« Tête de chien » T1 : un tournoi, définition…

De tournoi en tournoi, les chevaliers Josselin et Jehan, accompagnés par leur écuyer Paulin, tentent de trouver la fortune et la gloire contre leurs adversaires d’un jour. À ceci près que, sous son heaume, Jehan est en réalité une femme… Sera-t-elle de taille pour affronter l’anonyme et invaincu Chevalier noirci ? Après « Ira Dei » et « La République du crâne », Vincent Brugeas et Ronan Toulhoat, désormais associés à Yoann Guillo, entrent en lice avec ce premier opus d’une trilogie, digne des grands récits d’aventures médiévales. Une relecture jubilatoire des traditionnelles valeurs chevaleresques !

Le principe de la rançon (planches 1 à 3 - Dargaud 2023).

Déjà mis en scène de manière épique par le duo Brugeas-Toulhoat dans « Le Roy des Ribauds » (Akileos, 2015-2022) et « Ira Dei » (Dargaud, 2018-2021), le monde médiéval fait ici un pas de côté. Cités, forteresses et grandes batailles laissent en effet la place aux décors champêtres, aux chevaliers errants et aux champs clos des tournois. L’album s’inspire des exploits de Guillaume le Maréchal (1146-1219), chevalier anglo-normand décrit comme le meilleur au monde : réputé pour ses talents de combattant, il survit à cinq batailles, resta invaincu dans ses multiples joutes (il captura symboliquement 500 chevaliers !) et épargna même la vie de Richard 1er d’Angleterre, se hissant dès lors au rang de maréchal et protecteur du royaume. En apprenant sa mort en mai 1219, Philippe Auguste demanda à son entourage de rendre hommage à son plus formidable adversaire…

Recherches graphiques et illustration.

Dans ce premier volume de 132 pages, les auteurs mettent en scène Josselin et Jehan : le premier rêve de faire fortune en triomphant de l’énigmatique et apparemment invincible Chevalier noirci. Mais, blessé lors d’un tournoi organisé par le comte de Joigny, il doit laisser sa place à Jehan, une femme qui camoufle elle aussi sa véritable identité, et surtout son sexe. À leurs côtés, l’écuyer Paulin : un personnage malin qui n’hésite pas à engager des paris risqués auprès des mercenaires qui se sont installés dans les environs. Car, entre argent et défense de la veuve et de l’orphelin, l’appât du gain est souvent bien plus fort que la moindre morale chevaleresque… À l’instar de leur traitement alternatif de la piraterie dans « La République du crâne » en 2022, les auteurs démontrent ici que chacun cherche prioritairement à survivre et défendre son propre intérêt. Au Moyen Âge, un cheval, une selle, un heaume, une cotte de maille (haubert) ou une épée sont des accessoires qui coûtent très chers (voir pour information les détails donnés sur ce site) : tout a un prix, y compris le fait de vouloir combattre.

Quand le chevalier est une femme (planches 8 et 9 - Dargaud 2023).

Dans un contexte où la vie est précaire, le tournoi s’avère être un excellent moyen de faire reconnaître sa valeur, de s’exercer, de rejoindre une équipe, d’obtenir un soutien princier… et de remporter des rançons. Dans la société médiévale, où tout vassal (seigneur d’un fief) doit à son suzerain une période de service militaire, la guerre et les tournois deviennent un métier comme un autre : si l’une permet l’enrichissement par le pillage ou la revente des armes, les deux offrent le moyen d’obtenir des rançons, payées par les prisonniers ou leurs familles. Symboliquement, le chevalier renversé, désarmé ou blessé lors d’un tournoi doit reverser une rançon à son brillant adversaire : la somme estimée, naturellement, dépendra de la valeur et du rang du chevalier vaincu. Cheval, selle ou armes sont parfois donnés par les plus désargentés afin de retrouver leur liberté ! Si les gains sont souvent dilapidés dans les fêtes et beuveries qui entourent ou suivent les tournois, ils n’en demeurent pas moins des marqueurs de l’enrichissement personnel. Peu à peu condamnés par l’Église – qui les juge à l’évidence peu en accord avec la foi et le véritable esprit chrétien -, les tournois seront remplacés à la fin du XIIIesiècle : les armes de guerre cèdent la place à des armes courtoises (émoussées) tandis que la joute, qui met en scène la parade et l’exploit individuel, prend le pas sur l’affrontement par équipes. Dans les deux cas, la mort n’est souvent qu’accidentelle : chacun évite de tuer, afin de pouvoir profiter de la rançon, de ne pas froisser ses pairs et de ne pas risquer une mise à l’écart de ces précieux temps de compétition.

Ex-libris BD Fugue.

Vincent Brugeas et Ronan Toulhoat formaient un duo depuis le lancement de l’uchronie « Block 109 » chez Akileos, en 2010 : ils sont désormais trois, en compagnie de Yoann Guillo, coloriste ; notamment du notable « Goldorak » (par Denis Bajram, Brice Cossu, Xavier Dorison et Alexis Sentenac) paru chez Kana en 2021. Précédemment associé au Lombard sur les deux tomes de « Cosaques » (2022-2023), le trio poursuit donc sa coopération sur l’actuel « Tête de chien ». On retrouvera avec plaisir, dans ce volume divisé en chapitres, tout ce qui fait le sel de leurs précédentes créations : cadrages dynamiques, personnages expressifs, dialogues ciselés, retournements de situation épiques, sens de la couleur, des ombrages et des détails. Les divers affrontements et blasons, représentés de manière réaliste à partir d’une solide documentation, assurent le spectacle : ces hardis et vaillants chevaliers (ou chevalières…) semblent réellement avoir un cœur de lion !

Recherches de couvertures pour les tomes 1 à 3.

Philippe TOMBLAINE

« Tête de chien » T1 par Ronan Toulhoat et Vincent Brugeas 

Éditions Dargaud (20,50 €) – EAN : 978-2-505117162

Parution 26 mai 2023

Galerie

Une réponse à « Tête de chien » T1 : un tournoi, définition…

  1. fred dit :

    William Marshal qu’on appelle en français Guillaume le Maréchal a inspiré un de ses plus beaux livres à Georges Duby… pour qui souhaiterait s’immerger dans le foisonnant XIIe siècle.

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