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Dans « Les Crayons », Frédéric Bihel retourne sur les lieux de son enfance : en Limousin…

25/03/2024
Par Gilles Ratier

Né en 1965, Frédéric avait six ans quand il est arrivé, avec ses parents, dans un village du Limousin, au début des années soixante-dix… C’était la première année d’école pour ce petit garçon solitaire, timide et blond comme les blés, qui dessine et découvre Pif-Gadget ou Le Journal de Mickey. Son père est rarement là… Devenu aujourd’hui un auteur apprécié de bandes dessinées, Frédéric Bihel retourne dans cette région pour se réapproprier un peu son enfance : comme si c’était un pèlerinage, mais également pour essayer de retrouver la boîte de crayons de couleur qu’il avait oubliée dans le grenier du 23 rue de La Fontaine, à Limoges. Un saut dans le temps qui raconte aussi toute une époque !

En ce début du mois de novembre 2022, Frédéric prend une semaine de vacances avec sa mère et revient à Château-Chervix, où il croit reconnaître la cour de l’école qu’il fréquentait en 1971. C’est alors que les souvenirs affluent, que la mémoire joue à plein… Heureusement, car comme le dit si bien l’écrivain portugais António Lobo Antunes : « Quand on perd la mémoire, on perd sa faculté d’imaginer. »

En conséquence, notre imaginatif bédéiste se rappelle le gosse qu’il était et il va se mettre à recréer les images magnifiques de son enfance solitaire, où il a dû, parfois, supporter les railleries des autres : notamment dans le fourgon de ramassage scolaire qui s’arrêtait les matins pour l’amener à l’école de ce petit bourg de la Haute-Vienne. En effet, ses parents ont loué une maison au lieu-dit Brégéras, à quelques kilomètres de là. Son meilleur ami, Michel, est le fils de ses plus proches voisins : il est de quatre ans son aîné et, lui, il connaît les codes, car il a grandi ici…

Trois ans plus tard, Frédéric devra déménager à nouveau pour la grande ville (Limoges), mais son père ne sera plus là du tout, resté dans cette maison à la campagne avec sa douleur… En effet, Frédéric a eu une sœur cadette qui est morte, mais la vie a continué avec son absence. Désormais, il habite seul avec sa mère dans l’appartement d’un immeuble qui ne lui permet pas facilement de rêver, mais où il va quand même se trouver un refuge… dans le grenier !

Sur son Facebook de décembre 2023, le dessinateur disait que ce livre « évoquera quelques épisodes pénibles, au sens littéral du terme, vécus dans ma petite enfance. Il évoquera aussi l’éveil aux histoires qui donnent un sens aux choses et tentent d’organiser le chaos que contient la tête d’un petit garçon de six ans. »

De fait, avec ce récit autobiographique si intime — construit sur des creux, des manques, des vides, des trous qu’il s’évertue à combler… —, Frédéric Bihel rend également hommage, d’une écriture allusive et pudique, mais narrativement puissante, à son panthéon littéraire personnel. Et c’est d’un trait jeté sur le papier qu’il dessine sa propre vie mode d’emploi, avec des clins d’œil de maison en coupe. Il nous livre un ouvrage d’une belle humanité, sans user de pathos et de démonstration, rien qu’avec la légèreté de son crayon et sa force de conviction.

Gilles RATIER