Dix ans après la parution de « Résurrection », la première partie d’un diptyque accouché dans la douleur, voici enfin « Révélations » : conclusion du dernier récit du regretté Philippe Tome, décédé alors qu’il travaillait sur les dernières pages de son scénario. Les éditions Dupuis proposent, enfin, l’intégralité de cette aventure magistralement dessinée par Dan Verlinden, digne successeur de ses deux prédécesseurs : Luc Warnant et Bruno Gazzotti.
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Habituellement, à l’occasion de la réédition de telle ou telle série, « Le Coin du patrimoine » met l’accent sur des aspects inconnus de sa création ou revient sur la carrière de ses auteurs ; mais, cette semaine, une fois n’est pas coutume, c’est le récent décès d’un artisan trop méconnu du 9ème art qui nous permet d’alimenter notre rubrique.
En effet, peu de documents permettent de se pencher sérieusement sur la prolifique carrière du scénariste belge Yves Duval (21 mars 1934-22 mai 2009) (1), et même sa pourtant très intéressante et passionnante biographie (« 55 ans dans les bulles »), publiée fin 2007 aux éditions Hibou, manque cruellement d’une chronologie précise ; l’ouvrage évoquant, surtout, avec émotion et dans un style très enlevé, les relations qu’eut ce stakhanoviste du scénario avec ses collaborateurs, dessinateurs et amis : dont Hergé, qu’il eut la chance de fréquenter, régulièrement, dès sa tendre jeunesse. Par ailleurs, ce livre plein de souvenirs et d’anecdotes nous permet de constater à quel point la vie de cet homme qui fut aussi comédien, journaliste, dessinateur, photographe, auteur dramatique et de guides touristiques, grand voyageur et conférencier (notamment pour des cycles de conférences organisées par « Exploration du monde »), a été riche en rencontres.
Souvent surnommé « Le soldat inconnu de la Bédé belge » en raison du peu d’albums publiés liés à son œuvre (même si cela a changé, ces dernières années, grâce aux éditions Hibou), Yves Duval a étudié l’art dramatique au conservatoire de Bruxelles avant d’être engagé au Théâtre national de Belgique. Alors qu’il avait déjà écrit quantité de bricoles entassées dans des tiroirs, c’est à l’âge de quinze ans qu’il débute professionnellement dans le monde de la bande dessinée en proposant « Ils l’appelaient Alcibiade », sa première nouvelle, à l’hebdomadaire Tintin (elle sera publiée dans le n°16 du 20 avril 1950 et illustrée par Raymond Reding ; voir « Le Coin du patrimoine » consacré à ce dessinateur : http://bdzoom.com/spip.php?article3822).
D’autres (2) suivront très vite, enluminées par Bob De Moor, Albert Weinberg, Jacques Laudy, Tibet, René Follet, François Craenhals, Raymond Macherot, Fred Funcken, Édouard Aidans, Dino Attanasio, Géri, Jean Graton, Sidney, Berck, Mittéï, Paul Cuvelier, William Vance, Franz, Hermann, Dany, Dupa ou Bédu, que ça soit dans Tintin, Mickey Magazine (version belge du Journal de Mickey), J2 Jeunes, Spirou et Pilote ou pour les quotidiens La Dernière Heure (où il utilise pour la première fois le pseudonyme de Deverchin (3), nom de jeune fille de sa grand-mère paternelle) et La Lanterne.
Alors que commence dans le respectable hebdomadaire des éditions du Lombard, durant l’été 1952, la publication de son premier roman (« Un an de grandes vacances » illustré par Albert Weinberg), le jeune écrivain s’attaque aussi à la bande dessinée en adaptant « David Balfour » de Robert-Louis Stevenson pour Jacques Laudy (le créateur d’« Hassan et Kadour », série dont Yves Duval écrira aussi une aventure en 1962 : « La Mission du major Redstone ») (4).
C’est ce remarquable et trop méconnu dessinateur, séduit par l’écriture des contes qu’il venait de lui illustrer, qui a souhaité lui confier la mise en bulles de cette histoire « à suivre » qu’il rêvait de dessiner depuis longtemps ; et il le pistonna alors auprès du rédacteur en chef de l’époque : André Désiré Fernez. Pour l’anecdote, sachez que cet ancien avocat, ami de Raymond Leblanc et auteur de romans sentimentaux, était devenu la bête noire d’Hergé, lequel officiait toujours comme directeur artistique à Tintin ; cela ne l’empêcha pas de livrer de nombreux feuilletons illustrés, d’être le scénariste anonyme des aventures de « Jack Diamond » mises en images par les époux Funcken ou de deux épisodes de « Pom et Teddy » de François Craenhals (« Alerte à Hollywood » et « Plein feux sur Teddy »), et surtout d’imposer de nouvelles plumes scénaristiques comme André-Paul Duchâteau, Greg, René Goscinny et, bien sûr, Yves Duval : ceci souvent contre le gré du créateur de « Tintin ».
