Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
Lire la suite...Yvan Marié : la bande dessinée au féminin…
Voilà encore un dessinateur dont le nom n’évoquera pas grand-chose aux lecteurs d’aujourd’hui. Il faudrait plutôt dire aux lectrices, puisque c’est essentiellement dans les journaux destinés aux filles qu’Yvan Marié a publié ses travaux pendant une vingtaine d’années. Retour sur une carrière aussi courte que riche, dont les points d’orgue furent les reportages mouvementés de son héroïne : Zette reporter.
La signature d’Yvan Marié apparaît pour la première fois dans l’hebdomadaire Âmes vaillantes en 1952.
Il publie une modeste illustration dans le n° 38 de 1952, puis d’autres dans les suivants… et s’en va.
Après ce bref passage, il revient dans les pages du journal catholique en 1957, proposant couvertures, illustrations de nouvelles et de romans, animations de rubriques souvent confessionnelles et récits complets jusqu’en 1964.
Notons une série d’illustrations réalisées pour « La Petite Fille de là-bas » — un roman de Monique Amiel publié en 1960 —, puis pour « Les Six Filles de pharaon » de L.N. Lavolle en 1962.
Il met aussi en images une trentaine d’histoires complètes aux thèmes variés de trois à sept pages signées Guy Hempay, Monique Amiel, Georges Fronval, Rose Dardennes, Yves Benoît, Isabelle Gendron, Louis Saurel… : « Piège dans la jungle », « Grâce à une poupée », « Le Trésor du proconsul », « Les Locataires “Maison Rouge” »,
« Madeleine de Verchères », « Wilhemine reine de Hollande », « Escapade impériale », « L’Épave aux diamants », « Une Fille de Beauvais »…
et « Mikimoto roi des perles » : son ultime récit réalisé pour J2 magazine, successeur d’Âmes vaillantes, paru dans le n° 39 de 1964.
Toujours pour les éditions de Fleurus, il collabore brièvement à l’hebdomadaire Cœurs vaillants, de 1958 à 1961.
Il y livre des illustrations et quelques récits complets : « Trouvé dans la brousse » écrit par Henriette Robitaillie dans le n° 31 de 1958, « Le Vainqueur des ténèbres » d’Hervé Serres dans le n° 2 de 1959…
Enfin, « Six + sept = 1 » toujours avec Hervé Serres dans le n° 35 de 1961.
On lui doit aussi deux courts récits à suivre : « Le Chevalier de l’immaculée » sur un scénario Noël Carré en 1958 et « René Colson » en 1959.
Il dessine aussi pour Fripounet et Marisette, en 1953 et 1954, réalisant des illustrations et des animations.
Il y revient en 1959, fournissant deux courts récits à suivre : « L’Ami Fred » et « Avec du courage et des balais », écrits par la scénariste Rose Dardennes, en 1959.
Jusqu’en 1962, il propose une vingtaine de récits complets écrits par Monique Amiel, Noël Carré, May d’Alençon… : « Saint-Paul », « Le Chevalier sans visage », « Mystérieuse évasion », « Il a tiré sur le requin », « Une enfant courageuse »… Jusqu’à « Mon ami Claude », programmé dans le n° 14 de 1962…
Pour l’anecdote, notons un bref passage dans les pages de l’hebdomadaire Fillette de la Société parisienne d’édition.
Il y illustre quelques nouvelles, en 1953, et publie une histoire en quatre pages avec le texte sous les images dans Fillette vacances de 1953 : « La Girafe célèbre ».
Même si ces collaborations ne manquent pas d’intérêt, sa véritable « maison » demeure l’hebdomadaire Lisette des éditions de Montsouris.
Il y fait son entrée dans le n° 33 (30/08/1953) où il signe la couverture et les illustrations d’une nouvelle de Claude Voilier : « Vonette et son mirage ».
À cette époque, ce journal, qui accueille encore des auteurs d’avant-guerre, cherche un second souffle.
Solveg (1) et Yvan Marié seront les deux principaux acteurs de cette nécessaire modernisation qu’attendaient les jeunes lectrices.
Régulièrement présent sur les couvertures du journal, Yvan Marié commence par illustrer des nouvelles et des romans : « La Dernière Offrande » de X. Soubigou en 1953, « Princesse de l’ombre » de Claude Voilier en 1954, « Laquelle des deux ? » en 1956, ou « Le Secret de la fleur de lis » de Clarisse en 1958.
Au printemps 1954, Lisette modifie sa formule, diminue son format, change de papier, et abandonne le grand dessin de couverture qu’il remplace par la première page d’une bande dessinée à suivre.
