« Les Compagnons de la Libération : Vassieux-en-Vercors » : la forteresse sacrifiée de la Résistance !

80 ans après, les grandes commémorations liées à la fin de la Deuxième Guerre mondiale débuteront en 2024-2025. L’occasion, dans toute la France, de se souvenir des actions de la Résistance. Parmi ces dernières, l’une des pages les plus tragiques : l’héroïsme des combattants du Vercors, sacrifiés par une répression impitoyable. Devenus de grands spécialistes de la période, Jean-Yves Le Naour et Claude Plumail prennent un peu d’avance sur le calendrier, en signant dès ce mois-ci un album émouvant : soulignant, en parallèle, l’indispensable trait mémoriel entre les générations. L’occasion, aussi, de rappeler que le premier maquis de France fut créé en décembre 1942 dans le Vercors.

Le Vercors

Extraits d'Isère magazine, le mensuel du Conseil Général de l'Isère.

Huit décennies après la fin des hostilités, le grand film consacré au maquis du Vercors n’existe toujours pas, de même – pour prendre un autre exemple historique majeur – que celui portant sur l’esclavage. Pourtant, dès la mi-juin 1944, l’opérateur Félix Forestier est envoyé dans le Vercors par le Comité de libération du cinéma français, où il réussit à immortaliser la montée au maquis après le Débarquement, le parachutage d’armes du 14 juillet 1944 et même la répression allemande, à partir du 21 juillet suivant. Cachées et détériorées, ses bobines seront en partie réutilisées dans le film documentaire de Jean-Paul Le Chanois – « Au cœur de l’orage » (1948) – qui emploiera des figurants pour reconstituer certaines scènes. En 1972, dans « Le Franc-tireur » (Jean-Max Causse et Roger Taverne), c’est Philippe Léotard qui incarne le fils d’un collaborateur grenoblois, pris dans les événements de juillet 1944 malgré lui. Depuis, des dizaines de livres, de romans… et une poignée d’albums BD seulement, toutefois réussis et passionnants : « Vercors, le combat des résistants » (Alain Bouton et Michel Faure, Bayard 1994) et « La Ferme de l’enfant-loup » (par Jean-David Morvan et Facundo Percio, Albin Michel 2021).

Couvertures pour « Vercors, le combat des résistants » (Alain Bouton et Michel Faure, Bayard 1994) et « La Ferme de l’enfant-loup » (par Jean-David Morvan et Facundo Percio, Albin Michel 2021).

La légende noire associée au maquis du Vercors est tenace, expliquant du reste partiellement l’absence de grande production française sur le sujet. Des premières réunions de réfractaires au Café grenoblois de La Rotonde en 1940, jusqu’à l’assaut final des forces allemandes en juillet 1944 et son millier de morts, tous les ingrédients dramaturgiques sont pourtant réunis. Reste que la fin tragique du maquis a laissé une blessure immense dans la mémoire nationale de la Résistance, ancrée dans la rancœur de la trahison ou de l’abandon par les forces alliées. Expliquons : après le 6 juin 1944, galvanisés par le débarquement en Normandie, des milliers de volontaires civils rejoignent les maquis sur tout le territoire. En quelques jours, ceux du Vercors passent d’une petite centaine d’hommes à près de 4 000. Le plan militaire (baptisé Montagnards), élaboré fin 1942 par Jean Prévost et Pierre Dalloz, fait du Vercors un maillon clé de la Libération, en prévision du débarquement en Provence (15 août au 14 septembre 1944). Mais les hauts remparts naturels du massif, supposés être une citadelle imprenable, ne furent pas si étanches que cela : les premières attaques allemandes empruntèrent la route des Grands Goulets, le 22 juillet 1944, après l’envoi spectaculaire de troupes aéroportées par planeurs d’assaut. Des ailes noires et des raids qui semèrent la mort partout : attaquant avec près de 10 000 hommes, les Allemands et la Milice massacrèrent également les habitants de Vassieux-en-Vercors, tout en détruisant 600 habitations dans la région. Défenses, formations et armements insuffisants (malgré des parachutages effectués tardivement le 14 juillet), erreurs ou inefficacités stratégiques et absences d’envois de renforts alliés expliquent la cruelle défaite des résistants. D’autres maquis, comme celui des Glières (Haute-Savoie), subirent le même destin, dès mars 1944.

Planches 1 à 3 (Grand Angle, 2023).

Auteur de la série « Résistance » (Lombard, 2010-2014 ; scénario par Jean-Christophe Derrien), Claude Plumail s’est de longue date associé à Jean-Yves Le Naour : scénariste impliqué (avec Catherine Valenti) dans la création de la collection Les Compagnons de la Libération pour le label Grand Angle des éditions Bamboo. Riche de neuf albums, cette collection pourra être utilement complétée par le récent « Le Réseau Comète : la ligne d’évasion des pilotes alliés » (Le Naour et Marko), entièrement consacré aux résistants ayant permis l’évacuation des aviateurs alliés, de la Belgique jusqu’en Espagne, lors de la Seconde Guerre mondiale. Dans « Vassieux-en-Vercors », c’est une autre connexion qui s’installe : le récit démarre de nos jours, lorsqu’une femme, retournée dans l’ancienne maison de son grand-père décédé, se souvient de son adolescence, époque où elle fut contrainte de passer le temps de sa garde alternée. Et avec son aïeul, de s’intéresser à une ancienne photo… Au-delà du cliché (sic), le scénario permet aux lecteurs de réinvestir toute une époque, de s’imprégner d’une atmosphère, de tisser des liens entre souvenirs et ressentis, de parler in fine du rôle et du poids de l’Histoire. Mais évoquer le maquis du Vercors, sommet représentatif en soi, est-il en définitive autre chose qu’enseigner de manière pérenne les valeurs de la Résistance ?

Encrages des planches 6 et 8.

Planche 9 et documentation.

Philippe TOMBLAINE

« Les Compagnons de la Libération : Vassieux-en-Vercors » par Claude Plumail et Jean-Yves Le Naour

Éditions Grand Angle (14,90 €) – EAN : 978-2-8189-9833-5

Parution 5 juillet 2023

Galerie

Une réponse à « Les Compagnons de la Libération : Vassieux-en-Vercors » : la forteresse sacrifiée de la Résistance !

  1. BARRE dit :

    Lorsque l’on se rend dans cette grande plaine de Vassieux en Vercors et que l’on se pose face aux montagnes formant une barrière impressionnante , en faisant le calme dans son esprit, une émotion singulière vous étreint.
    Rien n’a énormément changé en 80 ans dans ce paysage particulier.
    Pour peu que l’on connaisse bien le récit du village, l’histoire semble ici presque suspendue, comme s’il subsistait dans l’air que vous respirez l’atmosphère de l’année 1944.
    J’ai l’honneur d’être le fils d’un homme qui s’est battu à Vassieux à cette époque et qui m’a raconté son histoire.
    Il est redescendu du Vercors avec son bataillon juste avant la terrible attaque allemande pour participer à la libération de Lyon.
    Ceci est une autre histoire…

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