Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
Lire la suite...Solveg : le mystère Solange Voisin…
Les zones d’ombre entourant l’identité des auteurs de bandes dessinées d’après-guerre ne manquent pas. Le mystère qui entoure la dessinatrice Solange Voisin, alias Solveg, demeure l’un des plus difficiles à percer. Apparue en 1952, visiblement débutante, Solange Voisin devient rapidement une dessinatrice talentueuse. Elle publie dans Lisette une dernière histoire en 1965, avant de disparaître du monde de la bande dessinée. Nous vous invitons à découvrir le réel talent de cette pionnière, au cours de ce modeste hommage amplement mérité.
Après-guerre, les filles et les garçons sont séparés à l’école primaire. Les illustrés eux aussi, puisqu’ils s’adressent à l’un ou à l’autre lectorat.
Solveg effectuera l’essentiel de sa carrière de dessinatrice au sein des journaux destinés aux fillettes : Bernadette (l’hebdomadaire de la très sainte Maison de la Bonne Presse), Âmes vaillantes (le journal des non moins catholiques éditions de Fleurus), enfin Lisette (publié par les éditions de Montsouris, dont les mamans dévorent chaque semaine le célèbre Petit Écho de la mode).
Ces modestes journaux ouvrent leurs pages, au début des années cinquante, à une mystérieuse dessinatrice : Solveg, pseudonyme de Solange Voisin qui a été identifiée grâce à l’utilisation de l’une ou l’autre de ses signatures, lors de ses premiers travaux dans les pages de Bernadette.
« Ah ! Quelle belle tarte je ferais ! » titre le n° 300 de Bernadette du 31 août 1952.
L’illustration discrètement signée S. Voisin est la première, à notre connaissance, de cette dessinatrice qui se cherche encore, mais dont le trait est déjà prometteur. En page intérieure, « Les Prunes sont mûres » : un court texte de Thérèse de Saint-Martin est illustré par la nouvelle venue, d’un unique et modeste dessin. Au fil des couvertures, genre où elle excelle, Solveg s’affirme, trouve son style fait de tendresse et de joie de vivre.
Après quelques illustrations d’articles divers la rédaction lui attribue l’envieuse double page centrale du journal dès le n° 314 (07/12/1952).
En utilisant l’antique méthode des dessins dont les textes explicatifs sont placés sous les images, méthode largement pratiquée avant-guerre, elle adapte, jusqu’au n° 339, « La Nouvelle Croisade des enfants » : une histoire riche en émotion, inspirée par le célèbre roman d’Henry Bordeaux de l’Académie française.
Une « Cinématique », autre rubrique récurrente présentant des textes richement illustrés, proposée dans les journaux de la Bonne Presse depuis 1920, lui est confié.
À partir du n° 370 (03/01/1954), elle anime « Le Maître des volcans » : une histoire en 52 pages écrite par la prolifique Henriette Robitaillie et qui prend fin dans le n° 421.
Ces pages bicolores seront réunies, en 1955, dans l’album n° 49 de la collection Cinématique édité par la Maison de la Bonne Presse.
Cette aventure exotique n’est pas encore arrivée à sa conclusion lorsque Solveg démarre, dans le n° 391 (30/05/1954), « Une Histoire sainte ». Écrit par le père Joseph Richard, ce long récit religieux de 156 pages avec les textes (trop) copieux placés sous les images évoque la vie de la Vierge. Ces pages seront ensuite réunies dans un album publié par la Maison de la Bonne Presse en 1959 sous le titre « Marie, mère de Jésus ».
Solveg doit patienter jusqu’au n° 474 (0101/1956) pour se voir enfin confier une véritable bande dessinée : « Lucette et les éléphants ». Lucette, adorable blondinette, vit au cœur de la jungle africaine, entre autochtones, missionnaires dévoués et son ami le sympathique abbé Urbain. La dessinatrice illustre avec élégance cette charmante histoire à la gloire des missions catholiques en Afrique, écrite par Henriette Robitaillie.
