Depuis 2021, chaque année, Tiburce Oger rassemble une belle équipe de dessinateurs et dessinatrices pour évoquer l’Ouest américain à travers des personnages authentiques – le Far West, donc – et l’exploitation de ces territoires par des individus qui oubliaient, bien souvent, qu’ils n’étaient que des colonisateurs assoiffés de richesses…
Lire la suite...B.D. : 59 semaines de bonheur… (deuxième partie)
Suite et fin de l’évocation des cinquante-neuf numéros de B.D., sous-titré L’Hebdo de la B.D., par Henri Filippini. Une décortication précise de cet étonnant journal publié par le Professeur Choron et les éditions du Square dont vous pouvez lire la première partie en cliquant ici : B.D. : 59 semaines de bonheur… (première partie).
N° 21 (27/02/78) : Interview de Tardi par Dominique Grange.
Née en 1940 à Lyon, elle entame une carrière de chanteuse de variété au début des années soixante, avant de rejoindre les mouvements libertaires en 1968.
Dans la clandestinité de 1972 à 1975 pour avoir combattu l’assassinat de Pierre Overney, militant maoïste, elle entre aux éditions du Square en 1975. Elle épouse Tardi en 1983. Le couple adopte quatre enfants, ce qui n’empêche par Dominique Grange de poursuivre ses combats, adhérant à la Confédération nationale du travail (C.G.T.) en 2000.
En 2009, avec Tardi, elle écrit et interprète dix chansons autour de la Première Guerre mondiale.
N° 22 (06/03/78) : deux inconnus, Trambert et Jeanut (futur Jano) livrent « La Gare », un récit de quatre pages.
Dans ce même numéro, deux pages de Monsieur Picotto.
N° 23 (13/03/78) : quatre nouvelle pages de Carlos Trillo et Alberto Breccia (« Un tal Daneri ») et la première partie d’un entretien avec Jean-Claude Forest.
Conclusion des « Cornes du professeur Greffard » de Hugot.
N° 24 (20/03/78) : encore une histoire très sombre en six pages de Carlos Sampayo dessinée par l’Uruguayen Ruben Sosa et et la deuxième partie de l’interview de Jean-Claude Forest.
N° 25 (27/03/78) : Dank, qualifié de talentueux jeune homme par Manchette dans on édito, présente « La Chasse », récit de six pages, lui aussi très sombre, qui semble être son unique passage dans le monde de la BD.
N° 26 (03/04/78) : second épisode de « Vie de chiens » de Rosco et Lazzarini publié sur deux numéros et entretien avec Dimitri le magicien. « Star Soap », première planche de la dessinatrice suisse Véronik (scénario Valentina Bertolami), également présente dans les pages de Circus.
N° 27 (10/04/78) : clap de fin pour « Griffu » de Manchette et Tardi, brève apparition du « Vieux Hippie de 40 balais » (« The Forty Year Old Hippie ») : une bande américaine underground de Ted Richards.
N° 28 (17/04/78) : récit complet de Francis Masse, « Il y avait bien longtemps » (6 pages).
Tardi, occupé par « Ici Même » qui vient de débuter dans (À suivre), propose en avant-première la quatrième aventure d’Adèle Blanc-Sec : « Momies en folie ».
N° 29 (21/03/78) : troisième changement de rédacteur en chef à B.D., en à peine six mois. Manchette, « en congé pour cause de méditation et de malaise métaphysique réunis », est remplacé au pied levé par Dominique Grange.
Récit complet délirant en six planches de Hugot : « Eustache monte au ciel ». Le journal est désormais en kiosque le vendredi, histoire de rendre le week-end des lecteurs plus agréable.
N° 30 (28/04/78) : B.D. passe à 24 pages pour 3 francs et cinquante centimes. Dessinateur fugitif, Vaneville propose « Cœur de singe » en cinq pages.
