« Pat’ Apouf détective »

Publiée de 1938 à 1990 dans « Le Pèlerin », la série « Pat’Apouf » fut l’une des plus longues et des plus lues bandes dessinées de l’après-guerre

L’érudit historien du 9ème art qu’est Dominique Petitfaux (qui fût l’un des membres éminents de l’équipe du regretté Collectionneur de bandes dessinées*, voir à ce propos : http://bdzoom.com/spip.php?article3560) n’a de cesse de réhabiliter l’une des plus longues et des plus lues bandes dessinées de l’après-guerre, laquelle, finalement, est en cours de réédition aux éditions du Triomphe, depuis 2005. Il s’agit de la série « Pat’ Apouf détective », publiée, du 6 mars 1938 au 27 juillet 1990, dans le magazine Le Pèlerin, l’une des publications de la Bonne Presse (ancêtre de l’actuel groupe Bayard Presse) qui se vendait, certaines années, jusqu’à 500 000 exemplaires par semaine. Créé en 1873, cet hebdomadaire fut même le premier, en France, à introduire, en 1892, un dessin en couleurs dans ses pages.

Le créateur de « Pat’ Apouf », Gervy (de son vrai nom Yves Desdemaines-Hugon) était un Girondin dont le dessin évoluait entre la Ligne Claire d’Hergé et le style rond des comic-strips américains. Quant à la série elle-même, elle se présentait sous la forme de longues enquêtes, souvent complexes et exotiques (car situées aux quatre coins du monde), mettant en scène un malicieux détective à l’aspect désuet, incorrigible fumeur qui ne dédaignait pas une bouteille de bon vin. En effet, malgré son propos général tout de même assez passéiste, « Pat’ Apouf » n’hésitait pas, toutefois, à braver, par moments, la morale publique et les canons de la littérature pour la jeunesse de l’époque : étonnant postulat quand on sait que cette bande dessinée, pleine d’humour, était publiée dans un journal de la presse catholique connu pour ses positions plutôt conservatrices.

Gervy anima cette série jusqu’en 1973 pour passer le pinceau, le 3 juin de cette même année, au prolifique Jean Ache, sur « Le secret de l’urne zapothèque » : un épisode très Ligne Claire qui connu une reprise en album aux éditions Hachette, en 1975, sans grand succès. Le dessinateur d’« Arabelle », d’« Archibald » ou de « Nic et Mino » (encore des séries que l’on ferait bien de rééditer ! ! !) continua cependant à l’illustrer, jusqu’à sa mort en 1985. Sa dernière planche, pour « La perle noire de Gengis Khan », parut le 11 avril 1986 dans Le Pèlerin et l’histoire fut poursuivie, dès la semaine suivante, par Michel Conversin, lequel en réalisa encore deux autres aventures (jusqu’au 24 juin 1988).

Ensuite, du 1er juillet 1988 au 27 juillet 1990, « Pat’ Apouf » fut confié aux bons soins de Gulcis et Ballofet. Le premier n’était autre que le pseudonyme occasionnel de Guy Vidal, scénariste estimé et célèbre rédacteur en chef de Pilote, et le second dissimulait Philippe Callens, journaliste à Libération (connu également sous un autre nom d’emprunt pour ses chroniques dans Fluide Glacial : Phil Casoar) ; ce dernier relança cet optimiste détective bon vivant dans un style graphique proche de celui de Louis Forton (le papa des « Pieds Nickelés » et de « Bibi Fricotin ») et finalement pas si éloigné que ça de celui de Gervy.

Seulement voilà, même si, grâce à son exceptionnelle longévité, cette série reste ancrée dans le souvenir de millions de lecteurs sur plusieurs générations, ce classique du 9ème art franco-belge (souvent snobé par quelques gardiens du temple) n’a pas autant d’aura qu’un Alain Saint-Ogan ou qu’un Hugo Pratt (par exemple) : deux autres auteurs dont Dominique Petitfaux est également un grand spécialiste. Donc, seules les éditions du Triomphe ont accepté de prendre le risque de reprendre, à leur catalogue, les récits de cet enquêteur original, dessinés et scénarisés par Gervy. Elles ont commencé par l’intégrale de ce que les spécialistes considèrent comme la meilleure période : laquelle court de 1945 à 1956, après que « Pat ?Apouf » ait été obligé de s’exiler dans les pages du magazine Le Foyer (en 1940), avant de réintégrer définitivement Le Pèlerin, cinq ans plus tard. Même si le propos de ces amusants épisodes a un peu vieilli, tout véritable amateur de mystères et de bandes dessinées se doit de les posséder dans sa bibliothèque !