En 1957, Bernadette change de formule : Solveg livre des illustrations, une courte histoire (« La Petite Ballerine ») en récit à suivre sur sept pages,
avant de proposer une longue aventure écrite par Geneviève de Corbie, à partir du n° 147 (19/04/1959). « Alerte au clos moussu » relate les aventures tragi-comiques de la jeune Marie-Claude venue soigner sa grand-mère dans un petit village où se déroulent d’étranges évènements. Le format plus grand du journal permet à Solveg d’aérer sa mise en page, tout en dynamisant ses personnages.
Ce sont ensuite quelques récits complets jusqu’au n° 90 (30/12/1962) d’une troisième formule où apparaît une héroïne récurrente : Boucle d’or. Nordine, une jolie blonde un poil naïve passe du monde du cinéma à celui de la haute couture, tout au long d’aventures mystérieuses imaginées par Béatrice de Rochemont. Après un premier long récit de 30 pages, Boucle d’Or est la vedette de sept épisodes complets de huit pages, jusqu’à la fusion de Bernadette n° 186 (01/11/1964) avec Lisette.
Au cours de sa longue collaboration avec Bernadette, en plus de ses bandes dessinées, Solveg illustre des romans (« Le Village ensorcelé » d’Henriette Robitaillie, « Le Secret de l’épave » d’Édith Orny (pseudonyme d’Henriette Robitaillie), « Nade et la haute couture » de Jacqueline Le Sénéchal, « Nelly chez les Afghans » de L.N. Lavolle…), illustre des nouvelles, signe des pages d’animations et réalise des couvertures où son trait lumineux fait merveille.
Contrairement à d’autres dessinateurs travaillant invariablement pour Bayard et Bernadette (les deux magazines de la Bonne Presse), Solveg ne collabore qu’à une seule occasion pour le journal destiné aux garçons.
Elle y illustre le roman de M. B. Saumiane, « 3 dans l’aventure », publié à partir du n° 373 (24/01/1954).
Comme pour Bernadette, c’est aussi avec la livraison d’une couverture que Solveg inaugure sa collaboration avec l’hebdomadaire Lisette. Publiée dans le n° 34 du 23 août 1953, elle annonce la publication de « Bonne fête, tante Louise ! » : une nouvelle d’André Chosalland que la jeune dessinatrice illustre, déjà , avec une remarquable aisance. Elle propose avec régularité des illustrations de nouvelles, des couvertures et illustre deux romans : « Il y a péril » de M. de Crisenoy en 1954 et « Judy » de Irène Temple Baily en 1955.
Dans le n° 51 du 19 décembre 1954, commence « Ce petit démon de Betty » : une histoire mêlant humour et aventure écrite par François Rouillard. Scénariste très actif dans les journaux des éditions de Montsouris, mais aussi dans ceux des éditions de Fleurus, François Rouillard est plus connu des lecteurs sous ses pseudonymes Yvon Rhuys et surtout François Drall.
Betty, fille de bonne famille, est placée par ses parents dans la pension de la sévère mademoiselle Chardin. Espiègle, inventive, curieuse, la blonde Betty entraîne dans son sillage d’autres élèves au grand désespoir des enseignants.
Entre 1954 et 1960, Betty est l’héroïne de dix longues aventures dont les titres ne sont pas sans évoquer ceux du fameux « Club des cinq » : « Betty contre les loups rouges », « Betty dans l’île des korrigans », « Betty et son poney », « La Maison de Betty », « Betty monte un cirque », « Betty cherche un trésor »,
« Betty hôtelière »… Le dernier épisode, « Le Tableau de Madame Choupy », se termine dans le n° 42 de 1960 de Lisette : périodique qui s’apprête à changer de formule.
Ce petit démon de Betty ne résistera pas à l’arrivée de dessinateurs au trait plus moderne (Raffaele Carlo Marcello, Ferdinando Fusco…), mais oh ! combien moins délicieusement rétro que celui de Solveg.
Notons que Betty vit quelques épisodes complets dans les numéros spéciaux trimestriels de Lisette où Solveg signe, au cours des années 1950, des couvertures et des récits divers, comme « Les Fantômes du château Gadwen ».