Arrivée d’André-François Barbe avec « Sans titre » (voir aussi Décès d’André-François Barbe)
et retour de Nicoulaud avec « Songeons un peu ».N° 31 (05/05/78) : « Tecumtha », beau et tragique western en huit planches de Felipe Hernandez Cavaet Luis García.
Entretien, dans un registre plus souriant, avec Yvan Delporte. « Konietz ! », le premier épisode du « Goulag » se termine.
N° 33 (en fait le 32 du 12/05/78) : retour pour dix pages de Trambert et Janut avec « Wakra le rat ».
Début remarqué de Charlie Schlingo avec son « Tampon Destartinn » qui sera présent en dernière page du journal jusqu’à son ultime numéro (voir aussi Charlie Schlingo est décédé).N° 33 bis (19/05/78) : démarrage du « Polar de Renard » par Jean-Gérard Imbar et Jean-Louis, premier round d’un polar animalier qui séduira plus d’un lecteur. Dominique Grange, qui apprécie l’underground US, publie « Les Problèmes sociaux des crapettes » de Bill Griffith.
N° 34 (26/05/78) : Carali, à la Une, propose « L’Amalgame », un récit complet de 9 pages. Débuts hésitants de Frédéric Mercier avec une parodie : « Blatère Britone ».
N° 35 (02/06/78) : retour du « Goulag » avec « Le Malgré moi » par Dimitri. Philippe Bertrand, un habitué de Charlie mensuel, dessine « La Machine « Illu » » récit exotique de 6 planches. L’Italienne Gabriella Verna signe un « Petit chaperon rouge » complètement dingue. Sans en avoir l’air, Dominique Grange impose son goût pour les BD marginales.
N° 36 (09/06/78) : venu lui aussi de Charlie mensuel, Violeff publie « Mine d’or Swing », un polar très noir.
N° 37 (16/06/78) : belle couverture de Barbe pour ce numéro qui voit Pétillon et son Palmer s’en aller vers d’autres horizons. Hugot présente « L’Appel de Simone ! » en six pages, Mako (avec André Igual, alias Igwal) commence « Agence Dugenoux », suicides en tous genres.
N° 38 (23/06/78) : couverture de Jean-Marc Loro — qui finira sa carrière dans les revues du FN — lequel signe en 11 pages « Ni Fleur, ni trombone », un polar nostalgique.
N° 39 (30/06/78) : couverture de Tardi qui livre les dernières planches de l’aventure en cours d’Adèle Blanc-Sec.
Cinq pages pour Charlie Schlingo, qui délire en compagnie d’« Aristide Cheval », et quatre pour un clin d’œil au « Douanier Rousseau » signé Bill Griffith.
N° 40 (07/07/78) : deuxième service pour « Le Polar de Renard » (l’édito nous apprend que Jean-Louis le dessinateur est lead guitar du groupe rock Los Crados, dont faisait aussi partie Denis Sire et Frank Margerin).
Jean-Marc Rochette fait un petit tour avec un récit complet de six pages intitulé « Une mouillette pour Crâne d’œuf ».
N° 41 (14/07/78) : Arrivée du déjanté Telehcuav et de Max Capa : dessinateur italien au style étrange qui signe « Le Monde des engins », un récit de 7 pages.Tout aussi étrange, Violeff propose « Une larme de Rolls ». Plus joyeux, Carali raconte « Une histoire de robinet ».
N° 42 (21/07/78) : conclusion de « Sophie ». Alain Héry, jeune adepte de la ligne claire, dessine « Le Chapeau vert » qui ne lui permettra pas de faire carrière dans la BD. « G.I.M », polar des Espagnols Andres Martin et Luis García confirme la tendance du journal pour les récits complets au détriment des histoires à suivre.
N° 43 (28/07/78) : festival de récits complets avec « Hors du temps » par Griffith, « L’Agence Dugenoux » de Igwal et Mako, Bazooka… « Le Goulag » est le seul rescapé des histoires à suivre.
