Les combats cachés à l’ombre des super-héros de comic books américains – 1ère partie

Les super-héros sont à la mode, au cinéma, à la télévision et, bien sûr, dans les comic books… Mais lequel de ces personnages est réellement le plus fort ? Question difficile, selon le sens que l’on donne au mot force…

Des voix s’élèvent. « Galactus ! » s’écrient les plus mystiques, évoquant le gigantesque dieu cosmique dévoreur de planètes. « Superman ! » les plus vieux. « Mais non, c’est Hulk ! » s’agacent d’autres, au risque de verdir de rage…

Comme dans l’épisode de Thor de Journey into Mystery 112 (janvier 1965), où des fans crétins se disputent qui est le plus costaud, de Thor ou de Hulk, le public semble fasciné par ces super-matchs de catch…

La demande est telle qu’en 1976, un cross-over défraye la chronique : l’affrontement de Superman (DC) et Spider-Man (Marvel) ! Opéré par Carmine Infantino, le patron de DC, et Stan Lee, ce combat des chefs bon enfant entre les deux leaders du marché fait croire à un certain angélisme dans la profession, même s’il s’agit d’une fructueuse opération commerciale. Le miracle se reproduira dans les années 80, avec un match retour entre les personnages, Batman et Hulk et X-Men contre New Teen Titans… mais, fierté éditoriale oblige, personne ne perd vraiment !

Le monde des comic books est-il vraiment fleur bleue ? Cette violence n’est-elle que sur la page imprimée ou cache-t-elle autre chose ?

Peut-être bien… Aujourd’hui, 80% du marché est détenu par les deux Majors : DC Comics, Inc., appartenant depuis 1989 au groupe Time Warner (26,9 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2008) et Marvel Entertainement, acquis en 2009 par la Walt Disney Company pour la coquette somme de 4 milliards de dollars.

Et derrière les pugilats de super-héros, de véritables bagarres tout aussi cataclysmiques ont émaillé l’histoire des comic books… des foires d’empoigne entre maisons d’édition et auteurs, des batailles juridiques à grands coups de dollars…

Quand le monde impitoyable des affaires rencontre celui des comics, les onomatopées indiquent plutôt les condamnations en justice et les banqueroutes…

 

Le premier coup bas…

Le Major Wheeler-Nicholson Vs. Harry Donenfeld et Jack Liebowitz

Tout commence en 1937, lorsque le Major Wheeler-Nicholson, éditeur de National Allied Publications s’associe à deux petits requins des affaires, Harry Donenfeld et Jack Liebowitz, qui ont monté leur société de distribution, Independent News. La maison d’édition est renommée DC Comics. Le Major est vite dépossédé de sa boîte, de ses revues et des artistes qui y travaillent, notamment Jerry Siegel & Joe Shuster…  On raconte qu’au retour de ses vacances, Wheeler-Nicholson aurait trouvé les serrures de son propre bureau changées par ses deux partenaires…

« It’s a bird! It’s a plane… »

Deux gamins de Cleveland, des nerds comme on dirait aujourd’hui, des fans de SF qui, après l’école, tentent de vendre leurs dessins… Jerry Siegel et Joe Shuster ont 18 ans. Nous sommes en 1932. L’Amérique se remet difficilement de sa première crise financière. Les comic books n’existent pas encore. Il y a bien quelques fascicules publicitaires gratuits compilant des planches du dimanche, mais la bande dessinée s’appelle encore « Sunday page » ou « comic strip » et ses grands auteurs travaillent pour les agences de presse (les Syndicates). Pour Siegel et Shuster, la chance survient en 1937, lorsque la firme du Major Wheeler-Nicholson leur commande deux séries mineures (Henri Duval et Dr. Occult, pour New Fun Comics).

Là, le directeur de publication Vince Sullivan achète leur histoire d’homme volant restée inédite depuis 1932. Les droits s’élèvent à 130 dollars. Et lorsqu’Action Comics n°1 sort en juin 1938, c’est un énorme succès… grâce à Superman, le premier des super-héros.

Kal-El alias Superman est Kryptonien, le dernier survivant de sa planète détruite, un surhomme sur la nôtre. Toute la mythologie du personnage est déjà dans le premier épisode et les histoires s’adaptent parfaitement au nouveau format des comic books.