S’inspirant du principe des « Histoires vraies de l’Oncle Paul » à la demande de la rédaction du magazine bruxellois, Yves Duval écrit, dès 1953, une multitude de courts récits complets historiques où se rôdent et se confirment pratiquement tous les dessinateurs du journal. Ce système devient aussi un genre très prisé par certains auteurs confirmés comme Fred Funcken et sa femme Liliane (laquelle écrira, elle aussi, quelques scénarios pour les « Oncle Paul » dans Spirou et pour le magazine féminin Bonnes Soirées, suivant la voie que lui avait conseillé Jean-Michel Charlier).
Il serait fastidieux de citer tous ceux qui ont illustré ces histoires complètes à caractère documentaire, genre dans lequel Yves Duval s’est donc spécialisé (de 1950 à 1992, il en aurait écrit plus de mille cinq cent pour des journaux comme Tintin, Line, Ima, Record, L’Explorateur, Pat, Hello Bédé ou Jet), mais on ne peut pas faire moins que de signaler, outre les Funcken, ceux qui en ont produit un nombre suffisant pour être compilé en albums ; c’est le cas d’Albert Weinberg, Raymond Reding, Édouard Aidans, Paul Ramboux (alias Sidney), Dino Attanasio , André Gaudelette, Christian Denayer, Eddy Paape, Hermann,Francisco Coria, Ferry, Gilbert Bouchard et Philippe Delaby que l’on retrouve dans la série « Les Meilleurs récits de… » aux éditions Hibou (depuis 2002), ou encore de Jean Graton, René Follet, Fernand Cheneval, Berck, José-Luis Fernan, André Beckers, Fédor, Mittéï, René Léonard, Gérald Forton, Lucien Colsoulle, William Vance (5), Luc Mazel, Jean Torton, Carlos Roque, Walther Fahrer, Franz, Daniel Hulet, Michel Schetter, Jean-Claude Servais, José-Maria Cicuendez, Crisse, André Osi, Marc-Rénier, Thierry Cayman et Jean-Yves Delitte.
Mais Yves Duval ne s’est pas cantonné qu’aux récits complets puisqu’il a créé ou repris, dans Tintin, nombre de héros ! Certains sont passés aux oubliettes de l’histoire du 9ème art car ils ne sont connus aujourd’hui que des spécialistes ; c’est le cas de « Rocky Bill » avec René Follet en 1953 (voir « Le Coin du patrimoine » consacré à ce dessinateur : http://bdzoom.com/spip.php?article3428), « La Principauté de Finckelstein » avec Jo-Ël Azara en 1961, « Didi-Soda l’île atomique » avec Hugo Fonske en 1962, « Howard Flynn » (5) avec William Vance de 1964 à 1969 , « Ringo » (5) avec William Vance en 1970, « Val capitaine de l’espace » avec Eddy Paape en 1971 (un petit album, tiré à 325 exemplaires, numérotés et signés, par les éditions JD, reprend cette histoire de science-fiction bien classique) (6), « Le Chevalier noir », « Les Mercenaires du ciel » ou « Les Contes du Magreb » avec José-Maria Cicuendez en 1978 et 1980, « Arthur au royaume de l’impossible » et « Richard Cœur de Lion » avec Philippe Delaby en 1987 et 1988 (deux albums seront publiés ensuite au Lombard (6)), « Pero le Portugais » avec Gilbert Bouchard en 1991 (dans Hello Bédé)…
Heureusement, ses travaux avec Édouard Aidans, Berck, Dino Attanasio ou Liliane et Fred Funcken restent encore dans de nombreuses mémoires. Avec Édouard Aidans, il s’essaie à l’humour grâce aux amusantes enquêtes de « Bob Binn » (de 1960 à 1968) et ravit plusieurs générations de lecteurs avec la saga exotique des « Franval » (7) où il transcrit, de 1964 à1970, les nombreuses découvertes que lui ont suggérées ses explorations autour du monde, caméra au poing. Comme notre scénariste avait du mal à trouver un nom pour baptiser cette famille dynamique qui vivait d’une manière idéale (avec un zeste de suspense et d’aventure en plus) le même type de voyages que ceux auxquels il s’adonnait à longueur d’années, Édouard Aidans lui propose de récupérer le patronyme de Marc Franval, nom du romancier solitaire et fumeur de pipes, qui était le héros d’une histoire inventée par le dessinateur un an plus tôt et transmise ensuite à Jacques Acar pour la rédaction du scénario.
