Dix ans après la parution de « Résurrection », la première partie d’un diptyque accouché dans la douleur, voici enfin « Révélations » : conclusion du dernier récit du regretté Philippe Tome, décédé alors qu’il travaillait sur les dernières pages de son scénario. Les éditions Dupuis proposent, enfin, l’intégralité de cette aventure magistralement dessinée par Dan Verlinden, digne successeur de ses deux prédécesseurs : Luc Warnant et Bruno Gazzotti.
Lire la suite...À l’occasion des 50 ans du personnage : l’origine de Spider-Man ! – 1ère partie
Fin 1961, suite au succès de Fantastic Four, dont le n°1 est paru le 8 août (avec une date de couverture de novembre), Jack Kirby propose en free-lance de nouvelles idées de personnages au directeur de publications/scénariste Stan Lee, chez Atlas-Marvel : la maison d’édition de Martin Goodman…
La société est toujours en difficulté financière. Jack apporte plusieurs projets, dont celui d’un nouveau super-héros : « Spiderman ».
Pour illustrer son propos, il amène un logo pour une série potentielle. Stan Lee est intéressé. Ce nom lui rappelle « The Spider », un détective des pulps de son enfance. Il commande à Jack un épisode du personnage…
Jack Kirby crayonnera une première histoire.
Pourtant, le personnage édité, qui triomphe aujourd’hui au cinéma, n’a pas grand chose à voir avec celui imaginé par Kirby…
Retour sur une histoire d’arthropodes décidément bien compliquée…
Araignée ou mouche ?
Pour expliquer les origines du personnage, il convient de suivre la piste de ce logo « Spiderman », apporté par Kirby, et de revenir aux années 50, époque à laquelle Jack travaillait encore avec Joe Simon, formant le plus célèbre tandem de l’histoire des comic books…
En 1953, Joe Simon, aidé de son beau-frère, le scénariste Jack Oleck, cherche un nouveau personnage de super-héros destiné à Harvey Comics, dans la foulée du « Captain 3-D » de Simon & Kirby.
Simon engage C.C. Beck, l’artiste talentueux de « Captain Marvel», en panne de travail (1).
Le héros imaginé est appelé… « Spiderman », et Joe réalise un logo ; celui même que Jack apportera à Stan Lee, huit ans plus tard ! Mais Simon abandonne l’idée, le nom ne lui plait pas.
Le personnage est rebaptisé « Silver Spider ». Une histoire est crayonnée par Beck, sur scénario d’Oleck, et lettrée par Howard Ferguson. À l’instar de Captain Marvel, Silver Spider est un teen-ager qui se transforme grâce à une bague magique.
Est-ce un hasard, Simon & Kirby avaient travaillé douze ans plus tôt sur le premier numéro de Captain Marvel Adventures ? « Silver Spider » est soumis au jeune éditeur Sid Jacobson chez Harvey.
Mais l’éditeur le refuse. Raison invoquée : le super-héros et son alter ego teen-ager paraissent passés de mode.
De plus, Captain 3-D n’a pas tenu ses promesses d’un point de vue ventes…
1954 : Joe Simon et Jack Kirby montent leur propre maison d’édition, la Mainline, et sortent quatre nouvelles revues : Bullseye, Police Trap, In Love, Foxhole.
Ils envisagent également de publier des super-héros et imaginent « Night Fighter », un super-agent équipé de gadgets et préfigurant Iron Man.
Mais la période est incertaine et ils préfèrent prudemment en rester là… « Night Fighter » ne sort pas des tiroirs…
Heureusement, car la Mainline est liquidée ; elle est victime de la banqueroute de leur distributeur Leader News (dont le principal client, E.C. Comics, a coulé suite à la commission sénatoriale de 1954, instaurant le « Comics Code »).
La tandem Simon & Kirby n’y résistera pas…
Joe devient directeur de publications chez Harvey.
Malgré tout, Simon et Kirby restent en bons termes et œuvrent ensemble chez cet éditeur, produisant ses nombreux titres réalistes (Black Cat Mystic, Alarming Tales, Race for the Moon, First Love, War Front, Western Tales…).
De son côté, Jack travaille en solo pour Atlas-Marvel, alternant western, SF, fantastique et récits d’amour ou de guerre (dans Gunsmoke Western, Kid Colt Outlaw, Tales to Astonish, Tales of Suspense, Journey into Mystery, Love Romances, Battle…).
Véritable monstre de travail, Jack Kirby produit en parallèle « Sky Masters », un Daily Strip et des Sunday Pages sur la course à l’espace pour le Syndicate George Matthew Adams Service.
Quant à Joe Simon, il dessine pour la campagne du Républicain Nelson Rockfeller au poste de gouverneur de l’État de New York.
C’est à ce moment charnière que John Goldwater, l’éditeur de MLJ, fait appel à Joe.
La mode revenant aux « super-héros », l’éditeur d’Archie décide de suivre la tendance amorcée par les revues DC (notamment Showcase et son revival de « Flash » et « Green Lantern »…), en confiant à Simon la direction éditoriale et artistique de deux magazines.
