Ramón Monzón, un talent oublié… (deuxième et dernière partie)

Suite et fin d’un dossier conséquent que notre collaborateur Henri Filippini consacre à un auteur remarquable (1), surtout connu pour sa série aussi absurde qu’onirique « Cha’Pa et Group-Group » publiée dans les pages de l’hebdomadaire Vaillant. Alors que la microédition s’intéresse enfin à lui (chez Regards et à l’ABDL), retour sur une carrière manquée, et beaucoup de regrets !

L’exil et l’oubli

Dessin original de Ramón Monzón pour Amis-Coop, en 1979.

Successeur du Coopérateur scolaire, un modeste bulletin lancé en 1922 par un enseignant vosgien, devenu Copain Coop jusqu’en 1939 et de L’Écolier limousin créé en 1938, qui se transforme en L’Ami Coop en 1956 sous l’impulsion d’Hippolyte Charlot, Amis Coop devient le journal de l’O.C.C.E (association d’enseignants) en 1957, lorsque sort son premier numéro.

333 numéros seront publiés au cours des neuf mois d’activités scolaires, jusqu’à sa disparition en mars 1990.

Tout au long de sa publication Amis-Coop ouvrira ses pages à une solide équipe de dessinateurs, Julio Ribera, André Gaudelette, Louis Cance, Jen Trubert, Daniel Massard, Joëlle Savey, Jordom, Juan Bautista de Miguel Muñoz, Antonio Parras, Pierre Le Goff, Jean Mahaux, Henry Blanc, Jean-Paul Dethorey, Philippe Luguy (2), François Dimberton, Pierre-Yves Gabrion, Olivier Berlion, Gilbert Bouchard, Philippe Coudray…

Jeux illustrés par Ramón Monzón, dans Amis-Coop (en 1965).

Ramón Monzón y publie ses premières histoires dès le n° 50 (janvier 1963). Il y anime les aventures tragicomiques de Gil et Nica : un jeune écolier distrait et gaffeur et de sa copine à la tignasse blonde. Une série qui rappelle « Manolita » de Bernadette.

Sur scénario d’Algé, alias Alain-Germain Laubry, secrétaire de rédaction puis rédacteur en chef adjoint du journal jusqu’à sa disparition, il retrouve l’univers de l’Ouest américain en 1815 avec « Dick Pocket ». Apparu dans le n° 72 (mai 1965), flanqué de son serviteur Joseph, Dick Pocket est un trappeur vraiment pas comme les autres, dont la carrière prend fin dans le n° 91 d’Amis-Coop.

Il est remplacé dans le n° 94 (décembre 1967) par « Tête de linotte » où un petit Indien facétieux est le héros de gags en stripsou demi-planches.

« Tête de linotte ».

C’est encore avec Algé qu’il crée « Gidouille » dans le n° 103 (décembre 1968). Gidouille, qui vit au Moyen Âge à Fouilly-la-Tour auprès de sa femme et de ses deux enfants, affronte avec malice le sinistre sire de Trognesac. Monzón propose des pages pleines de poésie et de chaleur humaine riches en décors soignés.

C’est à la même époque qu’il démarre la mise en images de contes en provenance des quatre coins de la planète (Chine, Corée, Russie, Tibet, Provence…) seul ou avec la collaboration d’Algé pour l’adaptation. Une trentaine de récits que l’on peut considérer comme ses meilleures créations au cours de ces années landaises. De pures merveilles !

Jeux illustrés par Ramón Monzón, dans Amis-Coop.

Outre les bandes dessinées (dont une compilation titrée « Il était une fois » et scénarisée par Algé a été proposée à seulement cinquante-et-un exemplaires par l’association Regards, en 2007),

Illustration de rubrique par Ramón Monzón, dans Amis-Coop (en 1965).

Ramón Monzón livre à Amis-Coop de nombreuses pages de jeux richement illustrées, des animations, des illustrations… jusqu’à la fin de l’année 1983.

Près de quinze années de collaboration fructueuse qui ont permis au dessinateur de travailler sereinement et avec une couverture sociale : ce qui n’était pas toujours le cas pour ses confrères.

