« La Nuit des morts-vivants T1 : Les Fautes du père » par Elia Bonetti, Ronan Toulhoat et Jean-Luc Istin

Sorti sur les écrans américains le 1er octobre 1968, « La Nuit des morts-vivants » de George Romero reste encore à ce jour l’un des plus grands classiques du genre horrifique. Production indépendante et engagée à succès, le film allait générer au fil des décennies un grand nombre de suites (cinq films signés Romero, de 1978 à 2009), remakes et citations. S’étant jusqu’ici un peu plus tenue à l’écart, la bande dessinée franchit le pas avec cette adaptation signée par Jean-Luc Istin (« World war wolves », Soleil Prod.) et illustrée par Elia Bonetti (« L’Ordre des dragons » et « Dogma », Soleil Prod.). Le sort du genre humain ne tient plus qu’à un fil, alors qu’une étrange contamination ramène tous les morts à la vie…

Véritable phénomène culturel du moment, les zombies envahissent romans, films, séries tv et jeux vidéo : nous avions déjà évoqué cette invasion dans la rubrique « L’Art de… » en décembre 2013, à l’occasion de la parution du tome 3 de « Zombies » (cf. article : http://bdzoom.com/69306/lart-de/%C2%AB-zombies-t3-precis-de-decomposition-%C2%BB-par-sophian-cholet-et-olivier-peru/), album paru au sein de la collection Anticipation… précisément pilotée par Jean-Luc Istin aux éditions Soleil. Initialement développée chez 12 Bis et dorénavant prévue en 3 albums chez Vents d’Ouest, l’actuelle série « La Nuit des morts-vivants » décline un scénario attendu des fans de l’œuvre filmique originelle, avec toutefois de légères variantes : le jour d’Halloween, Lizbeth et son frère Leland (Barbara et Johny dans le film) se rendent sur la tombe de leurs parents adoptifs. Ils seront victimes, au cimetière, d’une première attaque par un groupe de morts vivants ! Après une longue course-poursuite, Lizbeth et Leland trouvent refuge dans un hôtel sordide qui va se révéler être le seul rempart contre une horde de zombies avides de chair fraiche (dans le film, seule Barbara survit et trouve refuge dans une maison isolée, où elle est rejoint par Ben, un routier afro-américain). Car l’épidémie, transmise aux hommes par un virus mutagène (origine extraterrestre dans le film), s’est généralisée et plusieurs grandes villes sont déjà dévastées…

Une actualité morbide et des protagonistes encore insouciants... (page 14 de l'album ; Vents d'Ouest, 2014)

Affiches françaises originelle et alternative pour le film de G. Romero (1968)

De ce canevas assez traditionnel, dans lequel une poignée d’humains découvre peu à peu l’ampleur de la tragédie apocalyptique, et qui fut reprit depuis par « Walking Dead » (Robert Kirkman, Tony Moore et Charlie Adlard, depuis 2003), « Zombies » ainsi qu’une première transposition du classique de Romero (« La Nuit des morts vivants », en 4 tomes parus depuis 2012 chez Panini Comics), la couverture ne conserve qu’une vision lointaine. Concocté par Ronan Tolhouat (le dessinateur de « Block 109 » est devenu un habitué de cette rubrique : citons notamment ses précédents visuels pour « Sherlock Holmes : Crime Alleys » (Soleil Prod, 2013), « Fraternités » (Delcourt, 2013) ou « Le Monde perdu » (Soleil Prod., 2013)), le visuel braque en effet le regard du lecteur sur un sinistre constat à portée universelle. Isolé avec ces deux enfants dans la neige, un père remonte une autoroute où gisent les carcasses abandonnées d’une file sans fin de véhicules parfois enchevêtrés. Dans le titre, le mot « morts » rougeoyant renvoie aux diverses traces de sang visibles à l’avant-plan, aussi bien à proximité des portières conducteurs des berlines que sur celle, demeurée ouverte, d’un poids lourd. A l’horizon, le décor se perd dans la brume hivernale, laissant apparaître un monde désolé et dévasté, à l’avenir plus qu’incertain…

Un inquiétant panorama promotionnel similaire, pour la saison 1 de la série TV Walking Dead : l'arrivée du shérif Rick Grimes à Atlanta... (AMC, 2010)

Laissant les rares protagonistes (vus de dos) dans l’inconnu, le visuel de couverture insiste – de par son sous-titre – sur la potentielle causalité et responsabilité humaine du drame en cours : l’évocation des « Fautes du père » trouvera ainsi une certaine résonance, aussi bien avec le Péché biblique originel que dans la répétition médiatisée du mépris humain pour la Nature, voie ouverte à une Apocalypse bioclimatique. Rappelons de même qu’en 1968, les morts-vivants de Romero représentaient déjà les avatars de la Guerre froide et du conflit du Viêt Nam, par ailleurs fruits d’une science atomique et d’une énergie pétrolière (déjà) mal contrôlée (le premier choc pétrolier aura lieu quelques années plus tard, en 1973) : l’horreur est humaine ! Dans cet univers combatif extrême devenu inutilement virilisé, les moyens de défense sont pourtant dérisoires ou absents, et la menace invisible : pas une arme ni un quelconque mort-vivant n’est donc visible en couverture, du moins en apparence, dans la mesure où ne voyons aucun des visages des protagonistes. Au sol, traces de pas et de sang se croisent, s’entremêlent et disparaissent, effacées plus ou moins rapidement par le blizzard. La vie ne tient qu’à un fil, et la survie humaine (un homme seul avec deux jeunes enfants) n’est pas assurée. Morte-vivante en perdition et cible d’une trame volontiers cynique et pessimiste, l’humanité n’est déjà plus que l’ombre d’elle-même…

