L’autrice Sarah Belmas se confie à BDzoom.com

Nous avons remarqué lors du dernier festival d’Angoulême la première bande dessinée de Sarah Belmas. L’autrice bordelaise se raconte dans « Lever l’ancre », une œuvre autobiographique qui touche par sa grande sincérité. Sarah Belmas a bien voulu répondre à nos questions sur son parcours de vie et ses débuts dans le monde du 9e art.

Avec une grande gentillesse Sarah Belmas a répondu à nos questions. Nous l’en remercions vivement. En attendant la fin du confinement, vous pouvez vous procurer « Lever l’ancre » sur le site de Cote-à-cas éditions : ici. Pour poursuivre votre découverte du travail de l’autrice vous pouvez consulter son compte Instagram sur lequel elle poste ses dessins et travaux graphiques et son site plus particulièrement dédié à ses expériences photographiques.

BDzoom.com : Bonjour Sarah Belmas, pouvez-vous présenter votre parcours avant vos débuts dans le monde de la bande dessinée ?

Sarah Belmas : Je dessine depuis que je suis en âge de tenir un crayon. Je n’ai aucun souvenir sans avoir dessiné. Bercée vers mes 3 -4 ans par Tintin, le héros de Hergé a été mon école de dessin. Il a influencé toute mon enfance et mon imaginaire. Je travaille en autodidacte.

Je suis actuellement salariée, en parallèle j’étais photographe puis j’ai mis cette activité entre parenthèse pour me consacrer à ma passion de toujours, le dessin donc.

BDzoom.com : Y-a-t-il un événement déclencheur à l’écriture de « Lever l’ancre »

Sarah Belmas : J’avais en tête un roman sur lequel je travaillais depuis une bonne dizaine d’années mais sans que cela ne soit concluant ni satisfaisant pour moi. L’écriture seule me frustrait. J’aime énormément écrire, les mots ont une importance capitale pour moi mais ne suffisaient pas pour mon projet. J’avais délaissé le dessin depuis deux trois ans et après m’y être remise, l’idée de raconter cette histoire par le biais de la bande dessinée m’est apparu alors évident.

Lever l'ancre page 5

BDzoom.com  : Le personnage central n’a pas de nom, est-ce vous ? « Lever l’ancre » est-elle une œuvre entièrement autobiographique ? 

Sarah Belmas : Aucun des personnages de « Lever l’ancre » n’a de nom, c’est délibéré. Ce roman graphique est purement autobiographique, et de ce fait, je voulais raconter mon histoire de manière assez distante, évasive, sans rentrer dans le concret d’une chronologie ni d’un contexte, juste en racontant les émotions vécues de l’intérieur, avec tout ce que cela caractérise. Nommer mes personnages aurait sans doute perturbé le lecteur, car je veux que « Lever l’ancre » soit pour lui le moyen de s’identifier, qu’il se reconnaisse sans être chargé par l’histoire de cette personne en connaissant son nom, son âge, le lieu où elle habite … ce n’est pas ce qui importe, ce qui importe c’est ce qui se passe dans la tête d’une personne qui souffre.

La bête noire

BDzoom.com : Pouvez-vous nous résumer votre première bande dessinée « Lever l’ancre » après en avoir explicité le titre ?

Sarah Belmas : Lever l’ancre, c’est mon histoire, celle d’une jeune femme arrivée à un tournant de sa vie, qui porte en elle des douleurs dont elle n’avait pas su se soustraire et qui lui ont pourri la vie, c’est la volonté de cette jeune femme de parler de ce dont notre époque virtuelle superficielle ne parle pas : des douleurs, des chagrins, des angoisses, ce peut être une maladie mentale, une dépression sévère, nul ne sait… C’est l’histoire de zones d’ombres humaines qui détruisent psychologiquement, physiquement et… dont on finit pourtant par sortir…

Le titre « Lever l’ancre », compte tenu de la noirceur du sujet peut être interprété par le fait d’abandonner, de larguer les amarres, se foutre en l’air, tout lâcher mais aussi par le fait de laisser enfin derrière soi tout ce qui nous détruit, et prendre le large non pour fuir mais pour partir sur une nouvelle route, accepter l’inconnu qui se dresse devant soi et l’accueillir pleinement… Les deux images se rejoignent mais le titre en lui-même évoque déjà ce que le livre finit par aborder : l’évasion, la renaissance, le renouveau…

Je reviens toujours ...

BDzoom.com  : Pensez avoir traité davantage l’angoisse, le spleen, ou plutôt la dépression ?

Sarah Belmas : C’est après publication que je me suis rendue compte de la portée de ce livre sur moi… J’étais partie pour me libérer de ce que je considérais comme des angoisses ordinaires, en les banalisant, en les rendant finalement insignifiantes, mais je me suis rendue compte une fois l’histoire terminée que je parlais clairement de dépression. Et d’une dépression sévère. « Lever l’ancre » a levé le voile sur une chose importante : mon déni. Le déni de ma propre dépression, de toutes ces années de noirceur que j’avais considérées comme normales alors qu’il n’en était rien. Donc oui, « Lever l’ancre » parle de dépression, dans son aspect le plus lourd, mais aussi de la solitude qui succède à un deuil, des ruptures amoureuses répétitives… Le lecteur peut y voir la dépression, ou bien de simples tourments propres à chacun… Comme pour les personnages, rien n’est nommé pour que chacun se fasse sa propre interprétation. C’est l’humain dans tout ce qui le constitue de fragile et de beau à la fois.