Gobbels disait « Superman est juif », à l’instar de ses créateurs, et il avait raison… Tel le Golem du Rabin Loew, popularisé par Gustav Meyrink, Superman est indestructible… peut-être même un peu trop par rapport aux menaces qu’il affronte. En tout cas, ses auteurs ne le seront pas… En 1946, la compagnie acquise par Donenfeld et Liebowitz continue sa croissance, absorbant All-American Publications. Au passage, elle récupère Flash, Hawkman, Atom, Green Lantern, Wonder Woman, qui s’ajoutent à Superman, Batman… et à Superboy, en 1945 dans les pages de More Fun n°101, une incarnation plus jeune du héros, toujours sous la houlette de Siegel & Shuster…

Et c’est à la fin de leurs contrats pour DC en 1946 que les ennuis commencent vraiment. Les deux hommes veulent récupérer les droits de leur personnage et perdent un premier procès. Dans la législation américaine, l’auteur « sous contrat » a un salaire fixe et aucun droit sur ses créations dans le cadre de son travail, contrairement au « free-lance » qui cède l’exploitation de ses personnages à l’éditeur pour une durée de 27 ans. En 1975, pendant la production du film Superman de Richard Donner, les deux auteurs, vieux et à court d’argent, reçoivent quelques dollars et une assurance maladie de leur ex-éditeur. Mais ils ne désarment pas et finissent par obtenir le copyright de Superboy en 1976.

Un nouveau procès impliquant les héritiers de Siegel et la Time Warner démarre en 1999… gagné en 2008 par la famille, qui récupère enfin un pourcentage sur les intérêts perçus depuis 1999…

Wonder Man Vs. Superman…

En 1939, l’éditeur Victor Fox a les yeux qui brillent en découvrant les chiffres de ventes d’Action Comics. C’est décidé, il sera « le roi des comics » ! Il monte une société dans le même building que DC Comics sur Lexington Avenue (NYC), engage le studio de Will Eisner (le futur créateur du Spirit) et inonde le marché de revues décalquées sur celles de son voisin du dessus. Liebowitz et Donenfield font des bonds au plafond lorsqu’ils voient Wonder Man sauter de buildings en buildings sur la couverture de Wonder Comics n°1 (mai 1939). Le procès ne se fait pas attendre. Fox perd, se brouille avec Eisner (qui ira travailler pour la concurrence et Wonder Man disparaît aussi vite qu’il était apparu… tombé de l’immeuble, vraisemblablement !

« Mon garçon, l’Amérique va faire de toi un surhomme ! »

C’est ce que dit en substance le Professeur Reinstein au jeune et frêle Steve Rogers, désireux de s’engager dans l’armée US à l’aube de la 2e guerre mondiale… Et Captain America sera le fruit d’une expérience extraordinaire et unique dans la BD, digne de celles que vantent les publicités du culturiste Charles Atlas ! En fait, le personnage est né de l’imagination de Joe Simon, alors directeur de publications free-lance chez Timely (future Marvel). Nous sommes en 1939. De confession juive, Simon voyait en Adolph Hitler le super-vilain ultime, après l’invasion de la Pologne et La nuit de cristal… Qui pourrait affronter un tel monstre ? Simon invente Captain America, symbole de l’Amérique de Roosevelt, patriote certes mais sociale et tolérante, et cela plus d’un an avant Pearl Harbor et l’entrée en guerre des USA. Le super-soldat mobilisera les consciences, entraînant toute une génération d’Américains sur les champs de bataille.

Avec le dessinateur Jack Kirby, les deux hommes produisent dix numéros qui bouleversent le style balbutiant des comic books, explosant la mise en page à coup de splash pages et d’expressionnisme gestuel (particulièrement dans les scènes de bagarre). Le résultat, extrêmement dynamique, impose une grammaire à cette nouvelle forme d’expression graphique. Mais le monde des affaires va encore faire des siennes. L’éditeur de Timely, Martin Goodman, « oublie » de donner leurs dividendes aux auteurs, préférant s’acheter un palace sur Long Island et déménager sa société dans le prestigieux Empire State Building. Les deux créateurs partent furieux chez DC Comics… Alors qu’ils sont sous les drapeaux, un serial de Captain America sort sur les écrans sans qu’ils soient avertis ou rémunérés !