En guise d’ultime citation, le visuel de Ronan Toulhoat nous renverra au roman post apocalyptique de Cormac Mac Carthy, «La Route » (2006), porté au cinéma par John Hillcoat en 2009. Dans un monde dévasté par un hiver nucléaire, perpétuellement recouvert de cendres qui masquent le soleil, un homme et son fils errent tant bien que mal en direction du sud (voir en comparaison le panneau délabré indiquant « South Downtown » sous la présente couverture). Cette quête impossible sera celle d’un paradis perdu à jamais, d’une humanité qui se dérobe sans cesse sous les pieds fragiles des deux protagonistes, eux-mêmes confrontés en permanence à la violence et à la barbarie. En bref, une autre « Nuit » sans issue possible…

Différentes affiches pour le film La Route (2009)

Très amicalement, Jean-Luc Istin a accepté d’expliquer très en détail la genèse complète de cette couverture, nombreux visuels inédits à l’appui : un grand merci à lui !

J.-L. Istin : « Dès le départ, l’idée était de confier la couverture de « La Nuit des morts vivants » entre les mains expertes de Ronan Toulhoat. En plus de la son travail dans la bande desinée, on lui doit notamment beaucoup de couvertures chez les Éditions Critic C’est un grand professionnel.
Mon idée est simple, je souhaite le titre sur fond noir à gauche. Quelque chose de simple et très lisible pour mettre en valeur le titre. Pour le reste, je lui laisse le soin de m’envoyer tout ce qu’il veut… Les 7 premiers jets furent des idées en vrac, un mélange de diverses choses, digne du photo montage : c’est un travail préparatoire nécessaire avant de se lancer dans la véritable couverture.
»

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« Les versions 4 et 5 retiennent mon attention et je lui propose de m’en faire un mix ; ce qui donne ceci, une 8ème couverture : »

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« Je suis un peu dubitatif. Il y a un élément climatique que je souhaiterai : de la neige. Ronan me propose alors une 9ème version : »

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« Après discussion avec les dirigeants de 12 Bis, (car à l’époque l’album est prévu chez cet éditeur), je propose à Ronan de plancher sur cette option, de jour, car le tome 1 ne se passera pas de nuit mais globalement en fin de journée. La composition n’est pas top mais la lisibilité est plus intéressante. Ronan compose donc une version 10 plus adaptée mais, finalement, je reste dubitatif… Je l’appelle et suite à nos échanges, une toute nouvelle version est mise en place, la partie noire pour le titre devient alors le « cul du camion », la neige est présente et on est vraiment dans une scène au cÅ“ur du récit : »

Concept...

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« Cette version, avec le recul, honnêtement aurait pu convenir. Je ne me souviens même plus de la raison qui m’a mené à lui proposer de plancher sur une ultime idée ! On reprend le cul du camion, mais on met en place une autoroute de voitures brûlées, cassées. L’image d’Épinal du post-apocalyptique. Ronan me propose alors deux possibilités (couvertures 12 et 13) : »

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« En consultant mon scénario, je pense alors que ce serait plus intéressant de montrer l’un des héros avec ses enfants, marchant vers la ville. Et, le 17 avril 2013, Ronan m’envoie ceci : »

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« Je lui demande de rapprocher les personnages. Et nous obtenons la couverture presque finalisée : »

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« Comme évoqué précédemment, cette couverture est faite à l’époque pour les éditions 12 Bis. Elle est donc validée en l’état. Puis les éditions 12 Bis mettent la clef sous la porte. Glénat reprend leur catalogue (été/rentrée 2013). Valérie Aubin, éditrice Vents d’Ouest, aime les zombies et propose de s’occuper de « La Nuit des morts-vivants ». Nous sommes alors en septembre 2013. La couverture pose alors un souci. Le système utilisant une partie noire verticale n’est pas sans rappeler en effet le principe utilisé par la série « Il était une fois en France »… publiée par Glénat. Ceci pose donc un souci d’ordre éditorial vis à vis des auteurs de cette série. Franchement, ça me fait très mal car, à mon sens, la couverture est parfaite ainsi et puis surtout, le pauvre Ronan a tellement donné de lui-même qu’il mérite trois fois ce qu’on lui a payé.
Bref…
Après deux propositions personnelles pas très reluisantes que je vous épargne, Ronan s’y remet et créé cette version :
»

Couverture finalisée 1ère version

« Je suis encore frustré, l’absence du « cul » du camion me hante. J’en fais part à Ronan qui finalise alors la couverture : »

The End !

« Mine de rien, le premier concept de Ronan datait du 27 février 2013… Que d’aventure, n’est -ce pas ? »

Philippe TOMBLAINE

« La Nuit des morts-vivants T1 : Les Fautes du père » par Elia Bonetti, Ronan Toulhoat et Jean-Luc Istin
Éditions Vents d’Ouest (14,50 €) - ISBN : 978-2356485014

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