Des liens rompus ...

BDzoom.com : Pensez-vous porter un message positif aux lecteurs, quelle est la morale de votre récit ?

Sarah Belmas : « Lever l’ancre » peut faire peur par le contenu, parce que nous sommes déjà tellement envahis de mauvaises nouvelles et qu’il y a, il faut l’avouer, un penchant assez masochiste à parler de ce qui ne va pas. Mais ce livre, s’il évoque l’histoire d’une femme au fond du trou, décrit aussi le moment crucial où cette femme se dit : « Je suis au fond du trou, OK. Mais je suis toujours vivante, alors qu’est-ce que je fais ? » Et lui vient alors cette pulsion, ce regain d’énergie, parce qu’elle sait qu’elle a touché le fond et qu’une fois tout au fond, elle ne peut pas descendre plus bas. Tout ce qu’il lui reste à faire c’est de remonter à la surface en tapant d’un grand coup de pied. Et cette remontée à la surface lui fait découvrir quelque chose qu’elle n’avait jamais envisagé auparavant : la paix, la sérénité… et qu’elle n’aurait pas pu connaître cet état si elle n’était pas passée par toutes ces galères… « Lever l’ancre » vous met le nez en plein dans vos tourments, dans vos douleurs et vous rappelle que vous n’en sortirez qu’en y faisant face. Le message positif est de dire aux lecteurs : acceptez la douleur qui vous submerge, regardez-la bien droit dans les yeux et n’oubliez pas qu’elle n’est que de passage, que ce n’est pas elle qui vous dictera votre vie, que c’est vous qui décidez… La douleur n’est pas là par hasard, écoutez-la, elle a tellement à dire sur vous…

Le travail de deuil ...

BDzoom.com  : Parlez-nous un peu de votre dessin. Comment avez-vous abordé la partie graphique de l’album, ce mélange de bande dessinée et d’images avec ou sans texte ? 

Sarah Belmas : D’emblée, j’ai su que pour aborder un tel sujet, il fallait que je sorte de la bande dessinée traditionnelle. En évoquant les ressentis intérieur, les émotions, et en faisant fi d’une chronologie, d’un contexte, de lieux, il fallait travailler ce que les dépressifs ressentent. Tout du moins de ce que moi j’ai ressenti. J’ai divisé le livre en deux parties. La première a le noir qui prédomine, la deuxième le gris. En clin d’oeil à ce que quelqu’un me disait un jour : « avec toi, les choses sont soit toujours en noir, soit en blanc, ne peux-tu pas envisager un entre deux ? »

Le noir par le biais de cette bête noire que j’ai réellement rêvé quand j’étais gamine qui colle comme une sangsue reste en permanence. Les nuages noirs représentent cette dépression tenace, qui colorie le quotidien, le regard que l’on a sur le monde. Le gris pour cet aspect « ni tout blanc ni tout noir » de la vie. Ce fameux entre deux… Mon personnage principal est souvent nu. Dépourvue d’identité, de vêtements, il est plus facile de se centrer sur ce qu’elle ressent plutôt que par un code social, vestimentaire qui pourrait être superflu.
Il fallait que je mêle ces dessins représentant mes émotions avec du texte. Les mots pour décrire ce que je ressentais et le dessin pour compléter, peut-être même décrire ce que les mots à eux seuls ne peuvent décrire. La thématique de la mer n’a pas été placée par hasard. La mer, c’est l’invitation au voyage, c’est l’imprévisibilité d’un océan qui ne se laisse pas dompter, en somme une belle allégorie de nos existences qui ne sont pas et ne seront jamais linéaires. Et c’est aussi un gros clin d’oeil à l’univers de Tintin, qui n’a jamais eu de cesse de m’accompagner.

Le regard des autres ...

BDzoom.com : Comment vous sentez-vous aujourd’hui ? 

Sarah Belmas : Une personne proche m’a dit : « On sent qu’avec ton livre, tu t’émancipes de quelque chose. » J’ai 33 ans et la bête noire, personnification de cette dépression, n’est pas complètement partie. Mais je vais mieux, bien mieux, j’ai l’impression d’être dans une période de transition, quelque chose change. Le mot est juste, je me suis émancipée d’un passé dont je me croyais prisonnière. Je reprends doucement les rênes.

Lever l'ancre page 92

BDzoom.com  : Vous avez un compte Instagram. Quel type de dessin y postez-vous ? Un koala en est un personnage récurrent, pourquoi ?

Sarah Belmas : Le compte Instagram est une formidable vitrine sur laquelle je peux poster tous les dessins que je souhaite, et voir évoluer ma pratique au fil du temps. Le koala est un personnage très apprécié des contacts qui me suivent, il est récurrent car il a envie de parler, il a des choses à dire… et pourrait ne pas en rester là…

Le koala du compte Instagram

BDzoom.com  : Quels sont vos projets dans le domaine de la bande dessinée ?

Sarah Belmas : Je bouillonne de projet, je travaille actuellement sur ma deuxième bande dessinée, et j’ai évidemment plein d’autres projets en tête, autour du racisme notamment. Tout cela est encore en gestation…

Dessins du compte Instagram de Sarah Belmas

« Lever l’ancre » par Sarah Belmas

Éditions Cote-à-cas (14,50 €) – ISBN : 978-2-491066-05-5

 

 

Se débarrasser de la bête noire ...

Galerie

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