Ce dernier acceptant sans la moindre hésitation d’enterrer définitivement ce personnage au profit des exploits d’un cinéaste-explorateur accompagné de sa femme et de son fils, « Les Franval » (créés par Yves Duval et Édouard Aidans en 1964) prenaient donc la place de « Marc Franval » (également dû à Aidans mais narré par Jacques Acar et publié dans Tintin en 1963) : cette naissance un peu compliquée provoqua, cependant, pendant plusieurs années, de nombreuses confusions que l’on retrouve, aujourd’hui encore, dans les meilleurs ouvrages sur le sujet…
Avec Berck, il propose « Rataplan » (de 1961 à 1967 dans Tintin et en albums au Lombard (6) entre 1965 et 1973), « Viva Panchico » (en 1963), « Kem Krom » (en 1965),
« Lady Bount » (en 1966) et la reprise de « Strapontin » en 1967, le temps de trois aventures reprises en albums au Lombard (6) (voir « Le Coin du patrimoine » que nous avons consacré à cette série : http://bdzoom.com/spip.php?article3588). Yves Duval connaissait le dessinateur flamand depuis l’époque de Publiart (il y travaillait depuis 1958), une agence de publicité contrôlée par Le Lombard (car créée par Raymond Leblanc) et qui était dirigée par Guy Dessicy, un ami d’Yves Duval et de Leblanc ; c’est dans ce cadre qu’ils collaborent, pour la première fois, sur les tribulations de « L’Oncle Bluff et les frères Cha-Cha », en 1960, dans Le Magazine de la Route des Jeunes BP : un magazine publicitaire gratuit distribué dans les stations d’essence BP. Sachez aussi qu’en fait, Jacques Acar et Yves Duval écrivaient souvent ensemble leurs scénarios pour Berck et que c’est uniquement pour des raisons personnelles que l’accréditation ne concernait que l’un ou l’autre de ces deux scénaristes (8).
Avec Dino Attanasio, outre un gag de « Modeste et Pompom » publié en 1964 dans Tintin, Yves Duval réalise « Gianni Flash » en 1968 (héros créé pour l’hebdomadaire italien Il Corriere dei Piccoli et traduit en français dans l’album « Flash-Back et la quatrième dimension » (6) publié chez Michel Deligne en 1979), « Candida » en 1968 pour Ciné-Revue (il existe un album de ces gags coquins publié chez Miklo, en 2006), la reprise de « Johnny Goodbye » en 1984 pour l’hebdomadaire flamand Eppo (deux albums aux éditions des Archers (6)) et surtout celle de « Spaghetti » en 1977 : voir « Le Coin du patrimoine » consacré à cette série : http://bdzoom.com/5209/patrimoine/le-coin-du-patrimoine-spaghetti/).
Mais c’est certainement avec Liliane et Fred Funcken qu’Yves Duval a donné le meilleur de lui-même, ceci grâce au « Lieutenant Burton » (un western qu’il signe Michel Deverchin, publié dans Tintin entre 1962 et 1967, et dont il existe un recueil publié aux éditions Jonas, en 1980, tiré à 1020 exemplaires) (6), à la série de cape et d’épée « Capitan » (quatre récits complets et un long-métrage parus dans Tintin ou Tintin Sélection de 1966 à 1971 et repris en albums au Lombard en 1974 et chez Bédescope en 1980) (6), à « Doc Silver » (un docteur de l’Ouest américain, au début du XXe siècle, publié dans Tintin de 1967 à 1969 puis en albums au Lombard, de 1968 à 1974) (6) et aux « Saint-Preux au temps des croisades » (chronique familiale et historique parue dans Tintin en 1983 puis dans un album titré « Le Croissant et la Croix » pour la collection « Histoires de l’Histoire » au Lombard, en 1985) (6) ; et n’oublions pas « Flamberge » : une histoire complète qui met en scène d’Artagnan et Cyrano de Bergerac et qui a été publiée initialement aux alentours de 1960 (dans une publication publicitaire pour le café Rosco), avant d’être reprise, en 2008, aux éditions Hibou.
Enfin, le regretté scénariste a quelques fois été infidèle au Lombard en publiant « Peggy, petit oiseau sans ailes » (9) avec René Follet (1956), « Le Nabab de Kanaor » avec Noël Gloesner (1958) – voir « Le Coin du patrimoine » consacré à ce dessinateur : http://www.bdzoom.com/spip.php?article3699 – et « Bon sang ne peut mentir » avec Alain d’Orange (1959) dans La Semaine de Suzette.