Francs Jeux, bimensuel créé en juin 1946 par la Ligue de l’enseignement, dans un premier temps timide en ce qui concerne la bande dessinée, ouvre peu à peu ses pages aux dessinateurs après la création de la page de « Monsieur Toudou » par Jean Cézard.

Il faut attendre le n° 448 (15 avril 1965) pour voir arriver « Add et Lahide » : deux enfants facétieux héros de gags en une planche imaginés par son ami Algé. Un travail soigné qui permet à Monzón de poursuivre dans le registre de la série familiale déjà abordé avec « Manolita » et « Gil et Nica ».

Ces personnages appréciés par les jeunes lecteurs qui feront l’objet de nombreuses couvertures (aux n° 449, 469, 473, 478, 485, 489, 494, 504, 507, 513, 526, 534) jusqu’à leur disparition brutale dans le n° 604 (15 juin 1972), après la publication de 156 gags.

Ceux qui apprécient le Monzón novateur retiendront surtout de cette collaboration à Francs Jeux les 16 planches de « La Nuit des champignons » : histoire à suivre proposée du n° 534 au n° 541, en 1969.

Présenté à la une du journal comme un nouveau personnage, le Quicifrotsipic, étrange animal en voie d’extinction de la famille des quicifrot-sipicacés, ne vivra que le temps de ce court récit dont le scénario est écrit lui aussi par Algé.

Une fois encore les Indiens des hauts plateaux mexicains évoluent dans cette histoire jugée trop novatrice par la rédaction de Francs Jeux pour en proposer de nouveaux épisodes.

Au cours de ces sept années de collaboration au bimensuel scolaire, Monzón a également livré des jeux et illustré la rubrique « Le Tour du monde », toujours avec Algé.

Après avoir publié l’hebdomadaire de grand format Zorro et ses avatars (L’Invincible), la S.F.P.I. (Société française de presse illustrée) dirigée par Jean Chapelle s’est, peu à peu, tournée vers les journaux de format de poche. C’est afin de respecter les règles de plus en plus strictes avec le pourcentage de création française que Jean Chapelle fait appel à quelques dessinateurs pour compléter les sommaires de ses magazines où dominent les séries étrangères. Une chance pour Ramón Monzón qui, dès 1968, y trouve financièrement son compte, d’autant plus qu’on lui fiche une paix royale. Bien que peu payé, il propose des planches de qualité qui, aujourd’hui, encore font rêver.

« Jim Jess ».

Jim Jess, le cow-boy d’acier que rien ne décourage, en impose, malgré sa petite taille, aux bandits de tous poils qui hantent la région d’Abilène.

Une parodie de western réjouissante, écrite et dessinée par Monzón, puis avec le concours de Jean-Marie Nadaud, Jérina, Olivier et Kalkus (Mandryka) (3). « Jim Jess » commence dans Bidule en 1968, puis vit ses derniers exploits en 1970 dans Tartine et Tartinet.

Pat-Patric évolue lui aussi dans l’Ouest américain où il exerce le redoutable métier de chasseur de primes. Ses quelques aventures, dont certains épisodes sont écrits par le mystérieux Mor-Can, sont publiées en 1968 dans les magazines Tartine, Tartinet et Zorro géant.

O’Rok est un héros de l’âge de pierre qui évolue dans la région d’Amakadham auprès de personnages hauts en couleur. Une longue série de récits complets (près de 150) à l’humour décapant écrits par Jean-Marie Nadaud, Chéraqui, Hébert, Capelle, Jérina et Monzón. « O’Rok » a été publié par les poches Alamo, Tartine et Tartinet, de 1968 à 1980.

Savant farfelu à la barbe blanche, le professeur Fédongaf se livre à ses lamentables expériences dans son vieux château délabré en compagnie du fantôme Jules et du perroquet Antoine. Ses exploits explosifs débutent dans Mik et Mac en 1970, puis se poursuivent dans Cap’tain Popeye jusqu’en 1979. Cette série qui compte près de cent cinquante épisodes est écrite par Jérina, Chéraqui, Hébert et Monzón.

Vieux trappeur facétieux à la longue barbe blanche au temps de la ruée vers l’or, « Trap-Trappeur » voit le jour dans Signe de piste, en 1969. Il prospecte et explore le Grand Nord canadien imaginé par Monzón avec le concours au scénario de Nadaud et Jérina. Ses exploits se poursuivent dans Troto, puis Kiko et enfin Félix le chat jusqu’en 1980.

