Dix ans après la parution de « Résurrection », la première partie d’un diptyque accouché dans la douleur, voici enfin « Révélations » : conclusion du dernier récit du regretté Philippe Tome, décédé alors qu’il travaillait sur les dernières pages de son scénario. Les éditions Dupuis proposent, enfin, l’intégralité de cette aventure magistralement dessinée par Dan Verlinden, digne successeur de ses deux prédécesseurs : Luc Warnant et Bruno Gazzotti.
Lire la suite...Un Spirou qui fonctionne au super !
Né en 1938, Spirou n’est plus dans l’air du temps au XXIe siècle ! Tel n’est heureusement pas le constat des éditions Dupuis mais bien le point de départ de ce premier volet de « SuperGroom », la saga dérivée des traditionnelles aventures de Spirou et Fantasio ; rappelons que ces dernières sont mises en scène par Fabien Vehlmann et Yoann depuis « Alerte aux Zorkons » en 2010. Ainsi ringardisé, Spirou s’est mis à douter : la création secrète d’un super-héros, capable de lutter à la fois contre la pollution, la décroissance, les projets immobiliers véreux et les crapules de tous ordres, sera-t-elle la bonne solution ? Jubilatoire et conçu pour un jeune public fan d’action et de bons mots, « SuperGroom » questionnera le lectorat plus ancien sur les arcanes et l’avenir d’un univers franco-belge devenu légendaire…
En 2014 déjà, à travers l’étude « Spirou, aux sources du S… » (voir l’article réalisé par Gilles Ratier évoquant cet ouvrage), votre serviteur évoquait les parallèles tissés entre les personnages de Spirou et de Superman, tous deux apparus au yeux du grand public en 1938. Plus encore : le journal Spirou publiera la célèbre série de Jerry Siegel et Joe Shuster à partir de son neuvième numéro le 2 mars 1939, sous le titre étrange de « Marc [Costa], Hercule moderne ». Naturellement, plus d’un lecteur remarquera les parallèles entre ce Costa / Clark Kent / Superman et Spirou : même initiale symbolique, même origine extraordinaire (Spirou surgissant d’un tableau, le Kryptonien Superman étant un extra-terrestre), même vocation (journalistique) et même caractère orphelin. Au fil de leurs albums, Yoann et Vehlmann allaient à leur tour interroger toutes les facettes de ce personnage héroïque soumis aux aléas de son statut pour le moins iconique et publicitaire : nous renvoyons sur ces points nos lecteurs aux chroniques et interviews successives précédemment publiées et concernant « Alerte aux Zorkons » (2010), « La Face cachée du Z » (2011), « Dans les griffes de la Vipère » (2013), « Le Groom de Sniper Alley » (2014) et « La Colère du Marsupilami » (2016). Ce sans oublier que ce dernier album s’achevait sur le dévoilement feuilletonesque d’une nouvelle menace, digne de certains « Spirou vu par… » : un affreux cauchemar nazi !
En 2017, alors que Vehlmann et Yoann signaient avec leur éditeur un nouveau contrat les engageant pour cinq ans, les auteurs choisirent pourtant de s’orienter vers une autre relecture de la série ; à commencer par un recueil d’histoires courtes, qui sera proposé en octobre 2017 sous le titre « Les Folles Aventures de Spirou » (HS T5 : voir l’article de Laurent Lessous). Parmi ces dernières figuraient déjà (dans le bien-nommé « Supergroom », récit en 8 planches datant de 2016) la silhouette d’un Spirou grimé en super-héros. Annoncé pour la première fois dans le journal de Spirou n° 4079 en juin 2016, Supergroom était effectivement apparu très officiellement en couverture du numéro suivant (en date du 22 juin). Par la suite, les lecteurs purent retrouver ce héros quelque peu alternatif dans les hebdomadaires n° 4117 (08 mars 2017 ; « Supergroom vs Collectorman »), n° 4187 (11 juillet 2018), n° 4216 (30 janvier 2019 : « La Nuit des héros »), n° 4228 (24 avril 2019 ; « L’Effet domino ») et, plus récemment, dans le numéro 4268 (29 janvier 2020) démarrant le « Chapitre un » d’une toute nouvelle aventure. Comme l’expliquait déjà Fabien Vehlmann en 2016, « Supergroom, c’est une récréation. Yoann et moi nous étions tellement amusés sur le premier récit [« Batguy », paru en mars 2016 dans un Spirou spécial hommage à Superman et Batman, où Spirou endossait à son tour la cape et le masque] qu’on a trouvé rigolo de faire de personnage un gimmick. Même si nous ne sommes pas sûrs de le faire revenir très souvent, on, a déjà plein d’idées ! C’est amusant de pousser l’uniforme de Spirou vers autre chose. La démarche est assez paradoxale, car tous les auteurs ayant travaillé sur Spirou, y compris Franquin, n’ont eu de cesse de lui enlever ce vêtement qui leur semblait illogique […] » En toute logique, le dessin de Yoann s’accorde à cette vision en reprenant les codes des comics super-héroïques : un découpage graphique différent des us et coutumes franco-belges, avec un « recours à plus de cases en hauteur ou en longueur. » Précisons par ailleurs qu’en 2017, Yoann réalisait aux éditions du Lombard et en compagnie du scénariste Olivier Texier le décomplexé « Les CaptainZ », une hilarante relecture trash des valeurs héroïques américaines. Un album pour le moins libérateur, à l’heure où les « Avengers », « Spider-Man », « Les Gardiens de la galaxie », « Captain America » et « Thor » cartonnaient sur grand écran !