« Betty », qui est sans aucun doute la création la plus réussie de la dessinatrice, n’aura droit qu’à un seul album : « Betty monte un cirque », publié en 1959 par les éditions de Montsouris.
C’est dans les pages de Lisette, après son rapprochement avec Bernadette devenu Nade, que Solveg publie son ultime bande dessinée : un récit complet historique en trois pages intitulé « Les Tartelettes de la duchesse » (scénario T. Brucy), dans le n° 33 du 15 août 1965.
Âmes vaillantes accueille pour la première fois Solveg dans son n° 21 de l’année 1953.
Ses bandes dessinées y sont aussi brèves que rares et, le plus souvent, inspirées par des thèmes religieux : « Colette sur les routes de France » (n° 5 de 1954), « Le Violon du petit meunier » (n° 28 de 1954), « La Tour de la Vierge » (n° 21 de 1955), « La Combe aux loups » (n° 28 de 1955)….
« Le Mystérieux inconnu » de May d’Alençon, proposé en première page du journal, est sa plus longue histoire (du n° 9 au n° 20 de 1956).
Elle anime diverses rubriques (dont « Les Conseils de Chiffon »), illustre des nouvelles et deux romans : « Un Château si calme » d’André Mac Cormick en 1954 et « Lucienne et les 3 H » d’Henriette Robitaillie en 1956.
Sa collaboration avec Âmes vaillantes prend fin en 1957, lorsque le magazine abandonne le grand format pour adopter une présentation plus moderne.
Pendant cette première partie des années cinquante, Solveg travaille aussi pour Fripounet et Marisette : l’hebdomadaire des éditions Fleurus destiné aux jeunes ruraux.
Elle y signe des illustrations dès la rentrée 1954, et jusqu’en 1956.
On lui doit quelques courtes histoires : « Une Bergère qui étonne » (n° 47 de 1953), « Colette sur les routes de France » (n° 38 à 41 de 1954), « Bossue, aveugle, mais sainte ! » (n° 34 de 1955)… et « La Tour de Méhar » : sa dernière participation à Fripounet (dans le n° 43 de 1956).
Elle illustre aussi, en 1954, « Le Trésor du loup » : un roman de Maria Labor.
Ajoutons à ces collaborations pour la presse jeunesse, l’illustration de romans d’Henriette Robitaillie : « La Ferme du loup blanc » publié en 1953 dans la Collection Monique des éditions de Fleurus, « La Dame de Chaumilly » en 1955…
Apparue en 1952, disparue en 1965, Solveg aura été une étoile filante dans l’histoire de la bande dessinée.
On peut supposer qu’elle n’avait pas la quarantaine lorsqu’elle a quitté la profession.
Décès ? Changement de métier ? Accident ? Ou tout simplement abandon le la profession, à une époque charnière pour les journaux destinés à la jeunesse qui s’orientent vers des formules plus modernes qui ne lui conviennent plus ?
Quelques années plus tard, Jeannine Lay, autre femme œuvrant dans la BD pour filles, disparaîtra tout aussi mystérieusement (mais on a pu retrouver sa trace grâce à notre dossier Janine Lay : profession dessinatrice…).
Solange Voisin laisse quelques belles pages peuplées de fillettes blondes, charmantes et espiègles, évoluant dans des décors champêtres d’un autre temps.
La série des « Betty » est remarquable, tant au niveau des scénarios que de sa mise en images, et mériterait mieux que l’oubli dans lequel elle est plongée.
Si par hasard un parent, un proche ou une personne ayant croisé la route de Solange Voisin lit ces lignes, c’est avec plaisir et curiosité que nous prendrons connaissance de ses souvenirs.