Il faut ajouter, à ces créations de longue haleine, les gags de « Fausto le magicien gaffeur » écrits et dessinés par Monzón, publiés de 1968 à 1970 dans Bidule, Zorry Kid, Mike et Mac et Cap’tain Popeye, réédité dans Zorro géant. Enfin, en 1970, « Les Galatiens » (amorce d’une saga de science-fiction imaginée par Jean-Marie Nadaud) est publiée dans les premiers numéros de Mike Mac et Cie.

Malgré le petit format, le papier médiocre, une programmation hasardeuse, un maigre salaire, Ramón Monzón n’a jamais bâclé ces travaux alimentaires qui, aujourd’hui encore, tiennent la route.

Triste fin

Les années 1980 marquent le début d’une période noire pour le dessinateur qui voit disparaître ses principales sources de revenus. Jean-Paul Tibéri (alias Janoti), rencontré en août 1977 pour le fanzine Haga (aux n° 35 et 54) qu’il anime, lui apporte une lueur d’espoir.

Conquis par la chaleur humaine et le talent injustement oublié du dessinateur, il lui propose de travailler sur un personnage né de son imagination : Bouzouk.

Un premier épisode complet de six pages est publié dans le n° 67 de Pistil en 1979 (4).

Hélas, l’hebdomadaire animé par Jean-Clément Bismuth cesse de paraître quelques semaines plus tard.

Un album, « Bouzouk le petit prince » est publié dans l’indifférence en 1983 aux éditions Michel Fontaine sises à Poitiers (il sera réédité par l’association Regards de Tibéri en 2011, à une cinquantaine d’exemplaires). À noter que le personnage sera aussi utilisé, en 1987, pour illustrer « Je réfléchis et je m’exprime » : un livre scolaire publié par la librairie Istra.

Infatigable, Jean-Paul Tibéri parvient à lui placer un nouvel album en 1984 aux éditions Loubatières : « Les Contes du Languedoc », dont il existe une version en occitan.

« Les Contes du Languedoc ».

Pour ma part, grand admirateur du travail de Monzón, je me fais plaisir en lui proposant de collaborer au mensuel Gomme dont je suis le rédacteur en chef (5).

Je demande à un autre inconditionnel de son œuvre, François Corteggiani d’en écrire le scénario.

« Testar le robot » est publié dans le magazine en 1982 (n° 9 à 13), mais une fois encore, le succès n’est pas au rendez-vous.

L’album ne sera pas édité par Glénat, il faudra attendre 2007 pour en savourer l’édition chez Regards : la structure animée par Jean-Paul Tibéri.

Définitivement déçu par ces échecs successifs, Ramón Monzón abandonne la bande dessinée pour se consacrer à la peinture abstraite, tout en se livrant à quelques activités alimentaires, dont la décoration sur porcelaine.

Planche originale d'un extrait de l'« Histoire thermale de Dax ».

À la demande de Jacky Goupil éditeur, il participe toutefois au collectif parodique « Rocky Luke : Banlieue West » en croquant avec talent l’homme qui tire plus vite que son ombre le temps d’une seule planche, en 1985.

L’ouvrage sera réédité chez Vents d’Ouest en 1988 et en livre de poche chez J’ai lu en 1991.

On lui doit aussi une « Histoire thermale de Dax » : un album réalisé à la gloire de cette ville gasconne pour la banque Pelletier et cie, en 1988. D’après Tibéri : « La banque a simplement accordé un prêt à l’auteur, prêt soumis à remboursement et à intérêts. Ce que n’avait pas compris le dessinateur plus préoccupé par la création que par les questions d’argent. De surcroît, la banque ne s’occupe pas de la commercialisation de l’ouvrage. Et là où l’auteur croyait tirer quelque bénéfice, il se retrouve endetté ! » 

En 1991, les éditions tourangelles Week-End doux, qui comptent dans leur rang des admirateurs nostalgiques de son travail, parviennent à lui faire reprendre plumes et pinceaux afin de réaliser l’album « C’est pas sorcier » scénarisé par Laurent Joffrain et Péhel, de son vrai nom Philippe Larbier (l’auteur des « Petits Mythos »). Un modeste ouvrage est réalisé avec amour, comme seuls savent le faire les passionnés. Au tirage hélas très limité.