Nouveau coup de théâtre à la une de Spirou n° 4180 le 23 mai 2018 : Yoann et Vehlmann annoncent alors vouloir mettre l’emblématique héros à la retraite, après une ultime aventure titrée « Le Boulevard du crépuscule » ! Vehlmann n’hésitera pas à évoquer son pire souvenir : les virulentes critiques émanant des gardiens du temple face à SuperGroom. Le scénariste de « Seuls » ou du récent « Le Dernier Atlas » (série primée au FIBD d’Angoulême 2020) serait-il alors allé trop loin ? C’était mal connaître les auteurs… Au n° 4187 (11 juillet 2018), le canular ayant été révélé, SuperGroom était donc bel et bien lancé avec la savoureuse volonté d’en faire un héros hybride, « ni réellement comics, ni réellement franco-belge ». Jeune homme confronté aux soucis du quotidien (déménagement, travail et vie de célibataire), Spirou devra en prime se confronter à son double : soit un autre SuperGroom, lequel est bien décidé à faire le ménage dans la ville en lieu et place du héros, disparu volontairement des radars pour cause de grabuges excessifs lors d’un épisode précédent… Buzz et maladresses, canulars, impostures et quiproquos, tous sources de gags et de rebondissements certains, ne pourront toutefois épargner au récit ces drames et ces moments plus réflexifs. Notons au passage que l’évocation consciente du double du héros renvoie une nouvelle fois les lecteurs aux arcanes profondes de la saga : de ce double dessiné jadis par Rob-Vel aux diverses déclinaisons offertes par la série des « Spirou vu par… » (voir l’actuelle prépublication de « Spirou chez les Soviets » par Fred Neidhardt et Fabrice Tarrin ; celle, à partir du 8 avril prochain, de « Pacific Palace » par Christian Durieux) en passant par le Spirou d’Émile Bravo, très présents ces derniers mois tout en se dévoilant au travers d’une autre chronologie, historique et donc plus réaliste.
Inévitablement, avec leur dynamique « SuperGroom », les auteurs osent un concept différent tout en mettant quelque peu les pieds dans le plat. Ce sans oublier le long historique d’une série qui conduit assez immanquablement ces repreneurs successifs à livrer tôt ou tard une version inattendue : l’on relira ainsi « Panade à Champignac » (T19 en 1969), « Machine qui rêve » (T46 en 1998) ou « Aux sources du Z » (T50 en 2008), sans compter l’inédit poétique « La Maison dans la mousse » de Jean-Claude Fournier (demeuré à l’état d’ébauche au seuil des années 1980). Les questions sont donc multiples pour cette reprise de flambeau qui n’est pas sans provoquer des hurlements de trahison pour une partie du lectorat nostalgique des années Franquin : si la série-mère (encore éditée à 70 000 exemplaires lors de la parution du 55e volume en mars 2016) est érodée par des ventes insuffisantes ou par le mécontentement de ce lectorat traditionaliste, ce succédané super-héroïque suffira-t-il à remplacer à terme un 56e tome attendu depuis déjà quatre ans ? La formule permettra-t-elle par ailleurs de concilier jeunes et vieilles générations autour de ce groom âgé de plus de huit décennies, ici transformé en vrai-faux pseudo-justicier ? L’édition même de l’album, se présentant en 88 pages couleurs dans un format cartonné réduit (20 x 27 cm) et se voulant plus proche des standards comics, passera-t-elle la redoutable épreuve de la mise en conformité pour les collectionneurs et complétistes de l’univers de Spirou, désormais plongés dans le pire des dilemmes ? Un insoutenable suspense et un terrifiant jeu de questions – réponses… auquel s’est aimablement livré Fabien Vehlmann dans les lignes suivantes.
