« Milady ou le mystère des mousquetaires » : le masque et l’épée…

Entré dans la légende littéraire (depuis sa parution en 1844) comme l’archétype du récit de cape et d’épée, « Les Trois mousquetaires » d’Alexandre Dumas a immortalisé les noms de d’Artagnan, Athos, Porthos et Aramis. Destiné à sauver l’honneur d’Anne d’Autriche en s’opposant aux manigances et aux hommes du cardinal de Richelieu, notre quatuor affrontera également la belle et énigmatique Milady de Winter. Mais au fait : et si ce personnage était la véritable héroïne de l’intrigue, sorte de fil rouge dissimulé entre les lignes dans un but féministe et révolutionnaire ? Partant de ce postulat, les auteurs effectuent une relecture passionnante, où la fiction et le réel croisent le fer de fine manière…

Bandeau extrait du journal "Le Siècle" daté du 14 mars 1844 et annonçant le début du feuilleton à ses lecteurs.

Pour créer l’intrigue de son ouvrage, initialement publié sous forme feuilletonesque dans le journal Le Siècle de mars à juillet 1844, Dumas s’inspirera des « Mémoires de M. d’Artagnan » (rédigées en réalité par Courtilz de Sandras en 1700), des « Mémoires relatifs à l’Histoire de France » (publiés de 1819 à 1829 par l’éditeur Petitot et le magistrat Louis Monmerqué) et des « Mémoires » du duc de La Rochefoucauld (1662), narrant notamment de la régence d’Anne d’Autriche. Dumas reprend à son compte l’intrigue (fictive) politique et amoureuse liés aux ferrets : ce cadeau gênant aurait été offert par la reine au duc de Buckingham, amant supposé et favori du roi Charles 1er d’Angleterre. Rappelons à ce stade que Dumas fait alors de Milady de Winter l’exécutrice des basses œuvres de Richelieu : avec son passé criminel (en témoigne la fleur de lys qui vient flétrir son épaule…), son absence de scrupules, ses charmes vénéneux et sa cruauté perfide, le personnage cache également des identités multiples.

Le décor (planche 1) et son actrice principale (extrait de la planche 19 - Futuropolis - 2019)

Pour l’historien Sylvain Venayre – connu des bédéphiles depuis 2012 pour ses ouvrages réalisés avec Jean-Philippe Stassen ainsi que pour la direction de la collection « L’Histoire dessinée de la France » (2017) -, toute l’habilité de Dumas a consisté à cacher ses véritables buts littéraires. Outre de nombreux anachronismes et la collaboration effective de l’auteur avec Auguste Maquet (rédacteur effectif de très nombreux passages des « Trois Mousquetaires » et de la séquence décrivant la mort de d’Artagnan dans « Le Vicomte de Bragelonne » en 1850), c’est la source prétendue par Dumas lui-même qui attire tous les soupçons et la plupart des interrogations. Selon Dumas, donc, tout aurait été inspiré par le « Mémoire » écrit par un certain comte de La Fère… Un nom de narrateur à priori omniscient qui n’est autre que celui d’Athos ! Comme l’explique Sylvain Venayre en introduction, « Comment imaginer que l’histoire qu’il nous raconte, et dans laquelle il a joué un rôle si important, soit présentée d’un point de vue impartial ? […] Comprenons qu’il est possible, et même certain, que les faits rapportés par le « Mémoire » du comte de La Fère soient tronqués et travestis au seul profit de la gloire de [son] auteur, au seul profit, donc, d’Athos. » Alors que tout l’arrière-plan historique disparait littéralement et curieusement des sept derniers chapitres d’un roman reposant pourtant sur les troubles politiques du XVIIe siècle, les auteurs s’interrogent sur le dit et le non-dit chez Dumas. Dans le roman, après avoir assassiné Constance Bonacieux (la fiancée de d’Artagnan), Milady est rattrapée par le destin, jugée et décapitée… Pas si simple, car cette espionne et exécutrice des temps modernes (autour de laquelle on peut légitiment interroger les motifs, les pressions ou les semi-vérités) fut vouée à la clandestinité dès sa jeunesse : née Anne de Breuil, elle avait ensuite été laissée pour morte par son premier mari… qui n’était autre qu’Athos !

L'éprouvante (re)naissance de Milady... (planches 10 et 11 - Futuropolis 2019)

Un décor parisien, au début de l'Acte II (Futuropolis - 2019)

Traitées au crayon et en tonalités sépias par Frédéric Bihel, la centaine de planche de ce one-shot replace Milady au centre du récit, tout en dévoilant les déceptions, les haines, les traîtrises et les bassesses de l’ensemble des protagonistes. En couverture, il y a de la tragédie historique gothique et du drame shakespearien, tant dans le crâne humain et la flamme de bougie vacillante qu’avec le chat noir, l’épée ou le miroir dévoilant partiellement le visage – et la psyché – de la mystérieuse titrée. Surplombée par un paysage suggérant la quête et la poursuite romanesque, mais aussi le tiraillement entre univers rural et cadre princier (le carrosse), la nature morte occupant les deux tiers du visuel renvoie l’ensemble du cadre à un jeu d’artifice symbolique entre objet et personnage. À l’évidence, la mort et le goût du sang pèsent sur l’ensemble : alors qu’une femme brigue une force et un pouvoir de séduction aussi imposant que celui des hommes, c’est toute une société qui s’apprête à faire sa mue, dans la violence et les luttes intestines. Ainsi Dumas (également inspiré par la vie de Lucy Hay, comtesse de Carlisle) délivrait-il probablement en 1844 un nouveau message révolutionnaire, au-delà d’une belle histoire d’amitié virile qui se poursuivrait dans « Vingt ans après » (1845) puis « Le Vicomte de Bragelonne » (1850)…

Une récit de voyage ? (planches 18 et 19 - Futuropolis - 2019)

Lucy Hay, comtesse de Carlisle (1599 - 1660) ; gravure de Pieter de Bailliu

Philippe TOMBLAINE

« Milady ou le mystère des mousquetaires » par Frédéric Bihel et Sylvain Venayre
Éditions Futuropolis (20,00 €) – ISBN : 978-2-7548-2281-7

Galerie

Une réponse à « Milady ou le mystère des mousquetaires » : le masque et l’épée…

  1. Dans le genre « réhabilitation de Milady », le double album « Milady de Winter » d’Agnès Maupré est quand même beaucoup plus réussi ! http://www.pastichesdumas.com/php/fiche.php?id=459

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