N° 44 (04/08/78) : retour de « Kebra » par Janot (sans Trambert) dans « Samedi soir ».
L’écrivain Jean-Pierre Andrevon abandonne la plume pour le dessin avec « Le Vibrion », surprenant récit préhistorique, Marc Caro dévoile son talent de dessinateur… et quatre pages de « Maus » par Art Spiegelman qui ne sait pas encore qu’il est en train de réaliser un futur best-seller incontournable (voir Pour une biographie fiable d’Art Spiegelman [1ère partie] et Pour une biographie fiable d’Art Spiegelman [2ème partie]).
Le prix du journal passe à 4 francs et Dominique Grange évoque les problèmes financiers qu’il connaît. Il lui faut 10 000 abonnés pour survivre !
La présentation de B.D. devrait changer en septembre.
N° 45 (11/08/78) : troisième épisode du « Polar de Renard ». Dix pages superbes ! Sept pages de « Prise de conscience » par Carali et retour timide de « Dick Tracy » de Chester Gould. La campagne d’abonnement bat son plein avec des éditos illustrés par Tardi.
N° 46 (18/08/78) : belle couverture de Violeff qui signe « Rossignol de mes amours ». « Panique à Collinwood », traduction de la page dominicale du strip américain « Darks Shadows » dessiné par Ken Bruce. En prime, quelques strips de Filipandré, dessinateur minimaliste présent dans plusieurs journaux de l’époque.N° 47 (25/08/78) : en cinq pages, Monsieur Picotto propose « Expérience pénitentiaire fédéral », Spiegelman dessine « Prisonnier sur la planète Enfer »,Jiélach (?) occupe trois pages avec « Ovni ».
N° 48 (01/09/78) : on note trois strips de Tardi qui n’hésite pas à faire appel à Tintin et à Raquel Welch pour séduire les lecteurs qui ne se précipitent pas pour s’abonner.Max Capa propose un nouveau récit au trait tout aussi étrange que le précédent. Trambert et Janut (toujours pas décidé sur son pseudo) reviennent avec « Ici Radio Kébra ». Enfin, Gérard Bailly et Charles Villoutreix font la fête à Dracula. C’est avec un curieux « Ben merdle alors ! » que « Le Goulag » quitte B.D. pour rejoindre les pages de Charlie hebdo.
N° 49 (08/09/78) : toujours fidèle à la ligne claire, Alain Héry propose « La Sortie » en 8 pages, tandis que « Zippy » de Griffith est de retour pour un long récit.
N° 50 (15/09/78) : dernier numéro de la formule grand format en noir et blanc. Numéro fourre-tout avec Caro, Mako, Schlingo, Telehcuav, Dimitri, Filipandré…
N° 51 (22/09/78) : et voici, enfin, le B.D. nouveau annoncé dans le n° 44. Un format plus petit (24 x 32 cm), 32 pages dont 12 en couleurs, une Une beaucoup plus séduisante avec une illustration de Georges Pichard et un logo titre signé Tardi.
Le prix de 5 francs (le double du n° 1) peut faire tiquer quelques lecteurs.
De la création, et du bon, avec l’arrivée d’auteurs de premier plan : « Les Léviathans » de Paul Gillon (voir En hommage à Paul Gillon),« Le Dossier Goudard » de Jackie Berroyer et Jean-Pierre Gibrat
ou « Alias » d’Anne Vergne et Georges Pichard (voir Les pornos de Pichard).
Le meilleur de l’ancien B.D. est présent : « Le Polar de Renard » d’Imbar et Jean-Louis, Bill Griffith, « Tampon Destartinn » de Schlingo, Hugot, Barbe, Nicoulaud… et une ou deux pages fourre-tout où cohabitent Tardi, Pichon, Kamagurka, Filipandré, Hugot…
Une nouvelle formule prometteuse qui doit affronter la concurrence féroce des mensuels à commencer par celle de Charlie mensuel.