En 1959, Kirby est contraint de revenir travailler à Marvel, suite à des désaccords avec DC. Mais Simon n’a pas dit son dernier mot… Après quelques échanges musclés avec Stan Lee, le neveu de Goodman promu directeur de publications, il fait un procès à Marvel en 1969, pour récupérer les droits de Captain America lorsque la licence expire au bout des 27 ans d’exploitation.

Joe Simon Vs. Goodman et Stan Lee (avec Kirby)

La riposte est immédiate. Goodman fait signer à Kirby un avenant à son contrat, modifiant son statut de free-lance en celui d’employé (« work for hire »). Captain America appartient désormais à moitié à Marvel. Un accord est trouvé avec Simon. Un marché de dupes. Contre une somme ridicule, Simon arrête le procès et signe le même papier que son camarade. Goodman et Stan Lee respirent… En 1979, au moment de la production des téléfilms, Stan Lee aura même le culot de s’attribuer la paternité du personnage au générique (et de toucher des droits d’auteur).

Mais Simon est pugnace… À la fin des années 90, lors du renouvellement des droits, il refait un procès… qu’il perd encore !

La guerre pour de vrai…

Jack Kirby, comme d’autres artistes, se retrouve sur le front européen en 1944. Directement confronté à une violence réelle et abjecte, bien loin de l’héroïsme naïf de ses propres séries (Captain America, Boy Commandos), l’artiste restera marqué au fer rouge d’un sérieux syndrome post traumatique. Au retour, une foule de souvenirs, de personnages et d’atmosphère enrichiront son imaginaire et ses talents d’auteur exploseront dans les années 60.

Superman contre le gros fromage rouge !

En 1940, un super-héros vêtu de rouge apparait dans la revue Whizz Comics éditée par Fawcett : Captain Marvel ! Issue du tandem Parker-Beck, la série est un énorme succès. Les ventes dépassent rapidement celles de Superman, peut-être en raison de l’identité secrète du personnage, le teen-ager Bill Batson, du même âge que les lecteurs.

Là encore, DC voit rouge, et pour cause ! Un procès débute en 1941. Il durera douze ans, avant que Fawcett ne jette l’éponge, suite aux frais engagés. Captain Marvel retourne pour quelques temps dans les limbes d’où l’avait invoqué Billy Batson… avant de revenir en 1973, sous le label DC !

La surproduction contre les éditeurs 

En 1947, la pénurie de papier instaurée par le conflit se termine. Les éditeurs d’avant-guerre, rejoints par des nouveaux venus, alléchés par les chiffres d’affaires juteux, inondent de nouvelles publications les présentoirs des drugstores. La surproduction est telle que seuls les gros éditeurs survivent. Dans l’intervalle, les distributeurs se remplissent les poches. Le public ne veut dorénavant plus de BD va-t-en-guerre à super-héros patriotes et préfère les comics policiers, d’amour, d’horreur, les westerns, les Funny Animals…

La suite la semaine prochaine …

Jean DEPELLEY

mise en pages Gwenaël Jacquet

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5 réponses à Les combats cachés à l’ombre des super-héros de comic books américains – 1ère partie

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  2. Bizdou dit :

    Super article vraiment très intéressant. ;)

  3. dutrey jacques dit :

    Clair, concis, complet, plaisant à lire, que voilà un bon article!

    Cela me fait penser à « Men of tomorrow, Geeks, gangsters and the birth of the comic book » de Gerard JONES et aux articles de Ron GOULART, deux bons écrivains qui ont compris qu’on peut aborder des sujets complexes en termes simples, ave humour.

  4. Une formidable remontée dans le passé: cette période est peu connue, j’apprends donc des foules de choses… d’autant plus que je n’y connais pas grand chose aux comics (à part les classiques du style Mandrake, Tarzan, Flash Gordon, Bradford, Popeye, Peanuts). Merci encore à Bdzoom! Votre contenu est meilleur que celui de DBD ou de Casemate! Et de plus, gratuit, ce qui me réchauffe le coeur en ces temps de récession et d’austérité.

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