de Chris Kyle devient plus ambivalente. Le contrepoint critique intervient du reste à tous les niveaux : de Kyle préférant voir – devant les caméras d’Eastwood – Bradley Cooper jouer son rôle plutôt que Matt Damon (qualifié de « traître gauchiste ») à l’ex-marine avouant lors d’une interview télévisée que « la guerre, c’est l’enfer », inversement aux fantasmes hollywoodiens.
De fait, comme souvent dans les albums de Nury et Brüno, la violence dévore volontiers sa propre image âprement séductrice : les premières planches alterneront ainsi les cadavres laissés en territoire ennemi et les rêves illusoires de retrouver un foyer serein, le bilan humain du héros et sa déchéance psychologique (un cocktail d’insomnies, de cauchemars, d’alcoolisme et de bagarres), la sincérité de Kyle à aider les vétérans et l’inhumanité dont est victime (directement ou indirectement) son futur meurtrier Eddie Ray Routh. C’est du reste le visage de ce dernier qui envahit l’espace devant le drapeau américain, sur le visuel de la version noir et blanc de l’album (édition limitée à 4 000 exemplaires). Plus loin, l’on ne pourra s’empêcher de trouver quelques échos communs avec « Walking Dead », saga où est semblablement évoqué et dénoncé le sort réservé à l’entreprise de violence individuelle ou communautaire. Lors des funérailles de Kyle, avec Marines en apparat, bannières étoilées omniprésentes, salves d’honneur et milliers de spectateurs, une certaine émotion accompagne les gestes et paroles de Taya, veuve du héros assassiné. Pourtant, le ver est déjà dans le fruit : c’est bien la violence américaine qui s’est retournée contre elle-même, son hybris et ses dérives ayant conduit à la folie et au carnage, en éloignant de fait toute sympathie pour le personnage central, transformé en rouleau compresseur impérialiste lancé au service d’une démocratie par les médias. Taya versera pour sa part dans l’absence d’autocritique et le mercantilisme en faisant fortune avec une légende éteinte. Dans le dossier qui accompagne l’album, Fabien Nury enfonce un peu plus avant le clou : « Chaque mythologie peut s’avérer nocive si elle n’est pas remise en question. […] Elle devient réactionnaire puisqu’elle propose toujours de vieilles solutions à de nouveaux problèmes. » Exploitant au mieux les sigles, logos, publicités, affiches, statues et symboles qui ont environné le parcours de Kyle, Brüno intègre également les textes au dessin, en variant les points de vue et la focalisation. Réactionnaire, sur bien des points, puisque mettant en scène des personnages qui expriment leurs valeurs et idéaux sans dialoguer véritablement entre eux, à la manière de ces commentaires médiatiques qui continuent de colporter autant de vérités que de fake news. Malins, Nury et Brüno réussissent fort heureusement à réimprimer la vérité sur la légende : « Le bonheur de chaque personne est de sa propre responsabilité. » (Abraham Lincoln).
Philippe TOMBLAINE
« L’Homme qui tua Chris Kyle » par Brüno et Fabien Nury
Éditions Dargaud (22,50 €) – EAN : 978-2205084672
Version limitée en noir et blanc (27,00 €) – EAN : 978-2205086607
Ah, les États-Unis. Un pays constamment en guerre depuis 175 ans et qui n’a pourtant que 244 années d’existence.
Petite liste exhaustive ici:
https://blogs.mediapart.fr/jocegaly/blog/130815/les-usa-et-le-monde-paix-ou-terrorisme
Après cela, ils s’étonnent d’être détestés.
Cela me rappelle la dernière réplique de la Bande dessinée « L’homme des Pyramides » de Enric Sió (1979) qui m’est encore gravée:
« Oh, oui! Vraiment un grand pays! Dommage que les Américains y habitent… »
La liste du lien ne démarre que depuis 1945 . Alors que tu parles d’une période de 175 ans : doit-on comprendre que tu regrettes l’action des USA en 1944/45 ?
Bonjour Patydoc,
Si tu descends beaucoup plus bas dans le lien tu trouveras une autre liste de conflits qui a pour titre:
« Chronologie année par année des guerres majeures dans lesquelles les Etats-Unis ont été impliqués (1776-2011) ».
Concernant 1944/45, voici une déclaration de Harry S. Truman, alors sénateur du Missouri, datant du 24 juin 1941 et tirée du New york Times:
“If we see that Germany is winning we ought to help Russia and if Russia is winning we ought to help Germany, and that way let them kill as many as possible, although I don’t want to see Hitler victorious under any circumstances.”
Traduction:
« Si nous voyons que l’Allemagne gagne, nous devons aider la Russie et si la Russie gagne, nous devons aider l’Allemagne, et de cette façon, laissons-les s’entretuer autant que possible, même si je ne veux en aucun cas voir Hitler victorieux ».
Maintenant à la lumière de cette citation, je vais te donner mon opinion concernant l’intervention (tardive) des USA en 1944/45:
Les Américains sont intervenus non pas pour sauver l’Europe du nazisme mais pour sauver l’Allemagne du communisme.
Amitiés.
p.s: Le 24 juin 1941 soit 2 jours après le déclenchement de l’opération Barbarossa.
Pas seulement l’Allemagne, mais toute l’Europe. La grande crainte de l’Oncle Sam était que les autres pays basculent dans le communisme.
Bien faire la distinction cependant entre le peuple et les gouvernants. Le peuple américain dans son ensemble est loin de partager systématiquement les décisions de ses « élites » !!