C’est ainsi que, chaque semaine, Yvan Marié est à la Une du journal avec une série-fleuve écrite par François Rouillard qui signe aussi François Drall : « Zette reporter ».
Par tranches hebdomadaires de cinq pages, du moins à ses débuts, cette création novatrice à plus d’un titre devient rapidement incontournable.
Élève au lycée de Prébourg la blonde Zette fait paraître un journal avec une bande de copines.
Le succès est au rendez-vous, d’autant plus que les filles enquêtent sur l’amputation de la statue de la vieille tour qui domine la petite ville.
À la suite de ce reportage choc, flanquée de son amie la brune Jacky, Zette est embauchée par monsieur Pressard : le directeur du quotidien Paris-Jour (c’est un pur hasard si ce titre est aussi celui du futur quotidien lancé quelques années plus tard par Cino Del Duca).
Désormais, le duo parcourt le monde, multipliant les scoops. Scénariste prolifique, François Rouillard, qui signe du pseudonyme François Drall (ou encore Yvon Rhuys et Fransard) écrit des histoires mouvementées mêlant voyages lointains, exotisme, aventure et mystère, sans oublier une note d’humour.
Malgré ce rythme infernal, cinq pages par semaine ce n’est pas rien, Yvan Marié conserve un dessin soigné et dynamique.
Les épisodes, qui souvent dépassent les cent pages, se succèdent jusqu’en 1960, pratiquement sans interruption, alors que la pagination diminue les dernières années.
De « L’Affaire de la tour des croisés » qui débute dans le n° 1 (11/04/1954) à « L’Affaire Rosabel » qui prend fin dans le n° 22 (29/05/1960), dix épisodes sont proposés : « La Grande Padowska », « Au pays du mystère », « Enquête au cirque », « À travers l’Afrique », « Aventure en Pacifique », « Le Secret de Sarkhobd », « Mission secrète » et « Le Bracelet d’argent ».
L’histoire se termine en happy end, alors que les deux amies désormais devenues des célébrités remercient les lectrices pour leur amicale confiance. Bien que totalisant plus d’un millier de pages, cette série au succès qui ne s’est jamais démenti n’a jamais été proposée sous forme d’albums. Heureuse époque où la presse suffisait à contenter auteurs et éditeurs.
Bien que l’arrêt de « Zette reporter », rebaptisé en 1958 « Zette et Jacky », se soit déroulé dans de bonnes conditions, c’est encore une fois un changement de formule qui est à l’origine de cette décision.
Yvan Marié dessine quelques récits complets dans le « nouveau » Lisette, avant de quitter le journal après la publication, dans le n° 24 de 1960, d’un récit consacré au « Père de la TSF, Branly » écrit par Claude Voilier.
Il revient dans les pages de l’hebdomadaire qui une fois encore expérimente une énième nouvelle formule, en 1963.
Il y signe l’illustration de romans : « L’Enveloppe aux cachets d’or » de Claude Voilier en 1963, puis « Le Secret du vieux chêne » de Germaine Pelletan en 1964.
Il publie une vingtaine de récits complets, jusqu’en 1969, écrits par François Drall, Henriette Robitaillie, Hélène Leconte Vigié… : « Pour un enfant malade », « La Parure », « Un jour d’orage », « Des traces dans la neige », « Le Plâtre brisé »… et le dernier « Vive les pommes de terre » dans le n° 12 de 1969.
Tout au long de sa collaboration avec les éditions de Montsouris Yvan Marié travaille pour les Almanachs de Lisette (128 pages en noir et blanc, format 21 x 14) devenus par la suite Lisette magazine. Treize almanachs et spéciaux sont proposés de 1950 à 1957, suivis de 78 numéros trimestriels publiés jusqu’à l’arrêt définitif, en 1972.
Yvan Marié y réalise des illustrations et surtout des récits complets dont une vingtaine d’aventures inédites en douze pages de Zette reporter, toujours écrites par François Drall publiées de 1956 jusqu’au n° 13 de mars 1960 : « L’Inconnu du grand palace », « Le Voyageur fantôme », « Le Secret de la grotte maudite », « Le Mammouth de Minibourg »…
Il livre ensuite des récits indépendants, le plus souvent sans personnages récurrents, de 10 à 20 pages pour la plupart écrits par François Drall (parfois sous son pseudonyme Fransard), puis par Claude Lysel, Simone Mandron, Jacques Henri Denz… Parmi cette quarantaine d’histoires, notons « Le Voyageur fantôme », « La Belle Inconnue », « L’Incendiaire », « Un incendie à bord », « Un week-end mouvementé », « Douce nuit, sainte nuit », « Corinne et le bourru »… publiés entre 1960 et 1972.
