Dix ans après la parution de « Résurrection », la première partie d’un diptyque accouché dans la douleur, voici enfin « Révélations » : conclusion du dernier récit du regretté Philippe Tome, décédé alors qu’il travaillait sur les dernières pages de son scénario. Les éditions Dupuis proposent, enfin, l’intégralité de cette aventure magistralement dessinée par Dan Verlinden, digne successeur de ses deux prédécesseurs : Luc Warnant et Bruno Gazzotti.
Lire la suite...« Ringo » : un western mythique de William Vance proposé en une seule intégrale !
Plusieurs fois rééditée — mais difficilement trouvable aujourd’hui en dehors des librairies d’anciens ou des soldeurs —, cette série des éditions Le Lombard met en scène un convoyeur de fonds de la Wells Fargo : célèbre compagnie de transport pendant la conquête de l’Ouest. Cette fine gâchette de Ray Ringo est, après « Howard Flynn », l’un des premiers personnages importants de William Vance. L’auteur y utilise, habilement, tous les poncifs du Far West auxquels son escorteur de diligences est souvent confronté. Flèches des Apaches, crocs des coyotes, balles de malandrins au beau milieu d’un territoire sans foi et à la loi balbutiante, ou encore feux croisés du Nord et du Sud : aucune façon de mourir n’est oubliée dans cette chevauchée fantastique qui nous aide, aussi, à constater l’évolution du créateur graphique de la BD « XIII » (qui fut, surtout, l’un des piliers du journal Tintin), à travers plus d’une décennie !
Pour ceux qui ne possèdent pas la première intégrale — proposée en deux tomes, également par Le Lombard en 2004, dans le cadre de la collection Tout W. Vance —, ce monovolume vaut vraiment le détour.
En effet, la totalité des bandes dessinées de la série « Ringo » y est présentée dans un ordre strictement chronologique (ce qui n’était pas le cas précédemment) et le format est un peu plus grand, ce qui permet d’apprécier au mieux le travail de cet immense dessinateur belge, ainsi que celui de son épouse Pétra qui avait refait les couleurs d’origine pour les Tout W. Vance, lesquelles sont reprises ici.
Ces points forts exposés, il faut bien reconnaître qu’il y a quand même quelques faiblesses dans cet ouvrage qui est pourtant de très belle facture…
Mais, heureusement, BDzoom.com est là pour les combler !
Il manque notamment un dossier digne de ce nom — pour contextualiser cette bande dessinée — et quelques images font défaut, alors qu’elles étaient présentes, pour la plupart, dans les Tout W. Vance : nous vous les proposons pour illustrer cet article, en plus de quelques pages de la nouvelle intégrale.
En attendant la monographie sur William Vance concoctée par Patrick Gaumer, annoncée pour bientôt chez ce même éditeur, nous allons donc essayer de pallier aux lacunes rédactionnelles et de préciser dans quelles conditions cet artiste, grand amateur de marine à voile et de l’Ouest sauvage, a imaginé les aventures de Ray Ringo. (1)
Les premiers travaux en bande dessinée de William Vance consistent en une collaboration avec Dino Attanasio, car il va assister ce dernier sur « Bob Morane ».
Cette série, déjà proposée dans l’hebdomadaire Femmes d’aujourd’hui (depuis mai 1959), était basée sur les romans mettant en action cet aventurier créé, en 1953, par Henri Vernes : « En 1961, mon ami Lucien Meys me contacta pour travailler dans l’atelier d’Attanasio. Là, j’ai réalisé les crayonnés de l’épisode “Le Collier de Civa” [prépublié de novembre 1961 à juin 1962], ainsi que la mise à l’encre des décors. Cette histoire a aussi représenté les premiers essais de coloriage de ma femme, Pétra. » (2)
C’est donc grâce à Lucien Meys, l’un de ses anciens condisciples estudiantins des Beaux-arts qui, à l’époque, exécutait déjà les crayonnés de « Bob Morane » et de « Modeste et Pompon » pour Attanasio, que William Vance va travailler pour Femmes d’aujourd’hui : magazine belge, par ailleurs très bien diffusé en France, où il va faire une grande partie de sa prolifique carrière.
