Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
Lire la suite...« Golden West » : Christian Rossi seul en selle pour célébrer le peuple de Geronimo…
Cela faisait bien longtemps que Christian Rossi, maître de la bande dessinée réaliste qui a forgé ses premières armes auprès de Jijé (« Jerry Spring ») et de Jean Giraud (« Blueberry), n’avait pas signé à la fois textes et dessins d’une bande dessinée. (1) L’histoire dramatique des Indiens, peuple opprimé qu’il a toujours défendu, à travers les aventures de Woan (l’un des jeunes frères d’armes de Geronimo) s’impose tout de suite à lui, lorsque sa directrice de collection chez Casterman lui lance qu’il est temps qu’il arrête de se cacher derrière des scénaristes et qu’il se lance dans un album en solo. Le résultat, somptueux, est aujourd’hui sous nos yeux : 168 pages — en grand format et tout en couleurs — pour une quête initiatique, entre mysticisme et trivialité, qui fait écho au propre parcours de l’auteur…
L’Apache novice qu’est Woan a mis son clan en péril lorsqu’il a provoqué la mort d’un ours (animal sacré pour les Indiens), mais il ne le trahira jamais… Banni par les siens pour conjurer la malédiction, il doit apprendre à survivre dans le Golden West : à la frontière nord-ouest du Mexique. Au sein de ces paysages grandioses des montagnes de Monument Valley, lesquelles nous donnent l’impression d’être à l’aube de l’humanité, Woan va être confronté à des épreuves autant dues aux éléments naturels qu’aux passions humaines.
Le jeune homme déraciné va alors croiser la route d’un chaman, dont les faits d’armes et la spiritualité ont marqué l’Histoire des États-Unis et la légende de l’Ouest : Geronimo ! Sous la tutelle du plus célèbre des guerriers apaches, figure intemporelle de l’ultime élan de résistance d’une civilisation en péril contre l’oppression inhumaine de l’envahisseur blanc, mais aussi contre toutes les formes d’exploitations matérialistes de la nature, sa rédemption s’accomplit, à force de rigueur morale… Tandis qu’il assistera à la disparition programmée et au massacre méthodique des Apaches, loin des épopées glorieuses canonisées par les films hollywoodiens.
Le souffle épique du western passionne depuis toujours Christian Rossi et « Golden West » est, certainement, la synthèse des réflexions qui l’incitent, depuis très longtemps, à donner un sens profond à son travail. Si le scénario — absolument pas manichéen — et la narration tiennent tout à fait la route, les images que l’artiste a réalisées pour cet hymne à la beauté du monde, ainsi qu’à la nature et la spiritualité, sont remarquables, époustouflantes : comme à son habitude ! D’autant plus que, teinté de nostalgie, son dessin — parfois intentionnellement diffus — est mis en valeur par une gamme de couleurs chaudes, réalisées avec des encres acryliques qui offrent de belles lumières douces…
Enfin, les amateurs seront ravis de savoir, qu’en même temps, sort aussi aux éditions Casterman une intégrale du western « Jim Cutlass ».
Créé par Jean-Michel Charlier et Jean Giraud pour le mensuel Pilote qui en publie seulement les 17 premières pages en 1976, le premier épisode est repris et se poursuit dans Métal hurlant, trois ans après.
Pour la deuxième histoire, le créateur graphique de « Blueberry » laisse la place à Christian Rossi, mais Charlier décède en 1989, laissant l’œuvre inachevée. Giraud décide alors de terminer le scénario en cours pour la revue (À suivre), où la série sera proposée dès 1990.
Cinq autres albums seront publiés jusqu’en 1999 chez Casterman, le nouveau scénariste entraînant l’ancien lieutenant antiesclavagiste pendant la guerre de Sécession combattre le Ku Klux Klan et autres extrémistes de tous bords, mais également de redoutables sorciers vaudous et même des morts-vivants : incontournable !
Cependant, un dossier contextualisant la série, comme c’est le cas dans toute bonne intégrale patrimoniale, manque cruellement à l’ouvrage, même si un cahier graphique – en fin d’ouvrage – reprend études et crayonnés de Christian Rossi pour ce personnage …
(1)  Sur Christian Rossi, voir : « La Gloire d’Héra » et « Tirésias » : entretien avec Christian Rossi, Christian Rossi : tout pour le dessin, en cavalcade !, « Niala » : une cible parfaite pour les ayatollahs du politiquement correct…, « La Ballade du soldat Odawaa » : des snipers amérindiens acteurs d’un western en pleine Guerre 14-18…, Les westerns de Christian Rossi (première partie), Les Westerns de Christian Rossi (deuxième partie), « Le Cœur des Amazones » par Christian Rossi et Géraldine Bindi. « La Gloire d’Héra — Tirésias : édition complète » par Christian Rossi et Serge Le Tendre, « Deadline » par Christian Rossi et Laurent-Frédéric Bollée, « XIII Mystery T9 : Felicity Brown » par Christian Rossi et Matz, « Tirésias » et « La Gloire d’Héra », Paulette Comète T.1…
« Golden West » par Christian Rossi
Éditions Casterman (34,90 €) — EAN : 9 782 754 835 572
« Jim Cutlass : intégrale » par Jean Giraud, Christian Rossi et Jean-Michel Charlier
Éditions Casterman (59 €) — EAN : 9 782 203 124 172
Un excellent dessinateur, mais je trouve les couleurs de ces pages bizarres….
Il faut regarder l’ensemble, mais Rossi a toujours essayé de varier les manières et les techniques. Ici il a utilisé l’acrylique, ce qui est inhabituel.
A noter qu’une édition Canal BD donc à tirage limité offre en bonus une couverture alternative et un cahier de 16 pages de recherches, études et découpages qui feront la joie de ses admirateurs.
C’est confirmé : les mises en couleurs sont changeantes suivant les séquences, nombreuses, de ce long roman graphique. Rossi varie les dominantes de couleurs, l’ocre-terreux, le vert, le bleu, le gold, le brique… Les premières pages présentées ne rendent pas compte de cette diversité. Au-delà du dessin, on suit une histoire à hauteur d’homme (et de femme car la jeune guerrière indienne a un rôle important).
C’est un ensemble très beau, et un hommage à la culture amérindienne, les paysages, la terre, les animaux, … Une lecture très agréable, une réussite.