Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
Lire la suite...« Le Horla » par Guillaume Sorel, d’après Guy de Maupassant
Sans trop envahir le marché avec leurs productions, les nouvelles éditions Rue de Sèvres (1) poursuivent leur petit bonhomme de chemin en se forgeant un début de catalogue fort intéressant, entre traductions (« Giacomo Foscari » de Mari Yamazaki, « Zita la fille de l’espace » de Ben Hatke, « Wake up America » de Nate Powell, « Cet été là … » de Mariko et Julian Tamaki…), reprises (« Quatre sÅ“urs » de Cati Baur, « No Pasáran, le jeu » d’Antoine Carrion et Christian Lehmann, « Fanfulla » d’Hugo Pratt…) et romans graphiques réalisés par de grands auteurs contemporains du 9e art : tels Zep, Jacques Ferrandez, Alex Alice ou Guillaume Sorel qui vient d’adapter, avec talent, la plus célèbre nouvelle de Guy de Maupassant, incitant ainsi à une nouvelle lecture et analyse de l’œuvre originale.
Ce récit halluciné raconte l’histoire d’un homme menant une vie contemplative en Normandie et qui va finir par être persuadé qu’une créature au pouvoir grandissant, qu’il baptise le Horla, a pris possession de sa demeure au bord de la Seine et de tout son être. Certes, on y voit les premiers symptômes de la folie de cet écrivain aux dernières années de sa vie, mais Guillaume Sorel reste quand même assez ambigu sur cette partie autobiographique, ne souhaitant pas réduire ce que ressent cet homme à une simple démence. D’ailleurs, le narrateur est accompagné d’un chat ( dont le rôle pas aussi important chez Maupassant) qui semble, lui aussi, remarquer les étranges phénomènes qui commencent à se produire dans la maison : carafe d’eau sur la table de nuit qui est bue, provisions qui disparaissent, objets qui se brisent, fleur cueillie par une main invisible… Et puis, l’homme se rend compte que quand il quitte sa maison, les pouvoirs de l’esprit envahisseur disparaissent ; mais, bientôt, il ne va plus pouvoir sortir de chez lui. Quand la tension du récit atteint son paroxysme, il se retrouve alors prisonnier, au bord du gouffre…
Le dessinateur d’« Algernon Woodcock », d’« Hôtel particulier » ou des « Derniers Jours de Stefan Zweig » », grâce des planches aussi intenses que remarquables sur le plan graphique, réussit fort bien à mettre en scène l’aspect fantastique de cette histoire qui influença Howard Phillips Lovecraft pour son « Appel de Cthulhu ». N’ajoutant des dialogues que quand c’est vraiment nécessaire et remplaçant les textes inutiles par des attitudes corporelles ou des expressions du visage bien significatives, son adaptation se révèle finalement très narrative, transcendée par la luminosité de ses couleurs et la virtuosité de son trait…
Gilles RATIER
(1) Voir : Zep, figure de proue de Rue de Sèvres, la nouvelle structure éditoriale BD de Louis Delas, mais aussi « Une Histoire d’hommes » par Zep, « Zita, la fille de l’espace » T1 par Ben Hatke, Immortel Hugo Pratt…, « Loulou l’incroyable secret » par Grégoire Solotareff et Jean-Luc Fromental, « Quatre sœurs T2 : Hortense » par Cati Baur et Malika Ferdjoukh, « No pasarán, le jeu » par Antoine Carrion et Christian Lehman.
« Le Horla » par Guillaume Sorel, d’après Guy de Maupassant
Éditions Rue de Sèvres (15 €) – ISBN : 978-2-36981-011-7