Créé à la Libération par le Hollandais Jan Meeuwissen (également responsable de la création de Bravo ! le journal que William lisait dans sa jeunesse), ce magazine, destiné principalement à un public féminin, va publier pendant 30 ans, à raison de trois planches par semaine — puis plus que deux, une, et une demi —, de nombreuses bandes dessinées : ceci au milieu d’articles sur la mode et de recettes de cuisine…
Toutefois, alors que William Vance œuvre seulement depuis trois mois dans cet atelier, Attanasio commence à avoir des difficultés avec le créateur du personnage : le romancier Henri Vernes.
Il doit ainsi abandonner « Bob Morane », lequel sera repris, à partir de 1962, par Gérald Forton.
Le dessinateur de « Spaghetti » (dans le journal Tintin) n’arrête pourtant pas aussitôt sa collaboration avec la vénérable revue belge pour ces dames…
En effet, Attanasio réalise anonymement (toujours avec l’aide, tout aussi discrète, de William Vance) les 60 pages de « Huit Chevaux en balade » : un polar classique qui paraît en 1964 et qui est scénarisé par André Walk, pseudonyme dissimulant André Désiré Fernez, écrivain chez Marabout qui fut également le rédacteur en chef de Tintin, de 1947 à 1959.
Ainsi, quand Vance va devoir chercher un autre engagement, il n’hésitera pas à aller frapper à la porte de Tintin, où il illustre, dans un premier temps, divers contes et nouvelles (à partir d’octobre 1962) : « Je m’y suis présenté moi-même. D’abord, j’ai été au journal Spirou, mais, hélas, mon contact n’était pas là. Finalement, je suis allé chez Tintin où je connaissais Évany, un grand monsieur que j’avais rencontré à l’Académie royale des beaux-arts de Bruxelles [Vance y avait suivi des cours pendant trois ans, de 1950 à 1953] et qui m’avait conseillé de me présenter chez Tintin. Fin 1961, j’ai été présenté à Marcel Dehaye, le rédacteur en chef de l’époque, lequel m’a mis à l’essai en me commandant une illustration… » (2)
Très vite suivra une pléiade de récits complets, à dominante historique (notamment des biopics sur les légendes de l’Ouest américain), sur scénarios de Pierre Step, Yves Duval qui signait aussi Michel Deverchin, André Désiré Fernez, Jacques Acar, Claire Godet ou André-Paul Duchâteau alias Michel Vasseur.
Toutes les périodes y sont abordées, à raison de deux ou trois courtes histoires par mois, du moins pendant les premières années : « C’était une manière d’apprendre à faire de tout en bande dessinée et cela m’a permis de me constituer une documentation solide ! » (2)
Cinq autres récits de quatre planches dans le même genre didactique, écrits par Yves Duval, P.-X. Doé ou Jean-Paul Benoit, sont parus, entre 1964 et 1967, dans Record.
Ce mensuel était édité par la Maison de la Bonne Presse (qui deviendra les éditions Bayard, à partir de 1970) : « Cela s’est fait par l’intermédiaire des éditions du Lombard. À cette époque, j’étais sous le joug d’un contrat d’exclusivité, comme tous les dessinateurs débutants du journal Tintin. » (2)
C’est en 1964 qu’arrive « Howard Flynn » : la première grande série de William Vance, laquelle met en scène un lieutenant de marine britannique du temps de Nelson.
Yves Duval sera son scénariste sur sept aventures, plus ou moins longues, en bandes dessinées et sur deux sous la forme de romans illustrés, entre 1964 et 1973, publiées dans Tintin ou dans le pocket Tintin Sélection : « Quand j’ai proposé au scénariste Yves Duval de m’écrire une histoire qui se passait au XVIIIe siècle, au temps de la marine à voiles, je venais de voir, coup sur coup, deux films qui m’avaient fortement impressionné et qui racontaient des aventures de marins… Nous avons ainsi créé un personnage d’officier de la Marine anglaise qu’Yves Duval a nommé Howard Flynn, en référence à Errol Flynn qui fut un légendaire capitaine de cinéma. » (3)
N’ayant pas peur de se mettre en danger en abordant différents thèmes, c’est l’année suivante (en 1965) que notre dessinateur a l’idée du convoyeur Ray Ringo.
Fortement impressionné par les grands illustrateurs américains représentatifs du western, il se passionne pour le genre et écrit, lui-même, le premier récit de cette nouvelle série.