En avril 1959, Simon vient de lâcher son poste chez Harvey et rencontre fortuitement son camarade Jack Kirby à Columbus Circle (NY). Évidemment, Joe propose le travail à Jack.
Ainsi (re)voient le jour :
- « Private Strong » (alias The Shield)… Parfois, l’histoire prend des détours surprenants, car « The Shield » (inventé par Harry Shorten & Irv Novik dans Pep Comics # 1 en octobre 1940), fut le premier super-patriote américain – antérieur au « Captain America » de Simon & Kirby chez Timely – et Goldwater avait failli intenter un procès pour plagiat quand le premier numéro de Captain America Comics était sorti en décembre 1940. Un arrangement avait été trouvé à la dernière minute : le bouclier triangulaire du Captain changeait de forme dès le deuxième numéro, car jugé trop proche de l’écusson tricolore que The Shield arborait fièrement sur son torse. Les trois hommes devaient malgré tout rester en contact après cette affaire (voir : http://bdzoom.com/33567/comic-books/captain-america-1ere-partie/)…
- « The Fly », héros-insecte s’incarnant en Tommy Troy, un jeune orphelin sur le modèle de Captain Marvel et de Spiderman / Silver Spider. « The Fly » prend son envol dans le premier numéro de Private Strong (en juin 59) et obtiendra son propre magazine en août de la même année.
Mais d’où vient exactement The Fly ?… Comme on s’en doute, il s’agit bien du projet Spiderman / Silver Spider, cannibalisé par Jack Kirby, lui adjoignant, pour l’occasion, le costume de Night Fighter et deux ailes dans le dos. Sur les conseils de Joe, Jack a récupéré le dossier « Spiderman », qui dormait dans les archives Harvey, et a remodelé le super-héros en un nouveau personnage. Et ce dossier restera en sa possession pendant les années qui suivront…
L’araignée s’est donc faite mouche, pour ne pas rebuter les lecteurs arachnophobes, « The Spider » se contentant pour cette fois du rôle de « vilain de service » dans un épisode du premier numéro de Adventures of The Fly (paru en France dans le 6bis de Strange )…
The Fly # 2 constituera le dernier projet commun du tandem Simon & Kirby (avant qu’il ne se reforme brièvement, en 1974, à l’occasion du revival de Sandman chez DC).
Les rapports avec Goldwater s’enveniment et les deux créateurs s’en vont. L’homme-insecte devait rapidement être repris par d’autres mains moins talentueuses (sous l’égide éditoriale de Richard Goldwater, le fils du patron) et finira par disparaître, sur la pointe des pieds, en 1967, après 39 numéros et un changement de nom en Fly-Man…
Quant à Private Strong, son aventure cessera dès le départ de Simon & Kirby (au numéro 2 de la série seulement), après que National-DC ait menacé MLJ d’un procès pour plagiat de Superman…
Joe monte une nouvelle maison d’édition, Pastime Publications, et publie le magazine noir et blanc Weird Mysteries, avant de vendre le contenu du numéro suivant à Hastings Associates (qui le sort dans le one-shot Eerie Tales de 1959). En 1960, pour l’éditeur Crestwood, Joe lance Sick, un magazine humoristique noir et blanc inspiré de Mad, pour lequel il obtient 50 % des bénéfices et qui connaitra une importante longévité (131 numéros, jusqu’en 1980).
Mais ceci est une autre histoire…
Suite dans la deuxième partie de cet article, consacrée au « Spider-Man » de Stan Lee, Steve Ditko… et Jack Kirby, à paraître la semaine prochaine…
À suivre…
Jean DEPELLEY
Mise en page : Gilles Ratier, aide technique : Gwenaël Jacquet
(1) : C.C. Beck a dû stopper Captain Marvel à cause de l’arrêt des publications Fawcett en automne 1953, suite à la baisse des ventes de l’après-guerre et à l’arrangement coûteux de l’éditeur avec National-DC (l’accusant de plagiat de Superman !), occasionnant $400.000 de dommages et intérêts pour l’arrêt des poursuites.
Une question, ces bourreaux de travail trouvaient-ils le temps de dormir et carburaient-ils à la benzédrine ? Impressionnant est un mot trop faible.
A noter sur « Sky Masters » l’encrage exceptionnel de Wallace Wood un des dessinateur / encreur les plus raffinés de l’histoire US. Le dessin de Kirby est magnifié.
Superbe dossier comme d’habitude sur se site.
Vivement la suite !
Simon et Kirby étaient effectivement des monstres de travail… Par la suite, Jack dessinera jusqu’à 100 pages par mois en 1964 pour Marvel Comics, sans compter les couvertures… Peut-être qu’il y a autre chose que de la nicotine dans les cigares Roy Tan, après tout…
Merci pour ces commentaires ! Tout à fait d’accord avec vous pour Wallace Wood. Wally et Jack étaient très amis et la symbiose entre les deux styles graphiques est parfaite. À voir aussi les excellents Challengers of the Unknown que les deux hommes ont fait ensemble.