Steph et Vâly sont les seuls héros réguliers présents dans les n° 72,74, 75 et 77. Une cinquième aventure, « La Héronnière cache un secret », ne sera jamais publiée, à la suite de l’arrêt de Lisette magazine.
Gérard Thomassian nous précise que ce dessinateur a aussi travaillé pour la Grande-Bretagne, en réalisant des récits complets dans le petit format pour filles Schoolgirls’ Picture Library. Au moins trois numéros (n° 208, 218, 231) ont été traduits en français dans les pockets des éditions Artima, notamment Cathy au n° 111 de janvier 1972 (« L’Énigme du 13e tableau ») et au n° 119 de janvier 1973 (« Le Mystère du prieuré ».
Sans avoir peut-être atteint la maîtrise graphique de certains de ses confrères, Yvan Marié est un dessinateur qui n’a pas à rougir de son travail. Ses personnages chaleureux, particulièrement les filles, ont fait merveille dans les journaux de la presse destinée à un lectorat féminin. Chassé par une génération d’auteurs au trait plus moderne, il a cessé ses activités de dessinateur en 1972.
On sait peu de choses sur lui, sinon qu’il résidait dans la région de Nancy.
Toutes informations le concernant seront les bienvenues.
Henri FILIPPINI
Relecture, corrections, rajouts et mise en pages : Gilles RATIER
(1) Voir Solveg : le mystère Solange Voisin….
N’hésitez pas à consulter nos autres récents « Coins du patrimoine » consacrés aux auteurs oubliées de la bande dessinée française des années cinquante-soixante : Robert Moreau : la rondeur et l’humour…, Dut : la modestie d’un grand… (première partie), Dut : la modestie d’un grand… (deuxième partie), Janine Lay : profession dessinatrice…, Jacques Devaux : le dessinateur masqué !, Marc-René Novi : une carrière contrariée… (première partie), Loÿs Pétillot : Bayard fut son royaume…, Jan-Loup : un dessinateur aussi mystérieux que talentueux…, Jacques Blondeau (première partie) : dessinateur au quotidien…, Jacques Blondeau (deuxième partie) : de la presse quotidienne aux revues pour la jeunesse…, D’Arabelle à Pat’Apouf : Jean Ache (première partie), D’Arabelle à Pat’Apouf : Jean Ache (deuxième partie), Érik le prolifique ! (première partie), Érik le prolifique ! (deuxième partie), etc.
Bonjour,
En complément à ce dossier Yvan Marié, je vous indique que ce dessinateur a travaillé pour la Grande-Bretagne, en réalisant des récits complets dans le petit format pour filles « Schoolgirls’ Picture Library ». J’ai retrouvé au moins 3 numéros (n°208, 218, 231). Ils ont été traduits par les éditions Artima.
Voici deux références:
CATHY n°111 (1.1972): L’énigme du 13e tableau (208)
CATHY n°119 (1.1973): Le mystère du prieuré (231)
Ils ont également été recensés par Tristan Lapoussière sur le forum Pimpf.
D’autres dessinateurs français ont collaboré à cette collection anglaise, comme Pierre Brochard.
Amitiés.
Gérard
Merci Gérard pour ses précisions…
On les rajoute à l’article.
Amitiés
Gilles Ratier
Merci Henri de (nous) rappeler qu’il y a eu beaucoup d’autres dessinateurs, moins connus, qui ont œuvré à édifier la maison Bande Dessinée. )
Merci pour cet article Cela faisait longtemps que je connaissais cet auteur et hélas on ne trouvait pas grand chose sur son travail , la c est fait et bien fait ! Dommage qu il n ai jamais été édité … il le mérite . Merci m Fillipini pour votre travail et vos dossiers .Et surtout pour tous ces auteurs , grâce à vous , ils ne meurent pas vraiment…
Superbe article qu’ Henri Filippini nous fait découvrir.
même si je n’ai pas connu cet hebdo avant 1965 a peu prés, c’est toujours intéressant
de voir tout ces auteurs beaucoup trop méconnu.
Et aussi un complément d’info du grand monsieur Thomassian.
Bonjour,
Qui était François Rouillard, alias François Drall (et probablement Fransard, comme l’écrit M. Filippini)? Il semble que personne n’ait la moindre info biographique à son sujet. Mon idée était qu’il pouvait s’agir d’une nouvelle identité de Robert Collard/Robert Lortac qui scénarisait pour ces dessinateurs auparavant – notamment pour Pierre Lacroix; ne se pourrait-il pas que Collard ait pris de nouveaux pseudonymes en fin de carrière? D’autant plus que les activités de Rouillard/Drall semblent cesser au décès de Robert Collard/Lortac…