En tant que directeur artistique de l’hebdomadaire, Hergé supervise quand même cet apprentissage et lui promulgue de nombreux conseils, notamment pour améliorer les mouvements de certains protagonistes, croquis à l’appui : « Franchement, j’appréciais énormément ce personnage. J’ai toujours regretté qu’il soit brusquement bloqué par l’équipe éditoriale du journal Tintin… Peut-être y avait-il trop de héros de western à cette époque ? Qui sait ? » (4)
Cet agent de la Wells Fargo va connaître six aventures de diverses longueurs dans Tintin ou Tintin Sélection (5).
Relayé par ses amis scénaristes Jacques Acar (en 1966), Yves Duval (en 1970), puis André-Paul Duchâteau (lors de la reprise de la série en 1976 et 1977), Vance fait preuve, une fois de plus, d’un grand souci documentaire : « Le premier “Ringo” m’avait pris pas mal de temps au niveau de l’écriture du scénario. Jacques Acar aimait beaucoup les thèmes sur la Guerre de Sécession ; il écrira d’ailleurs, par la suite, un western avec le même cadre : “Jim Steward” pour Sydney, dans Record. C’était donc la personne adéquate pour scénariser l’épisode titré “Le Serment de Gettysburg” ».
Et voilà comment le futur dessinateur du best-seller « XIII » créa « Ringo » : une aventure du Far West qui mérite vraiment d’être découvert par les nouvelles générations de lecteurs de bandes dessinées. Espérons, modestement, que cet article vous en donnera quelque peu l’envie…
Gilles RATIER
(1) Voir aussi sur BDzoom.com : William Vance : disparition d’un maître de la BD réaliste…, William Vance dans Femmes d’aujourd’hui (1re partie) et William Vance dans Femmes d’aujourd’hui (2e partie).
(2) Extraits d’une interview de William Vance par Gilles Ratier, en janvier 1992, pour le n° 56 de Hop ! (paru au 1er trimestre 1993), lequel est épuisé depuis bien longtemps.
(3) Extraits d’une interview de William Vance par Jean-Marc Vidal publiée dans le n° 17 de BoDoï daté de mars 1999.
(4) Extraits d’une interview de William Vance par Frédéric Bosser publiée dans le n° 18 des [dBD] daté de novembre 2007.
(5) Pour une chronologie précise des bandes dessinées de « Ringo », voir l’excellent site bdoubliees.com de Bernard Coulanges : https://bdoubliees.com/tintin/series5/ringo.htm.
« Ringo : intégrale » par William Vance, Jacques Acar, Yves Duval et André-Paul Duchâteau
Éditions Le Lombard (23,50 €) — EAN : 978-2-8082-0515-3
Parution 18 novembre 2022
Cher Gilles
Je pense qu’il s’agit de Spaghetti plutôt que de Spaguetti…
A ce sujet, un beau papier sur Attanasio ne serait pas nous déplaire, c’est une carrière étonnante en termes de diversité et… il est encore vivant, c’est sans doute l’un des derniers grands de l’Âge d’or.
Mais merci à vous pour ce papier-là : il doit être difficile de dénicher un quinqua, sexa et plus qui n’ait pas dévoré de l’oeil des planches de Vance quand il était jeune, et c’est étonnant comme il n’est pas daté.
fred
Mais c’est bien sûr ! Quelle « nouille » je fais à cause de ce crétin de clavier d’ordinateur ! (rires)
Merci Fred pour ton œil de lynx, c’est évidemment corrigé…
Quant à Dino Attanasio, il a été l’invité de l’un de nos premiers « Coin du patrimoine » (voir « Spaghetti »), lesquels étaient beaucoup moins détaillés et surtout énormément moins illustrés que maintenant.
Ce serait bien, en effet, qu’on s’y penche à nouveau… quand nous aurons un peu de temps : mais ce n’est pas gagné pour le moment…
La bise et l’amitié
Gilles
Un grand merci à vous pour ces éléments de dossier qui manquent cruellement dans la nouvelle intégrale de Ringo : quelle déception pour moi ! Je ne connais pas la série, je suis curieux de découvrir ces planches qui sont intégralement reprises, mais j’aurais aimé un dossier historique avec reprise de toutes les illustrations bonus… Ici, on a quatre pauvres pages qui ne reprennent même pas toutes les couvertures des albums ! J’espère que pour la nouvelle intégrale Ramiro qui sort en fin d’année, on aura droit à des bonus dignes de ce nom.