Il trouvera aussi d’autres supports pour ses amusantes créations avec le dessinateur Mic Delinx (« Buck Gallo » dans Pilote de 1963 à 1966, « Jim Trapper » dans Record en 1962 et « César reporter TV » dans J2 Jeunes en 1965) ou pour ses éphémères « Jim Clark » avec Jean Graton dans Record (1970), « Christopher » avec Franz dans Le Soir Jeunesse en 1972 (un album chez Rossel en 1973) (6), « La Prodigieuse épopée du Tour de France » avec Marc Hardy dans Le Journal de Mickey qui fût reprise en album chez Arts & Voyages Gamma (1973) (6), « Les Fabuleux exploits d’Eddy Merckx » avec Christian Lippens chez le même éditeur (1973) (6), « Les 1001 aventures de Pinocchio » avec Endry dans Tremplin (1984), « Justine, l’incroyable ascension » (une bande dessinée sur la joueuse belge de tennis Justine Hennin, illustrée par Édouard Aidans en 2007) et « RSC Anderlecht » avec Charles Jarry (2008). Ces deux albums sont publiés aux éditions Dupuis Productions qui n’ont rien à voir avec l’éditeur de Marcinelle si ce n’est que cette maison est dirigée par Antoine Dupuis, le petit-fils du créateur de ces dernières : Charles Dupuis.
Infidélités répétées et souvent méritées car Le Lombard ne faisait guère cas de notre pauvre scénariste : « Vous savez, je suis sans doute le scénariste qui a écrit le plus de « pages » dans l’histoire du journal Tintin, en 41 ans de collaboration avec les éditions du Lombard… Or, pour le numéro spécial de Hello Bédé paru pour leurs 45 ans, avec rétrospective et tout et tout : pas un mot sur mes scénarios… Á part, en parlant de Vance, la mention de la création de « Howard Flynn » (sans préciser mon nom alors que c’est moi qui ai trouvé le personnage et son patronyme…). D’abord, j’ai eu un petit coup de sang, vite passé, puis un grand éclat de rire… C’est une fameuse leçon d’humilité, après tout ! Et c’est très bien ainsi ! » (10). Espérons quand même que Le Lombard, qui serait bien inspiré de rééditer « Rataplan », « Capitan », « Doc Silver » ou « Les Franval », va bientôt rendre l’hommage qu’il se doit à l’imagination fertile, à la puissance de travail et à la documentation sans faille de ce travailleur acharné de l’ombre et de la lumière…
Gilles RATIER, avec Laurent TURPIN aux manettes.
(1) Outre à son autobiographie (« 55 ans dans les bulles »), on peut quand même se référer au « Larousse de la BD » de Patrick Gaumer, à l’ouvrage « Avant la case » d’un certain Gilles Ratier aux éditions Sangam, au « BD Guide 2005 » chez Omnibus, au n°1084 de Tintin ou au n°133 de la revue Lectures de novembre 2003 (article dû à Franz Van Cauwenbergh).
(2) Dans « 55 ans dans les bulles », Yves Duval comptabilise pas moins de trois cents contes et nouvelles qu’il aurait commis en tout, sans compter des milliers d’articles ou de chroniques, dont la rubrique rédactionnelle régulière, humoristique et didactique à la fois : « Sac à malices du professeur Nicolas Flanelle », réalisée de 1953 à 1957, dans Tintin.
(3) Yves Deverchin dans La Dernière Heure et Michel Deverchin dans Tintin !
(4) Les trente-sept pages couleurs de « David Balfour » ont été reprises en album broché, en 1980, chez Distri B.D ; quant aux trente planches de « La Mission du major Redstone »), elles ont été compilées dans un album broché chez Bédescope en1978 puis dans un album cartonné, en couleurs, publié dans la collection « Himalaya » des éditions Magic-Strip, en 1986 : des ouvrages complètement introuvables aujourd’hui.
(5) Les quatre premiers volumes de la collection « Tout Vance », au Lombard, rééditent toutes les histoires complètes d’Yves Duval dessinées par William Vance, le cinquième le roman « Aller simple pour l’enfer » publié dans Tintin en 1967, le sixième l’intégralité des aventures maritimes d’« Howard Flynn » et le neuvième les deux petits épisodes de « Ringo » publiés dans les n°6 et 7 de Tintin Sélection.
(6) Tous ces albums sont épuisés de puis belle lurette et sont côtés au BDM car très recherchés par les amateurs…
(7) « Les Franval » ont été publiés en albums au Lombard (de 1966 à 1973) puis chez Bédéscope (en 1980) ; mais, aujourd’hui, seul le petit album « Sur la piste d’Édouard Aidans » édité par le CBBD et La Poste Belge (et qui contient les quarante-quatre planches de l’épisode « Sur la piste des Kasbahs ») est encore disponible.
(8) Berck et Yves Duval réalisèrent également un récit de six planches paru dans Pilote, en 1963 : « Les Colères du capitaine Racagnac ».
(9) « Peggy, petit oiseau sans ailes » est, à l’origine, un conte publié dans Tintin, en 1953, et illustré par François Craenhals.
(10) Extrait d’une interview parue dans le n°93 de L’Hebdo de la BD (du 27 octobre 1991) que réalisait le regretté Bernard Marle.