Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
Lire la suite...« Tif et Tondu »
A l’occasion de la parution du quatrième volume de l’Intégrale des «Tif et Tondu», nous revenons sur la ressemblance entre les aventures du célèbre duo chauve et barbu de Tillieux et ses précédents travaux dans les Héroïc-Albums.
Les éditions Dupuis se devaient de rééditer la série « Tif et Tondu » car cette dernière, étant née en même temps que l’hebdomadaire Spirou (le 21 avril 1938), est complètement emblématique ! C’est chose faite depuis mars 2007, sous la forme d’intégrales thématiques (donc, sans souci chronologique) réunissant, à chaque livraison, trois épisodes complétés par de solides dossiers et des illustrations ou de courts récits inédits en albums. Le rythme de parution est assez soutenu puisque voici déjà le quatrième recueil qui regroupe les aventures du chauve et du barbu (dessinées par Will et scénarisées, ici, par Maurice Tillieux) dont la particularité est de mettre en scène des mystifications : des événements qui semblent surnaturels (du style cadavres qui ressuscitent, fantômes qui se promènent dans de petits villages perdus, araignées géantes qui envahissent les plages, monstres qui surgissent du néant ou armures qui prennent vie), mais dont nos héros, flanqués de l’impétueuse et ravissante comtesse Amélie d’Yeu (dite Kiki), ne tardent pas à dévoiler la réalité ! On y retrouve l’ingéniosité des intrigues et l’humour des dialogues (avec ces jeux de mots idiots qui vous font hurler de rire) qui font la marque des scénarios de Tillieux, ainsi que l’élégance et l’efficacité du dessin « atome 58 » de Willy Maltaite qui signait Will.
L’érudite préface due à Patrick Pinchart oublie juste de mentionner l’autre point commun entre les trois histoires de 44 pages proposées ici : ce sont toutes des reprises, certes considérablement améliorées, de récits plus courts, écrits et dessinés par Maurice Tillieux pour les Héroïc-Albums (publication belge créée, en 1945, par Fernand Cheneval, et où de nombreux monstres sacrés du 9ème art francophone firent leurs premières armes : Tillieux, Greg, Craenhals, Weinberg, Funcken, Jidéhem…).
En effet, « Les ressuscités » (première publication dans Spirou en 1972) combine deux aventures distinctes, parues en 1949, mettant en scène le détective « Félix » (une préfiguration du « Gil Jourdan » du même Tillieux) : « Le gouffre de Kelgaf » (précédé d’un épisode au titre éponyme à cette aventure de « Tif et Tondu ») et « Fausse monnaie » ;
« Un plan démoniaque » (publié de 1973 à 1974 dans Spirou) reprend, quant à lui, trois épisodes de « Félix » : « Les chevaliers de l’apocalypse », « On a volé des cerveaux » et « L’effroyable armée » qui datent de 1956, et que l’on peut retrouver dans le tome 7 de l’intégrale « Félix », toujours disponible aux éditions Frédéric Niffle (l’actuel rédacteur en chef du journal Spirou), sous couverture inédite de Ted Benoit (d’après Tillieux) ;
quant au « Retour de la bête » (dans Spirou en 1976), c’est l’adaptation d’un récit complet de 12 pages ayant pour héros « Bob Bang », un lieutenant de marine télégraphiste : « Quatre squelettes et un cercueil », créé par Tillieux en 1947, et que l’on peut relire dans l’album « Les aventures de Bob Bang », aux éditions de l’Elan (www.editionselan.be).
Il faut dire qu’à l’époque, cela se faisait beaucoup de réutiliser des scénarios pour d’autres personnages des mêmes auteurs ; et on ne s’en formalisait pas car les lecteurs étaient rarement les mêmes : l’usage venant des Américains qui l’avaient toujours fait (et qui continuent d’ailleurs à le faire, notamment dans les dessins animés télévisés). Maurice Tillieux, lui, en profitait pour retravailler ses meilleures trames qu’il avait conscience d’avoir, souvent, un peu trop écrites à la hâte, sans en tirer tout le suc possible : la limitation à 12 ou 13 planches limitant les possibilités de découpage.
