Damien Vidal et Laurent Galandon retracent le procès des animaux : ne faites pas aux truies…

Un cochon présenté devant un tribunal, des insectes excommuniés, un coq condamné pour sorcellerie… ? Autant d’exemples bien réels de ces insolites procès d’animaux, restés dans les annales médiévales. Entre Histoire, conte satirique et fable moraliste, Laurent Galandon et Damien Vidal s’emparent du sujet : voici une truie, menacée de la peine capitale pour avoir provoqué la mort d’un cavalier. Une défense cinglante de la cause animale : cochon qui s’en dédit !

À la recherche du parfait coupable... (planches 1 à 3 - Delcourt 2023)

Pour sa troisième collaboration avec Damien Vidal après « Lip des héros ordinaires » (Dargaud, 2014) et « Le Contrepied de Foé » (Dargaud, 2016), le scénariste Laurent Galandon explore un domaine assez peu arpenté par la bande dessinée : les procès d’animaux. Rappelons que, durant l’Antiquité grecque, une loi de Dracon ordonnait déjà la mise à mort du cheval ou de tout autre animal ayant tué ou blessé un homme. Du XIIIe au XVIIIe siècle, les animaux purent en effet être trainés devant la justice et être condamnés au même titre que les hommes. Ou du moins à l’aide d’une rhétorique constituée de citations latines et d’allusions prétendument historiques : il n’est pas certain que les bêtes de ferme ou insectes ainsi accusés aient tout saisi de leurs excommunications, exorcismes ou jugements par contumace…

Exemple le plus connu de procès ayant visé ces membres à part entière de la « communauté de Dieu », c’est en 1386, à Falaise (Normandie), qu’une truie est condamnée à mort pour avoir dévoré un nourrisson. Son procès est représentatif de 90 % des cas d’animaux conduits devant la justice en Europe : habitués à vagabonder entre villes et campagnes, les porcidés sont les premiers à provoquer accidents et dévastations, renversant et dévorant donc parfois des enfants en bas âges. Conduits devant les juridictions locales (baillages, seigneuries, échevins, parlements…), estimés responsables de leurs actes, on leur accorde un avocat et un gardien. L’animal responsable de coups et blessures est ainsi emprisonné, devenant le voisin de cellule de quelques brigands arrêtés. Le propriétaire médiéval, à l’inverse du droit actuel, n’est pas responsable de ses animaux : il pourra néanmoins être condamné à payer les frais de justice et de gardiennage, voire à accomplir un pèlerinage pour n’avoir pas bien surveillé ses bêtes.

Exécution de la truie infanticide de Falaise - Gravure de « L'homme et la Bête » (Arthur Mangin, 1872).

Dans cette société très chrétienne, chaque animal, aussi petit soit-il, peut être jugé : on condamne ainsi dans toute l’Europe (France, Allemagne, Suisse, Italien Espagne, Portugal, etc.) les insectes et rongeurs responsables des pires fléaux, famines ou pestes. Les loups sont accusés par centaines de lycanthropie (sic), tandis qu’en 1474, à Bâle, c’est un coq qui est condamné à mort pour sorcellerie : ces juges étant persuadés qu’il avait pondu un œuf !

Dans le présent album, tel que le titre le suggère, tout est perçu sous l’angle de la fable, voire de la farce cynique. Face à la truie s’élève un juge puissant, qui n’a que mépris pour les êtres qu’il juge inférieurs (en vrac, les animaux, les porchers… et les femmes). Contre toute attente, il se retrouve confronté à un avocat de talent, qui défend avec ferveur la cause du malheureux animal.

Une truie et ses six porcelets, jugés coupables du meurtre d'un enfant en 1457. • © « The Book of Days : A Miscellany of Popular Antiquity ».

Si la société médiévale ne fait, en matière de justice, pas de distinction entre l’homme et l’animal, c’est parce qu’elle repose toute entière sur l’idée – exprimée plus haut – d’une « communauté des créatures de Dieu ». Une conception théologique qui perdurera jusqu’au XVIIIe siècle, l’homme étant persuadé que l’animal partage avec lui de nombreuses émotions : dont la capacité à culpabiliser, voire à distinguer le bien du mal. Chats, chevaux, vaches, volailles, dauphins, rongeurs, oiseaux et insectes feront ainsi les frais des superstitions de l’époque.

En couverture, deux conceptions s’opposent : la parole de la défense contre les lois écrites, auxquelles se réfère le juge. L’image, insolite, met la scène en parallèle de ce fameux axiome d’Einstein : « Tout le monde est un génie, mais si vous jugez un poisson par sa capacité à grimper aux arbres, il passera sa vie entière persuadé qu’il est totalement stupide. » Autrement dit, aucune loi humaine ne peut s’appliquer à l’animal, celui-ci ne pouvant à l’évidence en saisir ni le sens ni la portée. L’égalité des chances et des droits sera un autre combat de la société comme de la justice…

Un rite de passage ? (planche 13 - Delcourt 2023).

Philippe TOMBLAINE

« La Truie, le juge et l’avocat » par Damien Vidal et Laurent Galandon

Éditions Delcourt (17,50 €) – EAN : 978-2-413043959

Parution 19 avril 2023

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