Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
Lire la suite...Jacques Brel en BD : un biopic réussi, en trois volets !
Il y a, aujourd’hui, pléthore de portraits biographiques en bande dessinée qui mettent en scène et en images de célèbres personnages, dans quelque domaine que ce soit : notamment en musique. Donc, il n’y a rien d’étonnant à ce que le chanteur belge Jacques Brel, légendaire interprète de « Ne me quitte pas », du « Port d’Amsterdam » ou de « La Valse à mille temps », ait droit à ce traitement de faveur. Le deuxième volume d’une élégante et intelligente trilogie, signée des Espagnols Sagar et Salva Rubio, vient de paraître : aussi troublant qu’émouvant, l’ouvrage reflète parfaitement l’ambiguïté de cet homme toujours en quête de nouvelles sensations. Ici, alors qu’il est au sommet de sa gloire, il décide d’arrêter les concerts pour s’envoler vers d’autres horizons…
L’album commence quand, après un dernier spectacle le 16 mai 1967 à Roubaix, le grand Jacques, pourtant alors idolâtré par ses fans, fait annoncer aux journalistes qu’il quitte les planches. Un retour en arrière à la fin de l’année 1958, à la sortie de sa prestation remarquée à l’Olympia, en première partie de Philippe Clay, va nous permettre de juger du chemin parcouru par celui que Le Canard enchaîné surnommait l’Abbé Brel. Cependant, la concurrence est rude à ses débuts, parce que bien d’autres talentueux arrivants se pressent sur le devant de la scène : ils ont pour patronymes Brassens, Ferré, Aznavour, Ferrat, Béart, Lapointe, Nougaro, Bécaud, Gainsbourg, Distel, Escudéro… En conflit avec Philips, sa maison de disque, car notre chanteur veut désormais travailler uniquement avec Eddie Barclay, il va falloir que ce dernier intervienne en proposant un échange pour débloquer la situation : Jacques Brel contre un certain Johnny Hallyday, l’un de ses poulains qui est en train de révolutionner le genre !
Si les succès s’enchaînent (« Marieke », « Le Moribond », « Les Bourgeois », « Madeleine », « Les Flamandes »…) et s’il vend des 33 ou 45 tours par millions, la vie personnelle de Brel devient de plus en plus compliquée, ne serait-ce qu’avec ces nombreuses femmes qui gravitent autour de lui : une nouvelle maîtresse — après Suzanne Gabriello dite Zizou (un amour qui lui inspira « Ne me quitte pas ») —, son épouse trompée qu’il nomme cependant directrice de sa propre entreprise, et diverses autres amies de cœur.
Entre incertitudes et exigences, il mène également une vie de bohème et de bâton de chaise en compagnie de ses complices musiciens et avec Jojo, son camarade de toujours, en étant continuellement sur la route. Craignant sans cesse l’échec, il dort peu, taraudé par un insupportable mal de dents, et il vomit avant chacune de ses prestations : il y est pourtant applaudi longtemps par des milliers de spectateurs qui lui réclament un rappel qu’il ne donne jamais (à une seule exception près)…Â
Après avoir déjà évoqué la carrière de divers instrumentistes et chanteurs en BD (dans « Miles et Juliette » déjà réalisé avec Sagar, « Django, main de feu », « Les Zazous »…), Salva Rubio (1) ne fait ici aucune concession dans ces 54 pages remplies d’anecdotes peu connues du grand public — par ailleurs complétées par un utile et dense dossier illustré en postface —, pour nous exposer la personnalité complexe de ce monument incontournable, mais torturé, de la chanson francophone.Â
Son habile narration, rythmée par une voix off qui reprend des extraits d’interviews de l’artiste, est excellemment enrichie par le sombre trait gras et les couleurs crépusculaires de son compatriote Sagar, lesquels participent à donner une véritable âme au visage tourmenté de ce remarquable interprète.
Gilles RATIERÂ
(1)  Sur Salva Rubio, voir aussi sur BDzoom.com : « Les Bâtisseurs » : Viollet-le-Duc, le réinventeur du patrimoine architectural !, Django, ce guitare héros !, « Le Photographe de Mauthausen » par Pedro Colombo et Salva Rubio, « Monet, nomade de la lumière » par Efa et Salva Rubio…
« Brel : une vie à mille temps » T2 par Sagar et Salva Rubio
Éditions Glénat (15,50 €) — EAN : 978-2-344-03925-0
J’avais adoré le tome 1 de cette biographie !
Le tome 2 s’annonce tout aussi intéressant.
Comme vous dites Brel c’est une vie contrastée et ce n’est pas facile de trouver un chemin narratif fort et équilibré en même temps. Rubio, scénariste aguerri et très sensible, le fait avec beaucoup de tact. Les dessins de Sagar collent parfaitement au ton du récit, dégageant une forte empathie, et nous offrent, avec une adéquate mise en couleur, une superbe biographie.
A la hauteur de la légende Brel !
Merci cher Philippe pour ton complément d’analyse qui confirme tout le bien que je pense de ce biopic en BD !
La bise et l’amitié
Gilles Ratier