Passionné de préhistoire, Monzón recherchait inlassablement des silex, pratiquait aussi la sculpture, la peinture, la fabrication de masques, mais aussi la cueillette des champignons dans les forêts landaises. Humain, chaleureux, fidèle en amitié, timide, Ramón Monzón est peut-être arrivé trop tôt au sein d’une profession où l’originalité était encore considérée avec méfiance. Il nous a quittés avec la même discrétion le 7 mars 1996.

« C’est pas sorcier ».

Si l’édition traditionnelle continue à ignorer l’œuvre de Ramón Monzón, la microédition permet enfin aux inconditionnels de retrouver quelques-uns de ses travaux. Les éditions ABDL (4, rue Vignes de fer, 87000 Limoges), associés à Regards (Tibéri toujours !), viennent de réunir dans deux charmants albums quelques récits publiés par Amis-Coop : « Le Secret du Romieu et autres histoires » et « Le Trésor des 3 frères et autres histoires » (49 euros les deux volumes port compris).

Les éditions Regards, quant à elles, rééditent les deux premières aventures de « Cha’Pa et Group-Group » qui marquent les véritables débuts de Monzón en France (72 pages en couleurs, 32 euros, Esperausse, 81260 Brassac).

Henri FILIPPINI

Compléments bibliographiques, relecture et mise en pages : Gilles Ratier

Pour en savoir plus sur Ramón Monzón, consulter Haga n° 35 et n° 54, BD Scope n° 3, Hop ! n° 5/6, n° 70 et n° 107 ou « Ramon Monzón » par Jean-Paul Tibéri aux éditions Le Taupinambour/Regards en 2016.

(1) Voir la première partie du dossier ici : Ramón Monzón, un talent oublié… (première partie).

(2) Voir Interview de Philippe Luguy et Philippe Luguy.

(3) Voir Le Concombre masqué.

(4) Voir Pistil : la revue des jeunes et de la nature… (deuxième et dernière partie).

(5) Voir Gomme : éphémère mensuel….

Galerie

3 réponses à Ramón Monzón, un talent oublié… (deuxième et dernière partie)

  1. Cher Henri, merci pour cet article qui rend hommage à un dessinateur aussi grand par le talent que par le coeur. J’ai eu la chance de le rencontrer et de « travailler » avec lui, je veux dire de le regarder dessiner. J’ai écrit sous mon pseudonyme de l’époque; Péhel ( à l’époque d’ailleurs où nous nous sommes connu et que vous m’avez donné ma chance dans ce métier) avec Ludovic Joffrain (qui nous a quitté depuis) la dernière histoire qu’il a illustré. Je n’oublierai jamais le coup de fil qu’il m’ a envoyé alors qu’il terminait la dernière page de sa carrière.
    Vraiment, j’aurais souvent eu l’occasion de vous remercier, Henri ;)

  2. Marcel dit :

    Encore un bon article très complet.
    Je me permet une information complémentaire : l’aventure de Testar le robot publiée dans Gomme a donné lieu à un album aux éditions Fleurus en 1987, mais entièrement redessinée par Bercovici. Mais le scénario est le même. Pourquoi Fleurus n’a pas imprimé la version de Monzon ?… Peut-être parce qu’un tome 2 était déjà prévu, et qu’il fallait une unité graphique ?…

    • Bonjour Marcel !
      Après publication dans Gomme, l’édition d’un album a été abandonnée par les éditions Glénat étant donné qu’il n’y aurait pas de suite avec la disparition du journal. De plus, si je me suis fait un grand plaisir en publiant Monzon, beaucoup on peu apprécié cette histoire. François Corteggiani, avec mon accord, a cherché un éditeur. Fleurus, alors à la recherche de matériel pour son nouveau catalogue BD, aimait l’histoire, mais trouvait le dessin de Monzon vieillot. D’où cette reprise par Bercovicci, l’homme qui dessine bien plus vite que son crayon. Ce fut un échec et Testar est llé rejoindre les héros disparus…
      Bien cordialement
      Henri Filippini

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