Certaines de ces aventures tumultueuses ont été rassemblées, dans un total désordre, dans seize albums édités par la Bonne Presse. Ces derniers sont aujourd’hui très recherchés (alors qu’ils n’étaient pourtant jamais mis en couleurs, contrairement aux planches proposées à l’origine dans Le Pèlerin ou même dans la version « remasterisée » du Triomphe) : pour vous en donner une idée, le quatrième de ces ouvrages (« Pat ?Apouf contre les gangsters » qui vient justement d’être réédité ce mois-ci) atteint la côte mirobolante de 800 euros dans la dernière édition du « BDM-Trésors de la bande dessinée » aux éditions de l’Amateur (laquelle devrait arriver chez votre libraire, en principe, vers le 15 novembre) ! Abordant le thème de la guerre froide dans cette histoire qui fut prépubliée dans Le Pèlerin du 10 avril 1949 au 5 février 1950 (« Pat ?Apouf », accompagné ici par un jeune garçon « bien comme il faut » de treize ans, affronte des royalistes distingués qui veulent rétablir la monarchie en Slavonie et des espions travaillant pour l’Union soviétique), Gervy y peaufine son style graphique qui devient de plus en plus expressif, ainsi que sa narration qui privilégie alors une meilleure lisibilité pour nous assener suspense insoutenable, atmosphères oppressantes et réflexions morales ou métaphysiques ; en effet, durant toute cette époque, les allusions à la religion sont légion : les bandits se repentant souvent en priant avant de mourir…. Pourtant, même si pour Gervy l’existence de Dieu était une évidence, il ne manquait jamais une occasion pour mettre en avant le libre-arbitre de l’homme…

Interrogé sur la création de son personnage jovial à la silhouette rondouillarde dans le n°32/33 du fanzine belge L’Âge d’or qui lui fut consacré, en 1994, Gervy (qui devait nous quitter quatre ans plus tard à l’âge de 89 ans) déclarait : « J’en avais assez de voir partout, comme héros principal, de superbes athlètes doués de toutes les vertus, à qui tout réussissait… J’ai voulu créer un homme, et non un surhomme : bref, un personnage plus humain… »

Gilles RATIER, avec Laurent TURPIN aux manettes

* Outre les préfaces des albums édités par Le Triomphe, Dominique Petitfaux a rédigé de nombreux articles sur Gervy ou sur « Pat ?Apouf », en particulier dans les n°21, 24, 34, 43, 45, 65 et 86 du Collectionneur de bandes dessinées et dans L’Almanach du Pèlerin 1988.

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5 réponses à « Pat’ Apouf détective »

  1. José Jover dit :

    Cher Gilles, j’ai relevé quelque chose dans ton (votre) excellent article (comme d’habitude !) : le vrai nom de Phil Casoar n’est pas Philippe Callens mais bien Philippe Pascal ! ce n’est pas le même Philippe de « Libération » donc ? à vérifier ! bien à toi… avec une mousse sinon rien !^^
    José el Tartamudo.

    • Patrick Gaumer dit :

      Bonjour Gilles,

      En fait, la confusion originelle vient sans doute du fait que les noms de (Phil) Casoar et (Stéphane) Callens sont associés sur la couverture de l’épatant (jeu de mots, ha ! ha !) album « Les aventures épatantes et véridiques de Benoît Broutchoux », un ouvrage très « fortonien » consacré au célèbre anarchiste (éd. Le Dernier Terrain Vague, 1979)

      Je viens de vérifier dans mon dico et avais déjà annoté un AV (non pas César, mais « à vérifier », comme lorsqu’une précision ou une recherche complémentaire me semble opportune), à l’entrée Pat’Apouf (p. 606). Phil Casoar est le pseudonyme de Philippe Pascal.

      Espérant avoir répondu à ta question,

      Amitiés,

      Patrick

  2. picot1 dit :

    D’excellentes informations bienvenues en cette période morose.
    A quand la suite de ces magnifiques rééditions ?
    picot1

  3. Dominique Petitfaux dit :

    Ballofet existe, je l’ai rencontré ! Ballofet est son vrai nom, et son prénom est Jean-Philippe. Il n’a donc aucun rapport avec Phil Casoar. Précision supplémentaire : ses planches de « Pat’Apouf » étaient encrées par Pascal Pille. D’autres informations seront données lors de l’exposition sur Gervy qui aura lieu en janvier 2012 à Angoulême (à l’église Saint-Martial) et dans un article que je compte écrire pour un prochain numéro de la revue « Papiers Nickelés ».
    Dominique Petitfaux

  4. Jean-Pierre Toubeau dit :

    Tout le monde semble ignorer que Gervy a publié dans l’hebdomadaire catholique belge (comme son l’indique ) Petits Belges /Tremplin les aventures de Ritou reporter , bd qui étaient souvent un décalque parfait des aventures de Pat’apouf. Cette revue injustement oubliée par les historiens contenait également de nombreux dessins et bandes de François Craenhals et de dessinateurs flamands peu connus en Wallonie

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