« SuperGroom » a vu le jour dans le journal Spirou en juin 2016 : six chapitres s’en sont suivis jusqu’en mai 2019, avant l’actuel album et le retour du personnage dans Spirou en janvier 2020. Comment ce personnage a-t-il été initialement imaginé ?
Fabien Vehlmann (F. V.) : « Comme une sorte de gag, lors de sa toute première apparition dans les histoires courtes. On voulait s’amuser, avec Yoann, à rebondir sur l’obsession de Spirou de rivaliser avec ses « confrères » américains. Mais on a ensuite eu la surprise de voir des enfants arriver en dédicace avec des dessins de SuperGroom ! »
Le canevas épisodique – inspiré des comics ou des séries – était-il plus aisé à construire qu’une grande aventure traditionnelle ? Un album était-il prévu dès le départ, dans le sens où il démarrait une nouvelle série ?
F. V. : « Quand on a décidé de lancer ces aventures parallèles à la série, Julien Papelier, le Directeur Général de Dupuis, nous a tout de suite fait confiance et poussé à faire plusieurs albums. Et pour marquer l’idée d’un vrai renouvellement, nous en avons légèrement modifié le format (plus tassé qu’un 46 pages cartonné), la pagination (plus abondante) et le chapitrage, qui n’est pas plus aisé à utiliser, mais oblige en revanche à « densifier » les scénarios de chaque album : les lecteurs peuvent être sûrs qu’il y aura au moins une grande scène d’action par chapitre, ce que les albums classiques n’offraient pas forcément ! »
Votre « SuperGroom » doit-il justement être interprété comme une série dérivée ou se situe-t-il à l’inverse dans le droit fil des albums précédents ?
F. V. : « Les deux, en fait ! Ces aventures s’inscrivent dans la foulée de « La Colère du Marsupilami » (puisque Spirou et Fantasio rentrent tout juste de Palombie), mais peuvent aussi se lire indépendamment de la série principale (et nous avons inséré un chapitre d’introduction dans ce sens, destinés aux jeunes lecteurs ne connaissant pas du tout le personnage de Spirou). »
Jadis, Superman fut publié dans Spirou ; dans les années 2000, Spirou a connu une déclinaison manga et aujourd’hui, avec notamment les albums d’Emile Bravo, le personnage se rapproche aussi de l’esprit Tintin : comment définissez-vous votre propre Spirou via SuperGroom ?
F. V : « Je le vois comme la réponse européenne à la vague des comics : un hommage mais aussi une réflexion amusée sur les super-héros américains et leurs délires de puissance. En ce sens, SuperGroom n’est ni une parodie à la SuperDupont (qui casserait complètement les codes du genre en les ridiculisant) ni un pur super-héros au 1er degré : c’est un entre-deux ironique mais sincère, qui joue en utilisant les codes du comics, avec un plaisir enfantin, mais cherche aussi à préserver une narration typiquement franco-belge, avec ce mélange d’aventure et d’humour propre à nos albums préférés. »
La série « classique » semble avoir été mise en sommeil depuis le tome 55 (« La Colère du Marsupilami »), paru en mars 2016, outre « Les Folles Aventures de Spirou » (HS n° 5 en octobre 2017), album réunissant plusieurs histoires courtes… dont une narrant les débuts de SuperGroom. L’éditeur a-t-il été facile à convaincre ? Prévoyez-vous un 56e « Spirou » ?
F. V. : « L’éditeur n’a pas été difficile à convaincre, car c’est lui qui nous a poussé à tenter des choses avec la série : Julien Papelier veut tout faire pour regagner un jeune lectorat, or les enfants ne lisent plus vraiment les aventures de Spirou, soyons clairs… Il nous a donc demandé de lui proposer des alternatives, et c’est là que nous avons évoqué « SuperGroom ». Tout est allé vraiment très vite ! Quant à savoir si nous reviendrons sur un « Spirou » 56, cela dépendra du succès (ou non) des premiers albums de « SuperGroom ». Nous allons au moins en faire trois, réunis par un fil rouge ! »
Entre les hors-séries, l’univers étendu de « Zorglub » et « Champignac », les « Spirou de… » et « SuperGroom », ne craignez-vous pas que le public s’y perde un peu ? Que répondez-vous à ceux qui réclament le retour d’un Spirou plus classique ?
