Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
Lire la suite...Belle adaptation BD, par Cyril Bonin, d’une partie d’un roman-fleuve de Douglas Kennedy !
En 1945, la jeune Sara Smythe a l’occasion de faire un stage au magazine Life. Soutenue par son ambitieux dramaturge de frère, homosexuel et ancien communiste, elle s’oppose à la volonté de ses rigides parents (riches anglais vivant en Amérique) en s’installant à New York qu’ils considèrent comme un lieu de perdition, juste après la guerre. Pour le premier Thanksgiving de paix, elle assiste à une fête dans un immeuble de Sullivan Street. Elle y rencontre Jack Malone, journaliste de l’armée américaine en permission, dont elle s’éprend aussitôt, au premier regard. Cependant, dans ce grand pays livré à ses démons intérieurs, rien n’est vraiment simple…
Jack est un jeune irlandais originaire de Brooklyn qui a servi les États-Unis en Allemagne. S’étant incrusté dans la soirée, c’est lui qui accoste Sara le premier. Ils partiront tous les deux, ensemble, malgré une courte altercation avec le frère de la belle. Après une torride nuit d’amour, Jack apprend à cette dernière qu’il doit rejoindre l’armée le lendemain, pour une période de neuf mois, mais il lui promet de lui envoyer une lettre par jour… Sara ne recevra pourtant plus aucune nouvelle de lui, à l’exception d’un tardif et très bref mot d’excuse.
Après une longue dépression où elle se remet cependant à l’écriture, notre héroïne se laisse séduire par le jeune banquier cultivé et courtois Georges Grey, même si elle ne ressent pas une véritable passion pour lui. Attendant un enfant, elle est forcée par sa belle-mère, insensible et à cheval sur les principes, de se marier avec son fils et de mener une existence monotone au Connecticut. Sara va perdre sa progéniture, divorce et rompt tous liens avec les Grey. C’est alors qu’elle recroise Jack au bras d’une autre femme qu’il a finalement épousée, parce qu’elle était enceinte, bien qu’il ne soit pas amoureux d’elle…
Alors que le passionnant et émouvant roman d’origine — dû au célèbre écrivain américain Douglas Kennedy et qui totalise quasiment 800 pages réparties en deux périodes différentes — raconte le destin croisé de deux femmes, Cyril Bonin (1) s’est ici concentré sur la relation passionnée de Sara et Jack : amour d’une nuit, mais passion d’une vie, leur histoire va, en effet, bouleverser plusieurs générations…
Cela lui permet de s’attarder, avec brio, sur les turpitudes de la vie des femmes de l’après-guerre, ainsi que d’évoquer la difficulté de vivre un amour — et d’être heureux —, à cette époque, hors du carcan du mariage ou de la bienséance de la société… On ne pouvait que poursuivre le bonheur pour chercher à l’atteindre, ou profiter de ce que l’on avait, dans le présent. Sublimant de son fin et précis trait crayonné — où il joue avec des ombres au fusain sans aplats — cette grande histoire romanesque, fort bien construite et structurée, de Douglas Kennedy, Bonin se complaît aussi à mettre en scène le monde artistique alors persécuté, car victime de l’intolérance envers tous ceux qui auraient été susceptibles de nuire à la patrie et des diktats conformistes du puritanisme, notamment à travers le destin tragique d’Eric : le frère de Sara.
(1)  Sur Cyril Bonin, voir sur BDzoom.com : Toucher le bonheur… « Du bout des doigts » : encore un émouvant album du sensible Cyril Bonin !, Un classique de la littérature japonaise adapté avec pudeur, et brio…, Cyril Bonin fait son jeu : rien ne va plus ?, « Stella » : la fin d’un roman… le début d’une histoire, mais surtout une très belle BD de Cyril Bonin sur la création, l’identité, et la place de l’auteur…, « Presque maintenant » par Cyril Bonin, « La Délicatesse » par Cyril Bonin [d’après David Foenkinos], « Fog : intégrale » T1 par Cyril Bonin et Roger Seiter, « The Time Before » par Cyril Bonin, « Amorostasia T2 : Pour toujours… » par Cyril Bonin, « Amorostasia » par Cyril Bonin, « L’Homme qui n’existait pas » par Cyril Bonin, « La Belle Image » par Cyril Bonin, Chambre obscure T1…Â
« La Poursuite du bonheur » par Cyril Bonin, d’après Douglas Kennedy
Éditions Philéas (21,90 €) — EAN : 9 782 491 467 302