Premier nuage noir : le refus par la commission paritaire des papiers de presse de l’exonération de TVA. Motif : B.D. n’est pas un organe de presse.
« Ça va être sacrément difficile de tenir le coup ! »conclut Dominique Grange dans son édito où, parodiant Marlène Dietrich, elle trône en tenue sexy sur un tonneau.
N° 52 (29/09/78) : annonce, en couverture, de la reprise de « La Reine des pommes », première BD réalisée par Wolinski pour Hara-Kiri, d’après Chester Himes adapté par Melvin Van Peebles. Débuts de « Haggard », parodie de fantasy signée Depralon.
N° 53 (06/10/78) : B.D. est redevenu un magazine d’histoires à suivre…
N° 54 (13/10/78) : dans son édito, Dominique Grange évoque son voyage à New York sous une couverture signée Barbe.
N° 55 (20/10/78) : toujours New York dans l’édito mais aussi six belles pages de Caro (avec Robin).
N° 56 (27/10/78) : « Adieu New York ! ». Retour à la cruelle réalité des chiffres qui est évoquée dans l’édito : « Très léger, tout ça. Trop léger pour qu’on puisse vraiment respirer. Il faut des masses d’abonnements pour que B.D. soit vraiment consolidé. » Bref, la maison B.D. prend l’eau !
N° 57 (03/11/78) : nouvelle des abonnements avec « Pas loin de 2 000. C’est mou, les jeunes. On avait dit 10 000, hein ! Vous vous rendez compte comme on en est loin ? Je ne sais plus comment vous le dire. Un jour, à l’occasion, je vous le chanterai. » Le constat est d’autant plus dur, que je journal a de la gueule, avec ses auteurs tous au rendez-vous.
N° 58 (10/11/76) : Pichard, Hugot, Barbe, Wolinski, Nicoulaud, Poussin, Gibrat, Bertrand, Willem, Gillon, Dupralon, Schlingo, Barbe… Du beau monde ! Hélas…
N° 59 (17/11/76) : dernier édito de Dominique Grange qui annonce la fin du journal avec, comme promesse, « B.D. arrête sa parution hebdomadaire parce que vous ne m’avez pas crue, mais bientôt B.D. reviendra au rythme d’un numéro par mois, c’est-à-dire que la situation est grave, mais non désespérée, à moins d’un coup de théâtre genre 10 000 abonnements dans les quinze jours… » Hélas, B.D. ne reviendra jamais !
Cet ultime numéro laisse inachevées les histoires en cours : « Alias » de Vergne et Pichard, « Dossier Goudard » de Berroyer et Gibrat, « Les Léviathans » de Paul Gillon. « Les Léviathans » continueront aux Humanoïdes associés, « Le Dossier Goudard » dans Charlie mensuel. En revanche, « Alias » sera abandonné. « La Reine des pommes » de Wolinski est le seul récit qui se termine.
Lancer un hebdomadaire, alors que les mensuels de la nouvelle génération avaient le vent en poupe, était un pari audacieux. Pari d’autant plus risqué que le contenu de B.D. était proche de celui de Charlie mensuel, dont les ventes commençaient à décliner, victime des nouveaux venus de plus en plus nombreux sur le marché. Choron, dont le Charlie hebdo était à son zénith, avait pensé que face à la vague des mensuels, un hebdo de bande dessinée novateur avait ses chances. En quelques années, le bel édifice des éditions du Square va perdre de sa superbe, pour finir par disparaître, vaincu par des éditeurs qui, eux, savent compter. Le temps de l’amateurisme était bien mort !
Pour le collectionneur qui le découvre aujourd’hui, B.D. est un ovni : un journal d’un autre temps que seuls les vieux nostalgiques rêvent de voir un jour ressurgir dans les kiosques. Au temps des albums et des romans graphiques, l’hebdomadaire des éditions du Square est, hélas, une antiquité.
Henri FILIPPINI
Merci pour cette histoire illustrée. Un vrai plaisir.
Je vais me replonger dans ma collection…