Les éditions Dupuis ont donc prévu, au total, 16 recueils pour cette intégrale bienvenue qui, non seulement ravît les nostalgiques, mais touche aussi un nouveau lectorat fasciné par la modernité de la narration et du dessin. Cependant, il y a peu de chances que pour que l’on ait, un jour, droit à une véritable intégrale de cette série qui fait partie intégrante de l’épopée du journal Spirou. Il faut dire que les abracadabrantes pérégrinations composées, à l’origine, par l’Anderlechtois et ancien colonial Fernand Dineur, dans un style graphique pas très éloigné de celui de Louis Forton (le papa des « Pieds Nickelés »), ont pris un sacré coup de vieux : déjà , en 1949, la rédaction de Spirou avait jugé son dessin trop désuet et l’avait fait remplacer par Will, même si Dineur continuait d’en écrire les scénarios et s’il en réalisa une version parallèle (de 11 épisodes) publiée dans les Héroïc-Albums. Fernand Dineur fut ensuite remplacé, au scénario, par Luc Bermar (en 1952), par Maurice Rosy (en 1955), lequel donna naissance à l’énigmatique M. Choc, par Maurice Tillieux (en 1968), par Stephen Desberg qui officiait déjà comme assistant de Tillieux (dès 1977), et par Denis Lapière (en 1990). Ce dernier tenta de relancer ces personnages, devenus un peu poussiéreux malgré les sujets adultes abordés (comme la dénonciation de l’extrême droite), avec la complicité du dessinateur Alain Sikorski. Hélas, malgré la qualité des scénarios qui faisaient penser aux meilleurs Simenon, la série a été victime d’une désaffection progressive de son lectorat et finit par disparaître en 1997. Jusqu’à ce que sorte cette belle intégrale…, qui n’en est pas vraiment une !
Il y peu de chances également que l’on y retrouve les 2 aventures conçues par Marcel Denis, entre 1960 et 1961, lors de la défection de Will parti faire le directeur artistique chez Tintin : « Tif et Tondu à Hollywood » et « Ne tirez pas sur l’hippocampe ! », albums qui viennent d’être réédités aux éditions La Vache qui médite (www.lavachequimedite.com). A moins que le succès qui est déjà au rendez-vous pour cette belle réalisation des éditions Dupuis se transforme en un véritable plébiscite, avec de plus en plus de nouveaux lecteurs… Alors, qu’est-ce que vous attendez pour vous ruer chez votre libraire habituel et pour conseiller, vous aussi, l’achat de cette indispensable intégrale ?
Gilles RATIER
Pour en savoir plus sur les auteurs cités dans cet article, vous pouvez vous reporter également à (cliquez sur le titre pour accéder directement à l’article concerné) :
- L’envers des planches de… Maurice Tillieux,
- Un nouvel Elan pour Maurice Tillieux,
- L’atelier Franquin.
Bonjour ! Je suis un fervent lecteur de BDZoom, mais cet article m’a fait sursauter. Au risque de passer pour un sacré emmerdeur (j’ai écrit le scénario du dernier Lefranc, « Londres en Péril », ainsi que des textes d’un prochain « Gilles de Rais » / Voyages de Jhen, mais les enfants Martin se sont opposés à ce que je les signe), je voudrais préciser que je suis l’auteur des dossiers accompagnant les rééditions de Tif et Tondu, Patrick Pinchart signant le « mot de l’éditeur ». J’assume donc seul les aimables reproches que vous adressez pour le volume 5. En réalité, ces informations étaient stockées pour un autre volume de l’intégrale, qui parlera des sources de Tillieux. Bravo néanmoins pour votre érudition. A laquelle je ne peux m’empêcher d’apporter une précision : l’épisode « Oscar et ses Mystères » est signé par Albert Desprechins, au scénario, sous le pseudo de Ben. C’est lui qui a inventé les « Petits Hommes », alors qu’il était secrétaire de rédaction chez Spirou, à la fin de l’époque Delporte. Desprechins fut mon rédacteur en chef chez Télémoustique, et je lui ai sucéédé à ce poste, de 1983 à 1995. Ma petite vanité ainsi comblée, bravo et longue vie à BD Zoom !
Dont acte ! Votre participation à cet ouvrage nous avait en effet échappé. Et Merci pour toutes ces informations complémentaires.