Relecture, corrections, rajouts et mise en pages : Gilles RATIER
N’hésitez pas à consulter nos autres récents « Coins du patrimoine » consacrés aux auteurs oubliées de la bande dessinée française des années cinquante-soixante : Robert Moreau : la rondeur et l’humour…, Dut : la modestie d’un grand… (première partie), Dut : la modestie d’un grand… (deuxième partie), Janine Lay : profession dessinatrice…, Jacques Devaux : le dessinateur masqué !, Marc-René Novi : une carrière contrariée… (première partie), Loÿs Pétillot : Bayard fut son royaume…, Jan-Loup : un dessinateur aussi mystérieux que talentueux…, Jacques Blondeau (première partie) : dessinateur au quotidien…, Jacques Blondeau (deuxième partie) : de la presse quotidienne aux revues pour la jeunesse…, D’Arabelle à Pat’Apouf : Jean Ache (première partie), D’Arabelle à Pat’Apouf : Jean Ache (deuxième partie), Érik le prolifique ! (première partie), Érik le prolifique ! (deuxième partie), etc.
Super redécouverte !
Bonjour.
Vous indiquez que le scénariste François Rouillard est plus connu des lecteurs sous ses pseudonymes Yvon Rhuys et surtout François Drall.
Je suis d’accord pour le pseudo François Drall, mais j’ai un doute pour celui de Yvon Rhuys. En effet, sur Wikipédia on trouve pour Yvon Mauffret en Notes et références un lien avec l’article de Raymond Perrin indiquant que Yvon Mauffret écrit, sous le pseudonyme d’Yvan Rhuys, des scénarios de bandes dessinées et des petits romans à suivre pour les journaux de jeunesse : Lisette, Pierrot et Champion.
J’imagine mal que le pseudo Yvan (ou Yvon) Rhuys ait servi pour deux auteurs différents. Qu’en pensez-vous ?
Bien cordialement
Bonjour Alain !
C’est avec intérêt que j’ai pris connaissance de votre réflexion. Pour ma part je suis d’une génération qui n’a pas fait ses fiches à partir de Wikipédia, mais en épluchant un à un les journaux : ce qui est plus long, mais quand même plus sympa. Je continue d’ailleurs toujours de la même façon. Ce fut ainsi le cas pour François Drall. Je me souviens avoir réalisé ces rapprochements en constatant des histoires ou romans crédités d’un numéro à l’autre de ces deux noms. D’où ma conclusion… peut-être hâtive. C’est d’ailleurs de la même façon que j’ai établi le rapport entre Drall et Rouillard. Il faudrait que je recommence pour trouver le récit en question, mais je vous avoue que je n’ai pas trop le temps.
En revanche, étant en ce moment sur un « Coin du patrimoine » consacré à Trubert, lequel a travaillé pour les mêmes journaux, je vous promets de regarder… On ne sait jamais, un coup de chance…
Par ailleurs, je suis allé voir sur Wikipédia et, en effet, je dois dire que la liste des ouvrages écrits par Yvon Mauffret est impressionnante. Le nom Rhuys étant présent dans plusieurs romans, il est probable que ce soit lui qui signait Rhuys, d’autant plus qu’un de ses romans a été publié par Lisette qui, avec Pierrot, présentait des BD signées Rhuys. Va peut-être falloir que j’abandonne les recherches dans les journaux pour Internet : ce serait bien plus rapide (rires).
Encore merci pour votre fidélité…
Henri Filippini
Bonjour Alain !
Pour compléter la réponse d’Henri Filippini, je dois préciser que pas plus Wikipédia que les fiches d’Henri sont fiables à 100 % : l’erreur est humaine (surtout quand on s’y met à plusieurs, comme c’est le cas sur Wikipedia : rires !).
Bref, si d’autres internautes ont des avis sur le sujet et, surtout, des preuves irréfutables des liens entre Rhuys et Mauffret ou Rhuys et Drall, leurs commentaires seront les bienvenus…
Gilles Ratier
Il faudra étudier un jour cet étrange phénomène : pourquoi les grands classiques de la bande dessinée ont-ils vu le jour dans la presse destinée aux garçons et pas celle pour les filles?
Il y a des exceptions (Lili, Bécassine) mais bien peu. Même lorsqu’un dessinateur a oeuvré dans les deux domaines (Cuvelier : Corentin/Line) , la série destinée aux garçons fait référence…
Peut-être y avait-il plus de liberté dans la presse pour les garçons?
Peut-être n’y a-t-il pas vraiment de presse garçon mais plutôt mixte?
Un vrai sujet de thèse, non?