F. V. : « Que je les comprends, mais qu’il est déjà amplement trop tard pour revenir en arrière : les one-shots existent depuis 2006, et certains ont eu des succès fracassants… Ça ne veut pas dire qu’il ne faut pas réfléchir à réduire la voilure, bien entendu, mais la question de fond reste la même : comment rajeunir le public ? Or ni la série principale ni les one-shots n’ont réellement réussi ce pari. Le « Spirou » d’Emile Bravo est génial, par exemple, mais ne va pas attirer spontanément les 10/14 ans. Après, nous n’obligeons bien entendu pas les adultes à lire « SuperGroom », hein… Même si nous avons eu la bonne surprise de voir pas mal de lecteurs âgés apprécier ce 1er tome, étonnamment ! »
Dans ce premier tome, Spirou lutte à sa manière contre la pollution et les promoteurs véreux : ces thèmes contemporains sont-ils l’occasion de réorienter le récit, en dépassant la simple promotion de « se faire justice soi-même », action illégale et toujours dangereuse ?
F. V. : « C’est effectivement notre réponse franco-belge au fantasme de toute-puissance des super-héros américains. On veut montrer que le véritable pouvoir n’est pas où on le croit : mais pour attirer le public, on doit quand même lui offrir sa ration de combats spectaculaires et de super-démolitions, haha !! Tout ça est donc une question d’équilibre, comme en aïkido : offrir au lecteur ce qu’il croit vouloir, avec un héros surpuissant et solitaire, mais ensuite dévier cette attente et lui proposer des alternatives collectives et à hauteur d’homme (et tenter de les rendre désirables)… »
Le jeu sur l’identité secrète de Spirou, s’il le rapproche du monde des super-héros, semble l’éloigner de son éternel ami Fantasio. Une solution à ce problème pour l’aventure suivante ?
F. V. : « L’avantage du « ton » franco-belge, c’est qu’il peut être assez proche du vaudeville (avec portes qui claquent, révélations fracassantes, et personnages cachés dans des placards…). Et ce petit jeu d’identité secrète, entre Fantasio et Spirou, peut se prêter à des gags complètements idiots et savoureux pendant encore pas mal de pages, et nous ne lâcherons donc pas complètement Fantasio ! Mais c’est vrai que SuperGroom se concentre d’abord essentiellement sur Spirou (et Spip). »
Philippe TOMBLAINE
« SuperGroom T1 : Justicier malgré lui » par Yoann et Fabien Vehlmann
Éditions Dupuis (13,95 €) – ISBN : 978-2800174723
J’aime pas. Spirou est laid, il fait peur, et le dessin n’est pas soigné. De plus, planche 4, on n’a même pas droit à un Atomium correct, un peu comme si on dessinait la tour Eiffel avec 3 pieds. Tome & Janry, vous me manquez tellement !! Même aussi Fournier !!
Je pense que Yoann s’est inspiré de l’image de l’Atomium ici : https://les-enovateurs.com/atomium-incontournable-bruxelles/ ; mais il a remonté les frondaisons et exagéré la contre-plongée !
1 pour une contre plongée, il y a trois points de fuite. Ce qui n’est pas le cas ici. 2 l’Atomuim est composé avec des sphéres et des cylindres qui est la base des volumes avec le cône et le cube en dessin, donc rien de bien difficile à faire pour un dessinateur de qualité comme Yoann.
:):)
Je défendais Yoann ci-dessus (d’ailleurs j’ai acheté l’album) ! L’image dont je parle est bien en contre-plongée !
On peut raconter des belles phrases, avec des explications-ceci et de la science-cela, et des points de fuite en dessert, chaque face de l’Atomium forme un carré avec 4 boules (une à chaque coin). Ici, je vois trois boules qui forment un triangle.
Ce n’est pas du mauvais dessin, du tout, MAIS c’est pas du Spirou, Et les scénarios ne font rire que les copains des auteurs. Tome faisait rire, Fournier faisait sourire, André faisait fourire, mais ici, il n’y a rien d’amusant, de délassant.
J’ai cru voir un message contraire à la bienséance, mais il a sans doute été supprimé.Tant mieux ! BDZoom doit rester un lieu d’échanges et non d’insultes!
En vérité je n’ai qu’une seule hâte : que tous les baby-boomers soient morts et enterrés (ou incinérés, peu importe). qu’on puisse enfin passer à autre chose.